Chronique Sa.M.O.A.

Avant d’être une Association-Loi 1901, Sa.M.O.A. fut un projet-pilote créé en 1998 conjointement par l’ONG guinéenne « Fraternité Médicale Guinée » et le Service de Santé Mentale « La Gerbe » situé à Schaerbeek (Bruxelles, Belgique), porté par l’ONG Médicus Mundi et financé par la Communauté Européenne.
Ce projet-pilote sera réalisé de début 2000 à fin 2003 en Guinée, en Belgique et en France.
C’est l’histoire de ses débuts (1997-2002) que reprend la « Chronique Sa.M.O.A. » ci-après.

 
 

Santé Mentale en milieu Ouvert Africain

Sa.M.O.A. est, certes, un projet de coopération. Mais aussi, et surtout, le fruit de rencontres multiples dont nous espérons les effets à long terme tant en Afrique qu’en Europe.

Rencontres dans le temps, entre aujourd’hui et hier, rencontres dans l’espace, entre là-bas et ici.

Hier : nos passés, proches et lointains, dont ceux qui, aujourd’hui, font ce que nous appellerions notre pratique professionnelle.

Là-bas : la Guinée que le hasard nous a fait rencontrer ainsi que celles et ceux qui y vivent, y travaillent, y souffrent aussi. 

Le projet Sa.M.O.A. est né du croisement de lignes de force apparemment disparates. Ces lignes viennent se faire croiser : l’histoire de la psychiatrie en Europe, l’histoire d’associations belges telles que « Médicus Mundi Belgium » ou le Service de Santé Mentale bruxellois « La Gerbe », la présence en Guinée de membres d’une Délégation des Communautés Européennes qui ont eu le courage de nous écouter, l’histoire de ce pays autant que de celles et de ceux qui l’ont forgée, l’aventure qui a présidé à la naissance de l’ONG « Fraternité Médicale Guinée », les vœux de ceux qui la dirigent aujourd’hui, et ce qu’être « malade mental » signifie, tant en Guinée qu’en Belgique.

Des femmes, des hommes, d’ici et de là-bas, d’ici là-bas et de là-bas ici, rassemblés autour de questions de « santé mentale », mais qui, paradoxalement, jamais ne le seront tous ensemble au même lieu au même moment.

Par écrit, à travers e-mails ou rapports de mission, par récits interposés au retour de l’un(e) ou l’autre, les fils se sont tissés pour constituer la trame d’un filet qui fait aujourd’hui le support de notre travail à tous.

C’est de la chronique de ce tissage dont je voudrais témoigner ici.

Nous osons espérer que, plus qu’un projet de coopération, Sa.M.O.A. donne à tous ses acteurs autant qu’à ses bénéficiaires l’occasion d’être ce qu’une rencontre peut laisser espérer : une découverte, condition peut-être de sa réussite.

Contexte d’émergence

L’histoire de la psychiatrie en Europe

Sans entrer dans le détail de son cheminement, il apparaît aujourd’hui que, contrairement aux autres disciplines médicales, l’exercice de la psychiatrie reste intimement lié aux circonstances idéologiques, économiques, sociales, religieuses, culturelles, politiques mouvantes dans lesquelles elle est née et a évolué. Plus que toutes autres pratiques médicales qui, elles, peuvent prétendre s’en extraire au nom du recours à la dimension universelle de la science, la pratique psychiatrique reste dépendante des différents paramètres de l’humain en prétendant s’occuper de ses égarements.

Vouloir faire de la psychiatrie une pratique « historique » (c’est à dire, lier son exercice actuel aux circonstances de son histoire) est un choix. Certains aujourd’hui voudraient se détacher de ces circonstances. Mais la clinique (c’est-à-dire pas plus que ce que disent les patients autant que ce qu’ils deviennent) nous rappelle combien l’histoire de la psychiatrie, à vouloir l’ignorer, nous rattrape autant qu’eux.

Ainsi, concernant par exemple la schizophrénie :

Kraepelin, qui impose au début de ce siècle la catégorie psychiatrique de « démence précoce » est nommé professeur ordinaire de psychiatrie à Heidelberg en 1891. Il publie en 1917 un ouvrage intitulé « Cent ans de psychiatrie » dans lequel il écrit au début du chapitre « Les progrès » : « La construction d’établissements d’aliénés, en permettant la formation d’un corps d’aliénistes de métier, entraînera des progrès décisifs. Il y avait bien au XVIIIème siècle quelques hôpitaux réservés aux fous, mais il fallut attendre les premières décennies de l’époque actuelle pour que l’on construisît à grande échelle des établissements psychiatriques indépendants ».

C’est ce même Kraepelin qui fit en 1903-1904 un voyage à Java dans le but d’étudier, entre autres, la genèse de la démence précoce sous les tropiques.

Le dix neuvième siècle voit d’ailleurs dans toute l’Europe une augmentation régulière de la population des hôpitaux psychiatriques qui dépasse de loin la croissance de la population générale. Il est clair pour les autorités de l’époque que cette croissance frappante représente une accumulation de cas chroniques. Il est non moins clair pour les critiques que ces institutions énormes poussent leurs pensionnaires à une dégradation vers la folie chronique.

