FMG-Mémisa-Sa.M.O.A.
Mission 1 : 21 nov. – 18 déc. 2017
- Position : Il n’y a pas de maladies mentales, il y a des malades mentaux.
Si l’un d’entre vous trouve, un soir en rentrant chez lui, une maladie mentale sur le bord du chemin, qu’il l’attrape avec un simple filet : elles se laissent prendre assez facilement. Qu’il l’enferme alors dans une boite en carton (cela suffira : elles tentent rarement de s’échapper et se font vite accrocheuses) et me l’apporte. Mais faites attention : elle se montrera rusée ! Et si vous acceptez de lui donner de l’eau après le coucher du soleil comme elle vous en suppliera, alors, elle deviendra intraitable, et je ne répondrai plus de rien…
Mais, rassurez-vous, il n’y a pas de maladie mentale sur le bord des chemins. Il y a, parfois, des malades mentaux, qui eux, et eux seuls peuvent témoigner de ce qu’ils vivent et non de ce qui les possède.
Une « maladie mentale », ce n’est pas autre chose que ce que vivent les patients : leur mal-être, leur souffrance, leur désarroi, leur perdition pour certains, leur île déserte pour d’autres. Leur maladie mentale, c’est leur façon de vivre.
Que la tristesse s’exprime de la même façon chez plusieurs ne signifie pas que, les rencontreriez-vous chacun en particulier, ces plusieurs soient atteints de la même maladie de la tristesse ! Que plusieurs perdent la tête ne signifie pas que la façon plus ou moins commune de vivre cette épreuve soit une « maladie » qui s’est emparée d’eux ! Que les traits communs à ces façons singulières donnent existence à une « maladie » commune !
Depuis plus d’un siècle, la psychiatrie occidentale essaye de définir les traits qui rassemblent ceux qui sont tristes, ceux qui ont perdu la tête, ceux qui s’angoissent, ceux qui quérulent, ceux qui procèdent…etc. De rassembler les traits communs à tous les « attristés », les « perdus la tête », les « angoissés », les « quérulents processifs » et de donner ensuite consistance à ces « entités », leur proposant le nom de « maladie mentale ». Et de décider que si tel ou telle présente quelques-uns de ces traits communs, il présente cette « maladie mentale » qui aura telle histoire (évolution clinique), tel avenir (pronostic), et que, pour en changer, il faudra suivre tel ou tel chemin (traitement).
Mais peut-être n’y a-t-il pas de maladie mentale, mais uniquement des malades mentaux, et que la « maladie mentale » n’est alors rien d’autre que ce que vivent ceux qui souffrent dans leur âme ?
Certains y tiennent d’ailleurs comme à eux-mêmes, au point de ne pas vouloir en changer, même si cette façon de vivre rend la vie douloureuse voire impossible à eux-mêmes ou à leur entourage. A cette façon de vivre, beaucoup tiennent, même s’ils s’en plaignent.
Mais quoi qu’il en soit, nous ne pourrons rencontrer la maladie mentale qu’à travers le témoignage de ceux qui la vivent, parce qu’elle n’existe nulle part ailleurs. La maladie mentale n’est pas autre chose que ce que vivent les patients, et ne se rencontre nulle part ailleurs qu’à travers le témoignage qu’ils nous font de leur vie quotidienne.
Il n’existe d’ailleurs aucune preuve « objective » de maladie mentale. Ni dans le sang, ni dans le cerveau, ni dans le code génétique. La maladie mentale est ce que les patients vivent, ni plus ni moins. Ce qu’ils vivent et dont eux seuls peuvent nous parler.
- Les consultations de Timbo, Thiaguel Bori et Télimélé :
J’aurai rencontré avec mes collègues guinéens 148 patients (voir « annexe un »).
Premier constat : tous les malades sont présentés par un tiers (sauf 2 sur 148[1]).
Les propos des tiers ne portent pas sur la maladie mentale ou sur le malade mental mais sur :
- Les troubles de « l’ordre public » qu’il produit,
- Selon des termes qui n’appartiennent ni à la maladie mentale ni au malade mental mais qui appartiennent à la bienséance, à la politesse, au respect, à la discipline, à l’obéissance.
- Ou sur la description comportementale ou circonstancielle des « crises[2]».
A travers ces griefs, se dessine un contexte social qui semble très normatif, laissant peu de marge de manœuvre à ses membres dont les chemins semblent balisés de longue date.
Il semble d’ailleurs qu’en cas de conflit majeur, quitter la famille soit impossible ou irréversible, ce qui poserait la question de l’échec et du retour. L’histoire de plus d’un patient schizophrène est celle d’un départ « à l’aventure » qui n’a pas abouti (à la séparation effective ?) et d’un retour sans plus de futur possible.
Peut-on s’autoriser à penser ? Peut-on prendre la liberté de penser ? Je ne rajouterai pas : penser « par soi-même », parce qu’il est impossible de le faire autrement. Peut-on prendre la liberté de penser ou ne peut-on qu’obéir, c’est-à-dire faire siens les impératifs d’un Maître ? N’est-on pas toujours – en Afrique – le petit d’un plus grand ?
La fréquence de l’utilisation du mode grammatical de l’impératif dans les relations quotidiennes est d’ailleurs révélatrice, à notre avis, de cette organisation hiérarchique des relations humaines.
Comment dit-on « liberté » en poular, condition de la pensée ? « Hèttaré » (être dans le miel, être au-delà du besoin, avoir du temps-libre) ? « Hèttikè » (être libre comme l’est le prisonnier lorsqu’il a purgé sa peine, être hors mainmise) ? « Hèttougol horémoun » ? Ces mots conviennent-ils pour dire la liberté de penser, pour dire l’émancipation, la fluidité, l’envol, la légèreté[3] ?
Mais trop de liberté peut rendre fou : et si la folie – comme nous le rappelait une patiente de Télimélé – n’était qu’un excès de liberté ? Ses mots – avions-nous soutenu – avaient trop de liberté les uns par rapport aux autres : ils en perdaient non leur compréhensibilité mais leur sens, définissant ainsi la « dissociation » schizophrénique.
Et si c’était la même chose pour les individus ?
Mais la description par les tiers des supposés symptômes de la maladie mentale portent sur des critères non discriminants en termes de nosographie psychiatrique même s’ils dessinent un « être » qu’il faudrait alors appeler non « maladie mentale » mais « maladie sociale », « être » qui serait ce qui d’un de ses membres se produit de désordre non dans son mental mais dans le social, cet espace partagé dont il est l’un des autres.
Il semble d’ailleurs exister ce que j’appellerais des mots double-face : l’une face renvoyant à une nosographie médicale, l’autre face à l’ordre social. Le mot « crise » en est certainement un.
Les médecins affectionnent ces termes double-face dont l’usage semble satisfaire tant la famille que son savoir médical. Mais ils laissent peu de liberté de pensée et excluent le patient. Ce sont des outils conceptuels à usage restreint.
Pour le médecin guinéen, il n’est pas simple de se dégager de cette « maladie sociale » que lui présente la famille, et qui prend consistance prioritairement, pour s’ouvrir à un autre monde, celui de la « maladie mentale » au sens occidental du terme.
Et dans cette configuration première, la demande du patient est inexistante. En Europe, c’est sur cette demande du patient que se fonde la relation qui nouera le patient à son thérapeute et donnera autant la forme qu’elle définira la mise du patient dans ce qui, dans cette relation, aura à se jouer, au point que d’aucuns la considèrent comme condition nécessaire à tout travail psychothérapeutique.
Il est important de distinguer la demande de la famille de la demande du patient. Le plus souvent, la famille demande d’atténuer les comportements asociaux, déviants, dérangeants. La demande des patients, elle, n’est pas toujours de guérir. Ces demandes sont parfois contradictoires. Qui aurons-nous à entendre ? Certes les deux : la famille autant que le patient ! Mais comment ensuite orienter notre action ? Qu’avons-nous à privilégier ? La demande de la famille ? La demande du patient ?
D’autant que la norme des uns n’est pas la norme des autres. Pour un névrosé (ce que nous sommes tous peu ou prou), la normalité, c’est sa névrose. Pour un psychotique, la normalité c’est sa psychose. Pour un pervers, la normalité c’est sa perversion. Ce qui ne signifie pas que ces façons de vivre soient socialement acceptables !
