Lettre trimestrielle Santé Mentale 6

Juillet 2019

Cher lecteur,
La mission du volet Santé Mentale du projet FMG-Mémisa qui s’est déroulée du 11 avril au 2 mai 2019 est la quatrième mission, à mi-parcours du projet qui s’achèvera en 2021. Restent deux ans et demi et cinq missions pour parvenir à nos fins. Nous avons cette fois-ci parcouru près de 2000 Km (Conakry, Dubreka, Boké, Gaoual, Koundara, Labé, Télimélé, Kindia, Conakry) et rencontré les professionnels de neuf centres de santé primaire (Conakry, Labé, Timbi-Madina, Korbè, Thianguel Bory, Timbo, Pita, Télimélé, Moriady) soutenus par FMG et qui ont intégré les soins aux malades mentaux à leur activité quotidienne de médecine générale. Outre les consultations conjointes qui ont impliqués les professionnels de ces centres, le travail de cette mission fut d’établir la systématisation des pratiques et des outils de travail ; à savoir la systématisation de l’entretien, de la nosographie, des schémas thérapeutiques et du dossier médical, au départ des constats établis lors des trois missions précédentes. 
Je voudrais développer ici le schéma de l’entretien tel qu’il fut instauré et offrir à vos réflexions les arguments qui m’ont incité à le proposer à l’usage des intervenants des CS de FMG.

Le point (1) : la famille, (presque) toujours présente et le patient sont reçus ensemble. La famille fait part de ses doléances, de ses constats et livre ses informations.
La famille est ensuite priée de sortir afin de donner au patient tout le champ de la parole.
Le point (2) porte sur le diagnostic psychiatrique. La sémiologie psychiatrique occidentale est mise au service du soignant pour poser son diagnostic.
Le diagnostic « traditionnel »est également évoqué, souvent révélateur d’enjeux relationnels complexes.
Le point (3) laisse la parole au patient : une fois seul, qu’a-t-il à nous dire ? Ceci constitue l’étape psychopathologique.
La famille est ensuite réintroduite dans le lieu de consultation.
Le point (4) : Le soignant vient rétroactivement réinterroger les propos de la famille ainsi que les éléments symptomatiques après avoir entendu ce que nous a livré le patient du vécu de sa maladie.
C’est le moment de la réflexion, de la palabre et des sanctions thérapeutiques qui en découlent. Lors du déroulement de ce point (4), il s’agit de croiser les différents propos issus des différents points de vue (famille, médecin, guérisseur, patient) sans qu’ils ne s’excluent ou ne se disqualifient mutuellement.
Se révèlent alors les contradictions inhérentes à toute situation de « santé mentale », qui nécessitent prudence et respect réciproque.
Ces contradictions – paradoxalement, penseront certains – donneront à ce schéma son caractère dynamique, producteur de changement, c’est-à-dire thérapeutique. 
La confrontation des différents points de vue modifie en effet la position de chacun, qui se révèle non plus absolue mais relative, impliquant nécessairement la dimension subjective des différents participants.
C’est après avoir entendu le témoignage du patient que la famille et le soignant élaboreront ensemble une procédure particulière, qui se révélera différente à chaque consultation. La position de chacun se trouvera modifiée par ce mouvement rétroactif, qui ne sera possible – cette remarque est essentielle – qu’à condition du passage par le point 3 (la parole au patient) :

Contrairement à la pratique de la médecine organique fondée sur l’universel des sciences exactes mis en application dans le particulier de la situation clinique, la psychiatrie est une pratique de la rencontre avec la folie qui, elle, ne relève pas de ces dites sciences exactes. L’objet de notre travail est d’apaiser pour tous – ce qui signifie pour chacun en particulier, dans le respect des différences – les tourments liés aux conséquences de l’expérience de la folie et non de normaliser un comportement ou de se faire la cheville ouvrière ou le bras séculier d’un ordre moral, religieux, social, médical ou juridique. 
La pluridisciplinarité divise et engendre la juxtaposition de discours, qui entretiennent entre eux des rapports de pouvoir : qui, de la famille, du médecin, du guérisseur, du patient aura le dernier mot ? Lequel de ces discours, moral de la famille, normatif du soignants, surnaturel du tradipraticien, de vérité de la part du patient, fera Loi ? 
La multidimensionnalité confronte ces différents points de vue, abolissant le principe de non-contradiction. La conversation entre ces discours devient recevable1 ; La guerre des discours n’aura pas lieu.
Nous espérons que ce schéma ouvre une procédure de soins en matière de prise en charge des malades mentaux qui ne soit pas l’application standardisée d’un protocole anonyme issu d’un arbre décisionnel déshumanisé2, mais une procédure dynamique orientée par la parole de chacun (le temps de dire) et non par le seul symptôme du patient.
Mais, avouons-le, nous en espérons bien plus ! La répétition du mouvement de déplacements qui se produit à chaque entretien ouvre un espace nouveau dont l’axe orientera notre écoute. 

Ainsi, pour répondre à la question : « Mais autour de quoi tout cela tourne t’il ? » – autre façon de poser la question de ce qu’est la folie – cet axe de signification inattendu pourra nous en apprendre peut-être un peu plus sur ce que comporte d’énigme son épreuve en la circonscrivant.
Michel Dewez

1Newsletter Santé Mentale 1.

2Newsletter Santé mentale 2.

Michel Dewez

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Next Post

Lettre trimestrielle Santé Mentale 7

lun Août 26 , 2019
Octobre 2019 Cher lecteur, la Newsletter 6 et son schéma 1234 ne sont pas restés sans réponse, m’invitant à poursuivre notre réflexion. L’enjeu est d’importance. La distinction que je propose entre pluridisciplinarité et multidimensionnalité a des conséquences très concrètes. Avons-nous – option pluridisciplinaire – à « spécialiser » les intervenants en distinguant : […]