Mais comment concilier tout cela ? Ce n’est pas toujours possible !
Alors, qui avons-nous à écouter ? La famille ? Le patient ? La norme ? Mais laquelle ?
Une chose essentielle : à la différence de ce qui se passe en médecine organique, la nosographie psychiatrique occidentale trouve ses déterminants dans les propos des patients. Dans ce qu’il dit, lui, le malade mental.
En ce sens, je ne partage pas l’avis de ce guérisseur rencontré il y a longtemps près de Mamou. Il soignait les enfants. A la question que nous lui posions : « Est-ce que tu écoutes les enfants ? », il nous a répondu, après nous avoir fait répéter la question et pris le temps d’une longue réflexion : « Mais pourquoi écouter les propos d’un enfant malade (mental) puisqu’ils viennent d’une tête, d’un cerveau, d’un esprit malade ? ». S’il m’avait posé la question, je lui aurais répondu : parce que sa maladie n’est nulle part ailleurs que dans ce qu’il nous dit ! Et qu’il n’y a pas d’autre lieu pour l’entendre, la découvrir, la lire, la comprendre !
Dissociation, délire, hallucinations, angoisse, perte de l’élan vital, velléité suicidaire, tachypsychie, obsession, vision, etc. n’existent qu’à travers les énonciations des patients, les propos qu’ils tiennent effectivement lors de l’entretien, et non d’énoncés qu’ils auraient faits précédemment et que des tiers rapporteraient, même si ceux-ci permettent parfois d’orienter quelque peu les choses.
Mais en Guinée, les énoncés des malades rapportés par la famille portent plus sur la « maladie sociale » (le trouble de l’ordre social que provoque le patient. P.ex. : « il dit des injures » alors que nous dirions qu’il tient des propos délirants) que sur ce qu’a effectivement dit le malade mental. Aux propos des patients, la famille semble n’accorder que très peu d’importance. Et la question : « Mais le malade, qu’est-ce qu’il dit ? » – qu’il nous arrive de poser trop souvent au tiers accompagnant – suscite le plus souvent la plus grande perplexité.
Une fois entendu le tiers (et une fois dégagés les a priori que ses propos auraient eu tendance à figer), le médecin peut débuter l’anamnèse et interroger le malade.
L’anamnèse médicale, dans sa forme, porte sur des items précis, qui sont autant de réponses du patient au médecin aussi congruentes que celle du berger à la bergère. Lorsque ça se passe bien, le malade répond aux questions qui, pour le médecin, sont autant de flèches biunivoques (à une question sa réponse, et une seule réponse à chaque question) qui lui indiquent le chemin dans un arbre décisionnel dont le parcours le conduira au diagnostic et donc au traitement. L’arbre est rarement très ramifié, et le nombre d’embranchements souvent restreint.
Cette étape est certes nécessaire en psychiatrie – raison pour laquelle celle-ci garde des liens étroits avec la médecine –, en particulier en Guinée, où 45% des maladies diagnostiquées lors des consultations spécialisées pour les malades mentaux[4] relèvent de la neurologie ou de la neuropédiatrie (épilepsie, démence, syndrome frontal, trisomie 21, retard de développement d’origine congénitale ou acquise, etc.). C’est là – lors de cette anamnèse – que pourra s’interroger, se questionner, se laisser examiner, si nécessaire, le corps du malade en tant qu’il est l’objet du savoir médical.
Mais le piège du style « question/réponse » fonctionne comme « attrape-diagnostic ». J’appelle « attrape-diagnostic » un dispositif qui agit avec les diagnostics comme les pièges ad hoc avec les mouches : un « attrape-mouche » sert à ce qu’elles s’y collent sans plus pouvoir s’en dégager. Et si le premier « attrape-diagnostic » est posé par le tiers accompagnant, le second le sera par le médecin lui-même lorsqu’il s’en tient à la forme et à la syntaxe de l’anamnèse médicale pour interroger son patient. En effet, aucun patient halluciné ne répondra oui à la question du médecin : « Est-ce que tu entends des voix ? » ; pas plus que, alors qu’il est persuadé que la terre entière le poursuit de ses foudres, le patient ne répondra : « Bien évidemment ! » à la question du médecin : « Est-ce que tu délires ? ».
Ces découvertes ne peuvent se faire qu’en donnant la parole au patient, selon un style qui n’est pas celui – anamnestique – des questions/réponses.
Mais c’est là que ça se complique, puisque cette étape semble ne pas avoir été franchie par les tiers accompagnants et est étrangère – parce qu’inutile le plus souvent (et, diront certains médecins, franchement encombrante) – à la démarche strictement médicale.
C’est là pourtant, dans l’écoute du patient, que s’ouvrent les portes de la psychiatrie.
La démarche psychiatrique arrive donc en troisième temps, et fait décentrement. Décentrement d’avec les plaintes des tiers d’abord (le premier « attrape-diagnostic » qu’il faut dépasser, ce que j’ai appelé la « maladie sociale »), et décentrement d’avec l’anamnèse médicale et l’examen somatique ensuite (le second « attrape-diagnostic » dont il ne faut pas se contenter).
Ecouter le patient fait apparaître alors le champ dans lequel pourront se déployer les symptômes cardinaux de la clinique psychiatrique, et uniquement à cette condition. Par exemple : il n’y a pas de dissociation de la pensée (symptôme majeur de la clinique de la schizophrénie : 25% des consultations) si l’on ne laisse pas au patient l’occasion d’exprimer sa pensée ! Et lui donner l’occasion d’exprimer sa pensée est lui donner l’occasion de prendre la parole à la première personne (et pas simplement de répondre aux questions). Et le patient ne révèlera l’existence du monde intérieur qui le fait souffrir qu’à la condition qu’il accepte de nous le livrer, avec toutes les réserves qu’exige un tel aveu. Ce qui, soit dit en passant, demande un cadre pour ce faire. Comment recevoir la parole d’un patient si les conditions de confiance et les garanties de confidentialité ne sont pas présentes ?
C’est dans ce champ-là, et uniquement celui-là, que pourra s’ouvrir la question du sens de la maladie. Encore faut-il lui en donner l’occasion. Parce que, des divers témoignages recueillis, il nous faut bien constater que, simplement dit : La maladie mentale n’existe qu’à condition de lui donner l’occasion de se dire, et de l’entendre là où elle se dit : dans la parole du patient.
Ce qui signifie qu’il faut au minimum être deux pour qu’existe une maladie mentale.
La clinique occidentale de l’hystérie, par exemple, nous avait conduits à cette évidence : l’hystérie est la seule pathologie qui ne se définit pas par ses symptômes mais par la structure de son discours[5].
Mais c’est à l’ensemble des pathologies neuropsychiatriques qu’en Afrique cette évidence peut s’appliquer :
En tant que maladie « sociale », la maladie « mentale » trouve aujourd’hui en Guinée son expression dans… le social[6]. Plus précisément, son expression s’articulera dans des « Discours » (essentiellement ceux de la sorcellerie, de la magie et de la religion) en tant que ceux-ci font lien social. En tant que maladie « sociale », la maladie « mentale » s’efface, tout simplement. Elle s’efface comme on dira que le petit s’efface devant plus grand que lui. Elle lui cède la parole. Nous dirions qu’elle continue à courir, mais entre les lignes des Discours, et pas toujours à la même place.
Par exemple à travers le Discours de la sorcellerie :
Dr X[7]. : « Un cas de trouble du comportement à type de sensation de mauvaise odeur dans une maison particulière chez une patiente de 86 ans, qui vit il y a environ un 1 an 6 mois chez sa fille, qui accuse un inconnu d’être à la base de cette situation à travers la sorcellerie. Nous avons suggéré à ce qu’elle déménage chez sa deuxième qui vit dans un autre village où elle ne sent rien, ne serait-ce que pour deux mois, le temps de désorceler la maison, et un conseil aux deux filles de la faire changer de localité fréquemment ». Le Dr X. ne discrimine donc pas ce qu’une lecture occidentale (qui s’appuierait sur la structure du « dire » de la patiente) reconnaîtrait sans doute comme un délire de persécution mais bien une attaque de sorcellerie recevable dans le discours de ladite sorcellerie, discours qui fait lien (social) entre la patiente, ses filles, un sorcier inconnu et les voisins, anciens et nouveaux.
Ou le Discours de la religion :
Dr X. : « Un cas de notion de crises épileptiformes non rapprochées selon la description du papa chez un enfant, X…, 5 ans, qui a fait plus de 6 mois sans faire de crise sous versets coraniques (Ayat Al-Kursi ; Lakhat Jaa-koum) que son papa récite sur lui souvent et que nous avons conseillé de le continuer ». Que la présence attentive du papa puisse quelque peu aider ce fils (parce que, quand même, où était-il avant les « crises », celui-là ?) ne semble pas retenir l’attention du clinicien africain, qui privilégie l’efficacité de la lecture de certains versets du Coran.
Ou le Discours de la magie :
Lire en « annexe trois » (p. 19) le récit et les commentaires du Dr X. au sujet des diables tentateurs. Les commentaires du Dr X. sur la présence du « sexuel » dans ces situations sont suffisamment explicites, mais sans pour autant faire l’objet d’une mise au travail, d’une possible interrogation de sa sexualité par la patiente. Il s’agit d’un constat, sans plus, qui reste sans suite et sans conséquences subjectives (systématiquement évitées) pour la jeune fille. La « stratégie » mise en place le sera, quant à elle, sous le sceau du secret (équivalent « social » du refoulement ?) à l’égard de la famille.
Les Discours de la sorcellerie, de la religion, de la magie ferment toute possibilité au malade mental de se faire entendre, de dire « je », et à fortiori d’en produire un quelconque savoir sur lui-même et sur son égarement. Le patient reste parlé par les discours.
Ces trois Discours, que nous nommerons des Discours « établis »[8] (au sens de constitués, stables, consistants) ne sont pas des exosquelettes qui donneraient forme aux propos du patient, ni des paravents à son errance, ni des étouffoirs à l’énonciation de la folie, mais dépossèdent cependant le patient des risques de l’énonciation. Des risques de la prise de parole à la première personne.
Concernant par exemple les diables tentateurs et dans le cadre « stratégique » qu’il a mis en place, ne pas éviter les conséquences subjectives de l’implication du sexuel dans les « crises » relatées par les patientes exposerait le Dr X., comme il le précise à raison, à être interpellé/sollicité/demandé… à titre personnel.
Mais n’est-ce pas ce qui a permis à Freud en Europe la découverte de l’inconscient ? Certes, mais en forgeant – pour le permettre – le concept de « transfert ».
Le Dr X., lui, prend des risques – il en a conscience (?…) – en assumant en son nom la substitution de sa personne à celle du diable.
Freud fut plus prudent – et plus humble peut-être – en faisant remarquer à sa patiente qu’il n’était lui-même qu’un substitut (parental, à l’époque), mettant en suspens sa propre personne. En effet, Freud ne s’attribuait pas le pouvoir de séduction qu’il reconnaissait à son collègue Joseph Breuer. Il a eu l’astuce, heuristique, de mettre les fantasmes de ses patientes à lui adressés sur le compte du « transfert » sur sa personne.
Remarquons que cette découverte de l’ambigüité[9] relationnelle dont se forge le transfert dans sa dimension relationnelle est bien celle qui est à l’origine du mot « personne »[10] dont le sens premier (chez les romains) est « masque (de l’acteur) », pour ensuite dériver en « rôle, caractère », puis « personnage », « individualité » (dont celle de la « personne morale ») pour signifier enfin la signification actuelle de « une « personne »[11] mais qui garde vivante et tangible toute l’équivoque qui s’entend toujours entre, par exemple : « une belle personne » et « Mon nom est personne ».
Cela a conduit Freud à forger une conception de la sexualité qui mérite le nom de « vérité » pour autant qu’elle mette le doigt sur les mensonges que les sociétés tissent relativement à ce pan de l’existence humaine, et non sur une conception de celle-ci qui la réduise à la satisfaction d’un besoin physiologique, tout « naturel » fut-il.
Quitter l’ordre « naturel » pour introduire la notion de « « vérité » (et donc de mensonge) dans le champ de l’Eros fut fondateur des prémices qui aboutiront à l’isolement par Lacan d’un quatrième Discours. Mais il ne fut rendu concevable par celui-ci qu’à partir de ce que Freud a découvert en acceptant de mettre en suspens sa propre « personne » (au sens de son « individualité ») pour occuper la place vide (pour n’être plus que le « masque ») qui en permettait la fonction et de donner ainsi à cette place son efficacité.
Notons que seul ce quatrième Discours (qui peut exister partout ailleurs qu’en Occident sous d’autres formes et d’autres noms à découvrir[12]) met le sujet au travail. Mais son agent n’est ni le Pouvoir, ni le Savoir, ni le Sujet lui-même qui ne peut être à la fois l’« agent » et l’« autre » de son propre discours. Son agent ne peut être qu’une fonction purement suspensive, la place vide de tous les possibles.
Ce quatrième Discours est éminemment instable, de par sa structure même. Il est cependant la condition nécessaire et suffisante qui pourrait permettre à la patiente la circulation entre les trois autres, et sa sortie de l’impasse qui l’y laissait en souffrance.
Ecouter la folie en Afrique égratigne peut-être quelque peu les Discours établis (de la sorcellerie/de la magie/de la religion) et pourrait faire dire que cet acte déconsidère le sorcier, le guérisseur et l’imam autant qu’il mettrait à mal la fonction régulatrice de leurs Discours. Mais il ouvre à une exigence de subjectivation et d’implication personnelle dont les conséquences sont sans doute encore insoupçonnables lorsque les pièges en sont déjoués.
Ecouter la folie en Afrique subvertit peut-être aussi un certain ordre établi, là où la réponse occidentale essentiellement médicamenteuse – et donc insensée – s’est aujourd’hui substituée aux Discours traditionnels tels qu’ils existent encore en Afrique. Est-ce pour cette raison que le pronostic de la schizophrénie est d’autant meilleur que le niveau économique du pays du patient est moins élevé[13] ?
Quoi qu’il en soit, soigner les fous en Afrique se révèle être encore possiblement un acte authentiquement politique. Parce que la folie l’est encore également, étant elle aussi (une « maladie ») inscrite dans la dimension « sociale » ?
De cette clinique africaine des Discours, reste cependant ceci. Une expérience, selon les dires de certains, semblerait échapper à toute inscriptibilité discursive : les psychoses[14] en général et la schizophrénie en particulier. Mais détrompons-nous : ses leçons sont ailleurs (« annexe deux » : les schizophrénies).
- Quelques conséquences dans l’exercice de notre profession.
Entretien en trois temps :
- La demande du tiers.
- L’anamnèse du patient (questions/réponses) et l’examen clinique.
- Le dialogue avec le patient et la question éventuelle de la « maladie sociale/mentale ».
Ensuite, on réfléchit, on pèse le pour et le contre et on décide d’un éventuel traitement en tenant compte de tous les éléments.
La décision n’oblige pas à la prescription médicamenteuse !!!
Ecouter la famille, c’est bien (c’est la dimension « sociale » de la maladie), écouter le patient, c’est mieux (c’est la dimension « mentale » de celle-ci) !
Etre désobéissant en famille n’est pas nécessairement le symptôme d’une maladie sociale/mentale !
Le premier médicament, c’est le médecin.
Pas de traitement sans diagnostic !!!
Pas de diagnostic par exclusion (« je ne trouve rien d’autre pour expliquer ce qui se passe, j’ai exclu toutes les autres causes organiques, donc c’est mental ») !!!
Un diagnostic psychiatrique est un diagnostic positif (il y a tel ou tel symptôme, signe, trouble, etc.) !!!
Pas de traitement neuroleptique à l’essai !!!
La régularité d’un traitement neuroleptique est plus importante que la dose cumulée de produit (un demi comprimé tous les jours et non 4 comprimés en une prise tous les huit jours).
Les injections IM ne sont pas plus efficaces que les prises « per os » (par la bouche). L’administration IM de neuroleptiques sédatifs ne se justifie qu’exceptionnellement en cas de grande agitation, de nécessité de traitement immédiat et de refus de prise du produit per os par le patient.
L’Halopéridol n’est pas sédatif !!! La molécule a un effet « antipsychotique » qui devient cliniquement manifeste après trois semaines d’utilisation lorsque l’indication a été bien posée et que la prise quotidienne régulière a été respectée.
Pas de neuroleptiques aux enfants !
La question éventuelle de la maladie sociale/mentale est autant la question de savoir si ce patient est « malade mental » (le diagnostic psychiatrique) que la question que pose la maladie au patient, à sa famille et à nous-mêmes à partir du moment où nous sommes pris-à-partie comme soignants.
La question du sens de la maladie (la dimension « psychopathologique ») s’ouvre au fur et à mesure de l’écoute du récit par le patient de sa vie et de sa « maladie sociale/mentale ».
Les explications traditionnelles (diables, truquages, sorcellerie, etc.) ne sont ni à disqualifier ni à encourager. Elles sont à entendre comme autant de clés pour comprendre les enjeux que représente la maladie mentale dans son contexte familial et social.
Un patient compris est un patient guéri. Guéri de la solitude et de l’isolement qu’engendre sa « maladie sociale/mentale ». Guéri de la stigmatisation que sa maladie engendre.
Qualifier de « névrotique » ou d’ « hystérique » une jeune fille qui se pâme devant un diable tentateur peut être aussi stigmatisant pour cette patiente que les propos disqualifiant tenus à l’égard d’un patient psychotique.
La cause de la maladie mentale n’est pas la drogue ou la cigarette. La drogue ne rend pas fou.
La schizophrénie n’est pas une « psychose toxique ».
Le cannabis à forte doses régulières peut révéler une maladie qui n’attendait que la première occasion pour s’exprimer. Il n’est pas la cause de la maladie.
CIM-10[15]: les troubles psychotiques induits par une substance psycho-active doivent être distingués des autres troubles psychotiques, notamment de la schizophrénie. Ils disparaissent souvent rapidement après l’arrêt de la consommation. Dans de tels cas, les erreurs de diagnostic peuvent avoir des conséquences graves et couteuses, aussi bien pour le sujet que pour les services de soin.
- Conclusions
Pertinence de la démarche.
Le nombre de consultants fut important. Mais sans doute ne faut-il pas se laisser trop impressionner par les chiffres :
– Il s’agissait d’une « première », concentrée sur deux ou trois jours et annoncée par les médias (un « troubadour » – dixit Mr Bah sans humour aucun – au marché hebdomadaire et à la radio locale).
– La présence d’un médecin européen a été un facteur renforçant l’attractivité de l’évènement explicitement avoué par les familles et les patients.
Seul l’avenir permettra de savoir si l’initiative répond au long cours à une demande de soins effective, et si les soignants des trois centres de santé maintiendront leur intérêt pour les questions de santé mentale sur le long terme. Il faut en effet reconnaitre que cette pratique est très éloignée de la pratique strictement médicale du généraliste de première ligne, et que la cohabitation de ces deux exercices ne va pas de soi.
Rappelons-nous à ce sujet qu’au centre de santé de FMG à Conakry, qui pourrait prétendre à être le centre de référence, ce ne sont pas les médecins généralistes qui reçoivent les malades mentaux mais deux professionnels de la santé non médecins qui se sont « spécialisés » dans cette pratique qu’ils exercent dans des locaux séparés de ceux où s’exerce la médecine générale, pour des raisons historiques sans doute, mais également sans doute parce que cette situation satisfait plus d’un (les non médecins qui trouvent dans cette spécialisation une valorisation de leur statut antérieur de paramédical, les médecins tout autant qui s’en trouvent déchargés de ces préoccupations). Ce n’est pas le cas, me dit-on, dans les autres centres de santé de FMG à l’intérieur du pays, que nous n’avons pas rencontrés lors de cette mission.
Importance des pathologies neurologiques.
Les épilepsies (2 à 3 fois plus fréquentes en Afrique sub-saharienne qu’en Europe[16]), les retards de développement, les débilités, les maladies neuropédiatriques congénitales ou acquises précocement, les syndromes psycho-organiques traumatiques, les démences représentent une proportion très importante des consultations.
Les diagnostics, lorsqu’ils sont possibles, le sont uniquement sur base de l’anamnèse du patient, de l’hétéro-anamnèse et de l’examen clinique (souvent peu contributif) sans aucun outil complémentaire.
Concernant les épilepsies, seuls existent en Guinée 4 appareils à enregistrement EEG, uniquement dans le réseau privé (clinique sino-guinéenne, Prof. Cissé, Prof. Sélé, clinique Ambroise Paré), uniquement à Conakry.
La question pourrait se poser d’en doter le centre de santé de Labé et de former un médecin/technicien à la lecture des tracés (aidé en cela par un programme d’analyse informatique ou par consultance à distance via internet). Une participation financière acceptable par les populations amortirait rapidement le coup de l’appareil d’enregistrement (acquis d’occasion ou reçu d’une institution hospitalière qui renouvelle son matériel ?) au vu du nombre de patients. Cet appareil d’enregistrement serait d’une aide précieuse pour orienter les traitements antiépileptiques de façon non exclusivement empirique comme c’est le cas actuellement.
La question du handicap mental.
Les enfants atteints de handicap mental congénital ou acquis suite à une pathologie cérébro-méningée sont laissés sans soins ni attention particulière. Si un traitement médicamenteux est le plus souvent sans espoir, des conseils pédagogiques, des programmes de rééducation et de réadaptation avec ou sans appareillage spécialisé seraient d’une aide très précieuse pour ces enfants et leur famille, actuellement livrés à leur sort et permettraient surement d’envisager la mise en place de mesures simples pour sortir ces enfants de leur isolement et rendre espoir aux familles.
La « stratégie » becobo (cf. Annexe 3).
La prise en charge des adolescentes présentant ces manifestations qu’il est convenu d’appeler « hystérie collective » dans une certaine littérature (un tiers des pathologies psychiatriques rencontrées) et que nous avons décrites p 19 et 20 (annexe trois) n’est pas sans poser plusieurs questions particulièrement intéressantes dans des champs fort différents que je développe ci-dessous, étant entendu que ces développements, au départ de ce que je nomme la « stratégie » becobo, peuvent s’appliquer aux autres pathologies psychiatriques.
- Sur le plan psychopathologique.
Rappeler peut-être ces quelques lignes de Freud[17] : « Les possessions correspondent à nos névroses, pour l’explication desquelles nous recourons à nouveau à des puissances psychiques. Les démons sont pour nous des souhaits mauvais, réprouvés[18], des rejetons de motions pulsionnelles écartées, refoulées. Nous récusons seulement la projection dans le monde extérieur que le moyen-âge faisait subir à ces entités animiques ; nous leur faisons prendre naissance dans la vie intérieure des malades, là où elles ont leur demeure ».
En d’autres termes, « diable » est un nom (un signifiant, dirons certains) auquel il n’y a pas lieu de donner un contenu réaliste ; un nom qui opère comme une « clé pour comprendre les enjeux que représente la maladie mentale dans son contexte familial et social » (p. 9 du présent rapport). « Diable » est un nom, un mot-outil qui permet de bricoler un sens là où celui-ci fait défaut sans pour autant renvoyer à une réalité autre. Un nom, un mot-outil sans contenu réaliste.
Remarquons que ce n’est pas le cas de la « stratégie » becobo qui donne consistance à ce contenu au détriment du sens.
Quant à mes réflexions concernant les enjeux subjectifs engagés, je pense les avoir développées plus haut (pp. 6 et 7) et n’y reviendrai pas.
- Sur le plan « formation des membres de trois nouveaux centres de santé ».
Interrogé dès le matin du premier jour lors des trois journées de formation à Labé par les médecins des nouveaux centres de santé impliqués dans le programme FMG-Mémisa, j’ai personnellement, et sans concertation avec quiconque, désapprouvé cette pratique. J’ai été immédiatement soutenu et suivi par le directeur exécutif de FMG, alors que nous n’avions pas eu l’occasion d’échanger nos points de vue à ce sujet. Notre position commune a manifestement soulagé les médecins des trois centres de santé autant que le très officiel représentant des guérisseurs traditionnels de la préfecture de Labé, présent à la formation, qui ne pouvait accepter – selon ses dires – qu’un médecin prenne la place d’un diable (sans savoir pour autant qui faisait injure à qui dans cette substitution).
Il m’a semblé nécessaire de ne pas laisser cette « stratégie » faire école auprès des médecins et soignants des trois centres de santé publics, supervisés par les représentants des Directions Préfectorales de la Santé, présents à la formation, pour des raisons qu’il me semble essentiel de préciser
- Sur le plan éthique.
Dire que la « stratégie » becobo ne relève pas du champ de la psychiatrie mais de celui qu’occupent les guérisseurs traditionnels n’est peut-être pas tout à fait faux mais reste une affirmation à préciser. Et, quoi qu’il en soit, en quoi une pratique « traditionnelle » exercée par un soignant se révèlerait-elle inacceptable dans un centre de santé alors qu’elle est approuvée (ou n’est pas interdite) lorsqu’elle est exercée par un guérisseur traditionnel ?
D’aucuns diront : parce que la stratégie « becobo » ne relève pas d’une logique scientifique.
Mais peut-on l’affirmer de la psychiatrie dans sa démarche clinique ? D’autre poseront que les stratèges de becobo ne peuvent adhérer aux hypothèses diaboliques qui fondent sa pratique dans un tel lieu de soin qu’est un centre de santé. Mais cette adhésion est-elle nécessaire pour qu’elle soit efficace ?
Alors…
La médecine organique doit son efficacité parfois redoutable à ses références aux sciences qu’il est convenu d’appeler « dures » ou « exactes ». La physique, la chimie, les mathématiques sont des outils particulièrement solides et efficaces pour établir les lois de la physiologie et en déduire les errements (les pathologies). La méthode anatomoclinique a fait ses preuves depuis Claude Bernard[19], et devient de plus en plus fine, allant aujourd’hui débusquer les mécanismes en cause au niveau moléculaire. Ces progrès sont admirables, mais…
Mais ce n’est là qu’une des faces de la médecine organique. L’autre face est celle de la relation médecin-malade, qui elle, ne relève pas des sciences « dures » ou « exactes » mais des sciences humaines (qui ne sont ni molles ni inexactes pour autant). Et la pratique quotidienne de la médecine générale est l’art de conjuguer d’un ton pas trop discordant relation médecin-malade et « savoir » médical.
Concernant la psychiatrie, les choses sont plus compliquées, n’en déplaise à certains, qui voudraient fonder l’exercice de la psychiatrie sur ce même modèle : une face « scientifique » (qui relèverait de sciences dites dures ou exactes : les « neurosciences »), une face « relationnelle » (qui relèverait des sciences humaines). Plus d’un n’hésiterait pas d’ailleurs à éjecter les références aux secondes pour donner toute la place aux premières. C’est la position des tenants de l’APA (American Psychiatric Association), auteurs des DSM et de son petit frère pour les pauvres, le mhGAP soutenu par l’OMS.
Rappeler ici que le DSM V est un échec pour ses promoteurs américains n’est peut-être pas inutile : il se voulait un manuel diagnostique qui se fondait sur des biomarqueurs « objectifs » (dosages sanguins, tests biologiques, imagerie médicale, enregistrement EEG ou autres, analyse génétique, etc.). Jusqu’à présent, aucun de ces biomarqueurs n’a permis de poser un diagnostic psychiatrique. Au contraire. Plus ils cherchent et plus ça se complique…
La difficulté, à mon humble avis, est que le cerveau, comme le code ADN, sont des organes « connectés » (comme on le dit des Smartphones et autres gadgets électroniques), et qu’ils se modifient au fur et à mesure de leurs connexions et des conditions de leur utilisation[20]. En fait, il nous faudrait concevoir que le dispositif corps/pensée/environnement tant physique qu’humain est un réseau en feed-back dynamique permanent et qu’il n’existe pas de causalité univoque linéaire. La référence aux neurosciences permet donc de donner des assises solides pour qui souhaite rendre compte des pathologies neurologiques (épilepsies, démences, etc.), mais reste incapable de rendre compte – à elles seules – des pathologies psychiatriques pour lesquelles appel doit être fait aux sciences humaines.
De celles-ci, nous apprendrions par exemple que l’exercice de la psychiatrie se fonde sur des principes qui se réclament plus de la philosophie[21] ou de la logique[22] que de la physique ou de la chimie ; que les théoriciens de la parole dans sa dimension thérapeutique (les psychanalystes) ont produit un savoir incontournable depuis plus d’un siècle ; Ou que l’anthropologie nous rappelle que les interrogations des guérisseurs traditionnels au sujet de leur pratique et de leur adhésion à ses principes est beaucoup plus compliquée qu’il ne pourrait paraitre[23] et que réfléchir la maladie mentale comme « Fait Social Total »[24] permet de la concevoir selon un réalisme provisionnel (un « comme si… ») qui lui évite ce que la stratégie « becobo » réserve comme sort aux diables de Guinée, c’est-à-dire à leur donner consistance.
Alors, pourquoi la pratique de la stratégie « becobo » nous est-elle inacceptable si la psychiatrie elle-même est aussi peu scientifique (au sens des sciences exactes) et s’il n’est pas nécessaire d’adhérer à une épistémologie diabolique pour en produire une action efficace ?
Je répondrai simplement : parce que cette pratique est inavouable.
Inavouable à la patiente autant qu’à sa famille. Sera-t-il acceptable par les patientes et leur famille d’entendre que le médicament prescrit depuis des mois peut-être n’a aucune efficacité pharmacologique et que la mise en scène proposée à celle-ci lors de l’apparition du « diable » est un scénario digne du Magnéto de l’univers Marvel ?
D’autre part, la stratégie « becobo » est inacceptable parce qu’elle fait fi de la vérité dont le symptôme est une des expressions. Nous pourrions aller jusqu’à dire qu’elle participe à son refoulement.
Et, in fine, ce qui est inacceptable, c’est que nous le savons et que le savoir ne nous empêcherait pas de la proposer aux patientes et à leur famille.
C’est donc à l’aulne de la vérité, tant dans sa dimension objective (« scientifique » diront certains) que subjective (celle de la patiente, de sa famille autant que du symptôme lui-même) qu’il me semble devoir refuser cette stratégie. La vérité à laquelle ont droit les patientes, la vérité à laquelle ont droit les familles, la vérité dont est porteur le symptôme et que la stratégie méprise. La vérité qui est notre devoir de soignant.
Si nous étions sévères, nous parlerions au sujet de cette stratégie d’une escroquerie. Mais ne soyons pas trop sévère et posons-nous la question : Comment une telle pratique a-t-elle pu s’installer au sein des centres de santé de FMG, à l’insu du directeur exécutif de l’ONG qui l’a découverte en même temps que moi ?
- Comment une telle pratique a-t-elle pu s’installer au sein des centres de santé de FMG ?
Cette question est délicate mais incontournable, en particulier en ce début d’une nouvelle action.
Des sept membres de la première génération de professionnels de FMG formés pendant quatre ans entre début 2000 et fin 2003 en Guinée, en Belgique et en France à la prise en charge des malades mentaux dans le cadre du projet Sa.M.O.A., quatre ont déserté l’institution dès la fin du projet (ou même pour l’un d’entre eux sans l’attendre) et un cinquième est aujourd’hui décédé.
Ne restent actuellement de cette première génération (et ce dès 2004) au CS de Conakry qu’un médecin qui – à ma connaissance – n’assure pas de consultation de psychiatrie au sein de l’équipe « santé mentale », et une accueillante qui s’y est autorisée mais de façon très indépendante. C’est un paramédical qui s’est proposé dès 2003 pour prendre le relais, participant avec moi, la dernière année du projet Sa.M.O.A., à des consultations mensuelles sur le site naissant de Moriady (Kindia). Nous pouvons le considérer comme de la seconde génération.
Depuis 2004, l’équipe « santé mentale » fut donc livrée à elle-même. Ses membres (essentiellement le paramédical et l’accueillante) ont alors acquis progressivement, de par leur pratique clinique, un évident « savoir-faire » avec les malades mentaux, mais sans lieu de concertation ou de débat théorico-clinique parce que sans interlocuteurs.
Cette équipe se trouve actuellement rejointe par plusieurs jeunes médecins issus de l’Université de Conakry (que j’appellerais de la troisième génération), jeunes cliniciens prometteurs qui souhaitent s’initier à la santé mentale et rédigent sur ce sujet leur travail de fin d’études de médecine.
C’est dans ce contexte qu’est apparue la stratégie « becobo » : un « savoir-faire » qui relève, à mon avis, de la logique du bricolage dont le but premier est de faire taire le symptôme, efficace peut-être mais dans l’ignorance des véritables enjeux que représente la maladie mentale et son traitement.
Que cette stratégie fasse école auprès de jeunes médecins guinéens formés à l’université de Conakry et soit proposée aux médecins et soignants de centres de santé du réseau étatique guinéen en présence de responsables de Directions Préfectorales de la Santé – futurs superviseurs de l’exercice de la psychiatrie dans les nouveaux centres de santé – est difficilement acceptable et révélateur d’une situation qui demandera toute notre attention, notre tact et notre diplomatie, parce que ce n’est pas que dans ce seul domaine (celui de l’hystérie) que se rencontrent ces pratiques.
Je ne les détaillerai pas ici, mais je pense qu’elles n’ont pas à servir d’exemple de bonne pratique pour les générations futures ou les superviseurs des DPS.
Quant à la question d’une approche thérapeutique non médicamenteuse, elle est aujourd’hui à créer, mais donnerait des alternatives aux soignants et des espaces de découvertes par eux insoupçonnés.
- Et, enfin : quelle réponse convient-il de donner à cette situation ?
Nous ne souhaitons pas imposer de l’extérieur les normes d’une pratique psychiatrique qui ne se fonderait pas sur – qui n’émanerait pas de – la réalité quotidienne de la Guinée d’aujourd’hui.
Imposer un modèle de pratique psychiatrique prétendument universel au nom d’une science dont il n’est pas dit que se réclame cette pratique est la démarche suivie par l’OMS. Ce modèle OMS montre ses limites, en particulier en Guinée (je me réfère au travail remarquable du Dr Abdoulaye Sow, sollicité par l’OMS fin 2015/début 2016 afin d’évaluer l’offre de soins en psychiatrie à l’intérieur du pays).
A l’inverse, se trouve le dispositif de formation proposé par le directeur exécutif de FMG qui souhaite partir de l’expérience du terrain, comme ce fut le cas lors de cette première mission.
Nous faisons donc le pari qu’il est possible de transformer en « savoir » transmissible dans de nouveaux lieux de soins la stratégie « becobo », par exemple, autant que les « savoir-faire » accumulés depuis ces treize dernières années par l’équipe FMG, et ce à partir des leçons à en tirer. Faire des erreurs (à condition de ne pas y persévérer…) est parfois une excellente façon d’approcher de la vérité.
Cela sera possible mais à certaines conditions, dont la première est, de la part des soignants concernés, de le vouloir, et d’accepter ce que comporte cette volonté. C’est-à-dire d’accepter de mettre leurs réflexions et leur pratique au service de la vérité, et donc :
- de ne pas savoir (condition pour apprendre) ;
- de réfléchir à ciel ouvert et de partager leurs réflexions (sortir de la logique du secret) ;
- de perdre la position de prestige et donc de pouvoir que confère une telle pratique tant à l’égard des patients que de leur famille et des autres soignants ;
- et de repartir des interrogations premières, fondamentales, élémentaires telles que la clinique nous les donne à entendre mais en tenant compte des savoirs précédemment produits, dans le domaine de la psychiatrie et de la psychopathologie, tant en Afrique qu’en Europe, par les générations qui nous ont précédés.
Nous en avons parlé lors d’une réunion qui a eu lieu à Conakry le jour de mon départ. Le directeur exécutif de FMG a proposé la mise en place d’un dispositif de partage des pratiques et des réflexions théorico-cliniques que ces pratiques permettent, de la rédaction de celles-ci, qui pouvait m’être adressées par mail pour débat jusqu’à mon prochain retour en 2018.
Ce que nous visons est alors non une psychiatrie du symptôme et du silence mais une psychiatrie de la parole. C’est une position éthique que de refuser une psychiatrie du symptôme et du silence (position développée en page 1), une psychiatrie du contrôle des comportements, qui n’espère que le silence du symptôme et l’ignorance du poids de vérité que celui-ci entraine dans son sillon, une psychiatrie qui fait des médicaments les instruments de la normalisation, sans plus.
Nous espérerons plutôt une pratique psychiatrique dont les moyens médicamenteux sont des outils qui rendent au patient la parole dont la maladie mentale était le fourvoiement, parole à entendre une fois celle-ci réapparue grâce, entre autres, à ces moyens. Mais cette parole dont la maladie mentale est le défaut n’apparait pas sans conditions, à élaborer aujourd’hui, à mettre en œuvre demain.
Nous soutiendrons toujours que la psychiatrie commence là où d’autres voudraient lui trouver son achèvement : dans le symptôme disparu pour le second, dans la parole retrouvée pour le premier. Ces positions sont antinomiques.
- Suite ?
D X. (à Labé) : « Mais interroger les choses ne va-t-il pas aggraver les troubles ? »
Dr M. : « Non. Dire la vérité n’aggrave pas le symptôme. Ce qui ne signifie pas que cela soit sans conséquences !!!
Par exemple : Ces jeunes filles, lorsque le diable ne viendra plus les tenter parce qu’elles auront compris ce que signifiait pour elles ces apparitions, deviendront-elles revendicatrices ? Exigeantes ? Fugueuses ? Désobéissantes ?
La maladie mentale est un compromis. Dans l’exemple qui précède : un compromis entre le désir de cette jeune fille, inavouable sans doute, mais pourtant partageable avec d’autres ; une société villageoise traditionnelle répressive et un peu sourde à ces questions ; et un corps adolescent qui change. L’équilibre instable qui s’établit entre ces forces différentes et parfois opposées est ce qui produit la maladie mentale. La maladie mentale n’est pas un désordre naturel mais un compromis entre des exigences, des forces contradictoires sans disqualifications possibles ».
Je terminerai par cette citation d’Alain Prochiantz, extraite de sa leçon inaugurale prononcée le 4 octobre 2007 au Collège de France : « il me semble contraire à l’expérience que l’on puisse voir autre chose que ce qui se peut penser théoriquement. Bref, avant de montrer, il faut souvent avoir démontré ; et c’est quand ce que l’on voit ne « colle pas » que l’affaire devient intéressante. Encore faut-il savoir ne pas rejeter ce qui n’est pas attendu[25] ».
L’avenir s’annonce plein de rebondissements…
Michel DEWEZ Labé / Conakry / Paleyrac, le 30 décembre 2017
Annexe 1 : données quantitatives des consultations
Affections | Timbo | Thiaguel Bori | Télimélé | Total |
Epilepsie | 16 | 18 | 16 | 50 |
Schizophrénie (annexe 2) | 9 | 8 | 11 | 28 |
Diables tentateurs (annexe 3) | 13 | 1 | 12 | 26 |
Débilité – retard de développement | 4 | 3 | 6 | 13 |
Inconnu – Asymptomatique | 3 | 4 | 5 | 12 |
Psychose NS | 2 | 2 | 2 | 6 |
PMD | 1 | 2 | 0 | 3 |
Dépression | 1 | 2 | 0 | 3 |
Syndrome psycho-organique/démence | 0 | 2 | 1 | 3 |
Conflit famille | 0 | 0 | 3 | 3 |
Tr. Comportement sexuel (psychopathie / perversion) | 0 | 0 | 1 | 1 |
Total | 49 | 42 | 57 | 148 |
Proportion des affections | Nombre | % |
Pathologies neurologiques (50 +13 +3) | 66 | 45 % |
Névroses, conflits familiaux, psychopathie/perversion, asymptomatiques
(26 +12 +3 +1) |
42 | 28 % |
Pathologies psychotiques (28 + 6 + 3) | 37 | 25 % |
Pathologie dépressive (3) | 3 | 2 % |
Total | 148 | 100 % |
Proportion des affections dans les situations exclusivement psychiatriques
(148 – 66 = 82) |
Nombre | % |
Névroses, conflits familiaux, psychopathie/perversion, asymptomatiques
(26 +12 +3 +1) |
42 | 51 % |
Dont « Diables tentateurs » (26/82) = 32 % | ||
Pathologies psychotiques (28 + 6 + 3) | 37 | 45 % |
Dont Schizophrénies (28/82 = 34 %) | ||
Pathologie dépressive (3) | 3 | 4 % |
Total | 82 | 100 % |
Annexe 2 : Schizophrénies
148 consultations – 66 problématique neurologique = 82 problématiques psychiatriques.
28 consultations pour schizophrénie sur 82 = 34 %
Réflexions épistolaires :
« De l’ensemble des patients, un quart de schizophrènes qui n’ont jamais connu « lekki porto » (médicament blanc = neuroleptiques) et qui ne s’en portent pas trop mal. Curieusement, ils gardent une présence même après vingt ans de maladie qui laisse perplexe. Ils ont échappé semble-t-il à un des effets des neuroleptiques : cette sorte d’émoussement, de rabotage, d’affadissement que ceux-ci provoquent et que la psychiatrie attribue trop facilement à la maladie elle-même alors que je découvre qu’elle est la conséquence du traitement ! Faut dire qu’il faut aller les chercher un peu loin, dans des coins aussi perdus que ceux-là pour encore en trouver autant de « naturels » …
Je ne sais comment je vais pouvoir le faire savoir, et si cela pourrait avoir un quelconque écho en Europe, mais je m’y efforcerai quand même. »
Autres réflexions épistolaires :
« Je ne peux m’empêcher de relire les lignes que je t’adressais de Tahiti il y a quelques années (et que tu me demandais en partie de relativiser) pour en mesurer la bêtise. Ta remarque concernant ce que j’avais appelé mon « second constat » était restée sans réponse réfléchie de ma part : j’étais perplexe.
La réponse vient de m’être donnée par ces rencontres : il me faut bien avouer que si j’ai pu soutenir un pareil énoncé (« plus ils sont fous, plus ils se ressemblent »), ce n’est qu’à condition de… traitements neuroleptiques à l’occidental !!! Laissés « in statu nascendi », ils sont aussi différents fous que pas fous !!!
J’ai rencontré des fous tristes, des fous naïfs, des fous peut-être heureux, des fous fâchés, des fous amusants, des fous méchants, des fous silencieux, des fous philosophes, bref, toute la gamme de couleurs de notre humanité. Des petits « Moi » (au sens freudien) pas du tout standardisés par la maladie !!!
Des « personnalités » intactes qui vivaient leur folie « à leur sauce », si l’expression convenait.
Et si standardisation il y a, elle n’est pas la conséquence de la maladie mais des traitements neuroleptiques !!!
Je dois t’avouer que j’en suis un peu paf pour deux raisons. La première : mais comment ai-je pu soutenir une telle proposition ? La seconde : mais que fait la médecine occidentale avec ces patients pour les « uniformiser/formater/standardiser/etc » de la sorte, rendant possible un tel jugement ? Reconnaissons-le : le Moi est soluble dans l’Haldol.
Et, en corollaire : pourquoi cela ne se sait-il pas ? »
Mais sans doute ne peut-on ne pas le savoir qu’en oubliant ce que me disait en Europe un psychotique dans les suites d’une première hospitalisation : « les neuroleptiques, ça m’a volé mon âme… ».
Annexe 3 : les diables tentateurs
148 consultations – 66 problématique neurologique = 82 problématiques psychiatriques.
26 consultations pour « crises » en rapport avec un diable amoureux sur 82 = 32%
La prise en charge de jeunes filles (le plus souvent des adolescentes, hormis une jeune femme enceinte) qui perdent connaissance à la vue d’un, d’une ou de diables qui leur parlent de relations amoureuses ou matrimoniales ou sexuelles (la précision dépend des interlocuteurs et du contexte permettant ou non la confidence…) relève d’une « Stratégie » (le mot est du Dr X.) de traitement (que j’ai découverte).
Ces « crises » se propagent de l’une à l’autre sur le mode nommé par Freud de l’ « identification hystérique ». Le phénomène est fréquent, et il n’est pas rare qu’il aboutisse à la fermeture momentanée de la classe ou parfois même du collège, ou au sacrifice d’un bœuf à l’occasion d’une cérémonie religieuse.
Lors d’un entretien confidentiel, contrat est passé entre le médecin et la patiente, seule.
Du médecin à la patiente : « On (nous médecins) connait cet homme (le diable). Il n’ose pas les médecins. C’est un homme trop seul, il profite de vous ».
« Un secret » vient sceller la relation entre la patient e le médecin dont le contenu est :
– Ne pas révéler le pacte (noué entre le médecin et la patiente).
– Ne pas avoir peur.
– Prendre lekki (un médicament appelé « becobo » : un néologisme. Ce sont des vitamines).
– Transfert de pouvoir de la paume de la main gauche du médecin à la paume de la main gauche de la patiente. Contact physique inspiré. Procédure de protection. Non un adorcisme ni un exorcisme (il ne s’agit pas de possession) mais une mise à distance, une séparation. Il y a transfert de pouvoir du médecin sur la paume de la main gauche de la patiente qu’elle opposera au diable lorsqu’il se manifestera.
Au début, le médecin dit rester présent derrière la patiente lorsqu’elle profèrera dans sa langue son « vade retro satanas », bras tendu et paume de la main brandie face au diable, pour lui faire arrêt.
Après son intervention, lors d’entretiens ultérieurs, le Dr X. questionne :
– « Ce monsieur, il ne vient plus vers toi ? »
– « Non, ça fait longtemps il ne vient plus ! »
Le Dr X. me précise en aparté : « Depuis que j’ai commencé ici ces stratégies, il ne vient plus. Je dis aux filles : tu vois j’ai pris la place du monsieur. Si tu veux de moi, on va faire un mariage ! Le plus souvent lorsque tu pousses vers la sexualité, mariage et autres, là, c’est des filles qui se sentent à l’aise ; je ne leur laisse pas le temps de rester seules parce qu’elles sont capables de tout, j’ai peur qu’elles m’accusent de tentative de viol dans une salle isolée.
Là, quand je les vois seules, le plus souvent y a quelqu’un au dehors, les parents ne sont pas aussi éloignés et je cherche toujours à ce que notre discussion soit centrée sur la situation même si parfois elles ont tendance à… lorsqu’elles veulent sortir, déborder… c’est des filles parfois lorsqu’elles te trouvent jeune, elles s’intéressent : vous êtes marié et autre ?
Je les ramène toujours la conversation sur eux parce que j’ai peur que ça ne déborde. Si vous êtes seul elles disent : le monsieur, là, il veut coucher avec moi.
Devant les parents, elles ne le disent pas. Il y a beaucoup de filles qui se limitent à dire : je fais des crises, ou elle dit : je vois quelqu’un ou un monstre, et si vous êtes seul elles vont te dire : c’est un garçon, il est comme ça, il me plait, on a scellé un pacte de mariage, donné une bague, il m’a proposé ça et ça comme dote ».
Mais pourquoi en faire une maladie ?
« Le plus souvent, elles ne viennent pas seules. La famille n’est pas informée de cela. Dans la majorité des cas, la famille n’est pas informée de ce que la fille voit. »
Comment est-ce que les parents peuvent être aussi naïfs ?
« Culturellement, une crise, c’est les diables. Avec brulure, c’est l’épilepsie. Les diables amoureux, ils ne brulent pas ».
Mais, les parents, les diables, ça les arrange !
« Mon constat, c’est que les parents ne savent même pas que c’est lié à la sexualité. Le problème ici en Afrique c’est que tout ce qu’on n’arrive pas à expliquer avec logique, on cherche à rapporter ça aux diables parce qu’on ne trouve pas d’explication »
Et l’explication sexuelle ?
« Non, l’explication sexuelle, on n’en fait pas cas. Ils ne pensent même pas à ça. Ici, on ne réfléchit pas aussi bien comme ça. »
Nous ne souhaitons pas que le Dr x connaisse le même sort que celui réservé à l’abbé Urbain Grandier, mort sur le bûcher le 18 août 1634 à Loudun !
Mais à quand la grossesse nerveuse d’Anna O. qui fit fuir Joseph Breuer et confier celle-ci à son collègue viennois Sigmund Freud, dont le travail lui permit cependant la découverte de l’inconscient ?
Annexe 4 : Traduction du mot « Liberté » en poular et son sens chez les peulhs
Liberté = « Hèttaré » en poular.
« Hèttaré » selon le contexte :
- Socioculturel : une personne (le plus souvent un jeune) qui jouit de sa jeunesse, de sa vie sans l’influence des valeurs culturelles dans le sens de la restriction. De façon résumée : qui ne se soucie pas des règles de vie de la société dû à l’encadrement parental. Qu’on qualifie toujours de mal éduquée.
- Socioéconomique : lorsque les besoins primaires dans le contexte guinéen sont satisfaits c’est-à-dire belle maison, belles voitures, un revenu satisfaisant, belle femme et des enfants, on estime que la personne est libre « Ko hettidho ».
- Femme au foyer : « liberté » est égal à une vie de couple heureuse, c’est-à-dire un bon niveau de vie économique, seule avec son mari et ses enfants, loin de la belle famille et surtout sans co-épouse (« siinah » en poular).
- Lorsqu’on est libre de ses mouvements sans contraintes judiciaires, on parle aussi de Hèttaré (liberté)
NB : la liberté chez les peulhs est une vie de choix sans influence ni besoins en provenance de l’entourage. Elle est vue comme une sensation de bien-être chez les uns (2, 3 et 4) mais aussi comme une perte des repères ancestraux dans certains cas (1) chez d’autres.
J’ai posé les questions suivantes à des contacts et les avis ci-dessous ont été rapportés.
Questions :
- Synonyme de liberté en poular
- Le sens de la liberté chez les peulhs
- Quand une fille/femme peulh parle de liberté dans sa propre vie, pour toi elle fait allusion à quoi ?
Avis : « héttarè » et « hettougol horemoun » signifient la même chose en poular.
Mademoiselle A, secrétaire de profession, célibataire :
- « hétarai »
- Tu peux faire ce qui te semble bon.
- Qu’elle est maître de ses actes.
Monsieur B, étudiant en médecine :
- Synonyme « hettougol horemoun »
- Ne plus être sous ordre d’un tiers
- Veut dire qu’elle ne veut plus de la vie qu’elle mène. Exemple : une fille qui demande sa liberté chez son mari, qui signifie divorce.
Monsieur C, médecin de formation :
Au fait pour moi la liberté signifie en poular : « Hettougol horemoun ». C’est un peu synonyme de l’indépendance, de l’autonomie vis à vis des actions et des décisions qu’on peut entreprendre. Lorsqu’une fille peulh parle de liberté, elle exprime le respect d’opinion, de droit dans toutes ses formes.
Mademoiselle D, journaliste de profession, célibataire, rapporte le contexte soussou :
- « yetairalouu ». Peut être égal au mot libertinage mais pas forcément.
- Être libre de tout faire sans contrainte. Être maître de soi.
- Cela dépend de la mentalité et de l’éducation de celui qui l’emploie. Si dans un mouvement d’ensemble, on peut dire que c’est l’indépendance. Pour une femme soussou c’est le libertinage qui peut aussi dire : libre d’être, de penser, de faire, de dire, de vivre, etc.
Étymologie de « Hettougol horémoun » :
Hettougol = verbe libérer.
Horémoun : horé = tête ; moun = mon ou ma.
Hettougol hemorémoun = se libérer. Toujours employé par la femme au foyer qui veut divorcer parce que, chez nous, on dit toujours à la femme : on te donne en mariage, d’où elle se sent toujours sous l’autorité de son mari.
[1] Concernant ces deux exceptions, il s’agissait de patients déjà diagnostiqués – à tort ou à raison – sous traitement – idem – qui venaient s’entendre confirmer le premier et s’approvisionner du second.
[2] Définissons une « crise » comme un évènement qui fait rupture et dont on ignore l’issue, sans plus. Rupture dans le quotidien de tous autant que rupture dans la conscience du malade, par exemple.
[3] Lire en annexe quatre (p 21 et 22) la traduction en poular par nos collègues guinéens du mot « liberté », ou l’on constate que ce mot a en Guinée une odeur de soufre fort éloignée du sens de celle-ci en français et qui préside aux principes de la République (française).
[4] L’annonce en avait été faite à l’occasion du marché hebdomadaire ainsi qu’à la radio locale quelques jours avant notre arrivée.
[5] Il est vrai que le récent démembrement de la clinique de l’hystérie par les nosographes nord-américains de l’A.P.A.
n’en facilite pas la découverte.
[6] Ce point essentiel sera développé en nous appuyant d’une part sur le concept de « Fait Social Total » tel que proposé par Marcel Mauss au sujet du don et repris par Claude Lévi-Strauss, d’autre part sur le concept de « Discours » élaboré par le Dr Jacques Lacan.
[7] Le Dr X. n’existe pas. Personnage de fiction, il représente les divers soignants, médecins ou non, rencontrés lors de cette mission.
[8] Nous écrirons ces trois Discours avec une majuscule pour les distinguer du/des discours au sens commun de : « les propos tenus par… ».
[9] Du latin ambo « double ; des deux côtés », qui servira à former des dérivés dont les plus fréquents sont « ambidextre, ambivalent » mais aussi « ambassade » (« Dictionnaire historique de la langue française » Le Robert, 2010, p 63).
[10] Mauss M. Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de « moi », in « Sociologie et anthropologie », PUF 1983, PP 333-364.
[11] Gaffiot F. Dictionnaire illustré Latin Français, Hachette 1934, p 1160.
[12] Sanakouya ?
[13] Cette question fait l’objet d’un travail qui sera développé ultérieurement.
[14] Plus d’un dira que les psychotiques sont « hors discours », proposition à notre avis difficilement soutenable face à la clinique, en particulier en Afrique.
[15] Classification Internationale des Maladies, 10° révision, Chapitre V : Troubles Mentaux et Troubles du Comportement, OMS, p. 72
[16] EB Ngoungou, F Quet, CM Dubreuil, B Marin, D Houinato, P Nubukpo, F Dalmay, A Millogo, G Nsengiyumva, P Kouna-Ndouongo, M Diagana, V Ratsimbazafy, M Druet-Cabanac, PM Preux . Épidémiologie de l’épilepsie en Afrique subsaharienne : une revue de la littérature. Epilepsies. 2006;18(1):25-40.
[17] Freud S. Une névrose diabolique au XVII° siècle, Ouvres Complètes, PUF, Vol XVI, pp 217-250. Texte proposé à la lecture des membres de FMG de la première génération en 2003.
[18] « verworfen » dans le texte original…
[19] L’ Introduction à la médecine expérimentale date de 1865.
[20] Les développements de cette assertion s’appellent plasticité cérébrale, neurogenèse adulte ou épigénétique. Les progrès dans ces domaines sont étonnants et confirment celle-ci. Lire, par exemple, d’Alain Prochiantz, neurobiologiste, titulaire de la chaire des Processus morphogénétiques au Collège de France : Prochiantz A., Les anatomies de la pensée, Editions Odile Jacob, 1997. Ou : Prochiantz A., Qu’est-ce que le vivant, Seuil, 2012.
[21] Lire notre confrère le Dr Jean-Louis Feys, psychiatre belge, proche à l’époque de Sa.M.O.A. : Feys J.L., Quel système pour quelle psychiatrie ? Presses Universitaires de France, 2014.
[22] Par exemple : Fierens Ch. et Frank Pierobon F. Les pièges du réalisme, Kant et Lacan, EME éditions, 2017.
[23] Claude Lévi-Strauss et les interrogations de Quesalid dans : Lévi-Strauss C. « Le sorcier et sa magie », in Anthropologie structurale, section Magie et religion, Plon, 1974 pp. 183-203.
[24] Lire la note 6.
[25] http://books.openedition.org/cdf/3415