Vieux débat.

Peut-être le serait moins celui-ci : que l’hôpital et ses murs viennent confirmer géographiquement l’exclusion et mènent qui s’y retrouve dans une impasse est un fait aujourd’hui bien étayé. Mais que dire des idées qui rendent un tel destin possible ? Par exemple, à suivre l’histoire du concept même de démence précoce, et malgré son abandon au profit de celui de schizophrénie, en quoi celui-ci est-il dépendant du contexte de civilisation dans lequel il s’est forgé, et non de la « réalité » qu’il décrirait ? Pourquoi aurait-il fallu si longtemps pour la reconnaître, cette « réalité », alors que l’O.M.S. annonce aujourd’hui que le risque de schizophrénie au cours d’une vie se situe entre 0,4 à 0,7% de la population générale. Il est clair que le concept même de « démence précoce » est étonnant, puisqu’il définit une maladie par son issue. Ainsi, l’incurabilité devient un principe organisateur d’une science et d’une pratique, et c’est ce principe qui en constitue la catégorie « morbide ». Pensée tautologique confirmée dans et par les institutions mises en place ?

Nous pourrions reprendre ici les réflexions de Robert Barrett (« La traite des fous : la construction sociale de la schizophrénie », collection « Les Empêcheurs de penser en rond », Institut Synthélabo, p232 et 265) : « Les théories sur la schizophrénie portent la marque des institutions qui les produisent » et « Il est possible de ‘lire’ les dernières théories pour ce qu’elles nous disent sur les organisations qui les produisent ».

Nous pourrions de même faire nôtres les propos du Dr I. Sow qui, en ouverture de son ouvrage (« Les structures anthropologiques de la folie en Afrique noire » Editions Payot, p13) propose : « il s’agira de montrer la profonde articulation dans une socio-culture déterminée, des liens entre la conception nosologique, l’organisation nosographique des faits psychopathologiques et le projet anthropologique global contenant, lui-même, la notion de sujet et celle de maladie ».

Le débat aujourd’hui est loin d’être clos à la lecture des résultats de la dernière « conférence de consensus belge sur le traitement de la schizophrénie » qui eut lieu à Bruxelles en mai 1998.

« Faire avec l’histoire » de la psychiatrie, c’est donc entendre que les choix qui s’imposent quotidiennement au clinicien (choix de traitements médicamenteux, d’hospitalisation, d’octroi d’aide sociale, d’enfermement, de surveillance) sont liés aux circonstances de leur apparition, c’est-à-dire qu’ils seront rapidement en décalage plus ou moins important avec le moment de leur émergence. Et non liés à un « idéal » d’exercice universel et anhistorique.

Les conséquences ne sont pas minces : tenir ce fil rend inadéquat tout modèle d’exercice de la psychiatrie qui refuserait le dialogue avec le contexte dans lequel elle est née d’abord, elle opère ensuite, et exige de resituer selon ces deux champs, l’un historique, l’autre scientifique, chaque acte thérapeutique. Toutefois, le partage entre ces deux champs n’est pas simple, sans parler des recouvrements et des zones d’ombre.

L’asbl « La Gerbe »

L’asbl « La Gerbe » est née en 1972, dans les suites de « Mai 68 » et du mouvement antipsychiatrique. Elle fut l’organisatrice du premier congrès international d’antipsychiatrie.

Sa position idéologique, qui se voulait « révolutionnaire », a mené, avec le temps, l’association dans une impasse, obligeant son Conseil d’Administration à une réorientation au début des années 80. Mais est restée de son passé sa volonté d’inscrire sa pratique psychiatrique dans le contexte de son exercice.

C’est au sein de cette institution qu’ont été choisis les premiers formateurs européens du projet Sa.M.O.A. Aujourd’hui, des formateurs européens d’autres institutions s’y sont joints.

Les quelques lignes qui suivent, écrites à l’occasion d’une conférence de presse qui eut lieu le 14 juin 2001, résument la position actuelle de l’asbl « La Gerbe » :

« Le Service de Santé Mentale de « La Gerbe » est situé à Schaerbeek. Ses locaux occupent une maison dite unifamiliale dans une petite rue proche de l’avenue Rogier.

Sa localisation géographique se veut de proximité d’avec ses usagers. Mais cette proximité, géographique, inscrit également son travail dans la continuité.

Continuité donc non seulement dans l’espace, mais également dans le temps.

Et la pratique de la rencontre au fil des jours avec ceux qui le fréquentent nous amène à ne plus concevoir la maladie mentale comme une erreur (de la nature) par rapport à une norme (comme c’est le cas en médecine du corps), mais comme un moment dans un parcours, celui d’une vie, réglé par les choix, les errements, les joies, les échecs, les rencontres, les espoirs, les souffrances de celles et ceux qui en franchissent la porte.

Se dégagent ainsi quelques traits, que la brièveté de ces propos ferait sans doute caricaturaux, ce dont nous nous excusons. Disons qu’ils esquisseront à grands traits de fusain ce qu’un pastel aurait fait d’ombre et de lumière si le temps nous l’avait permis.

La pratique en SSM se démarque en effet radicalement d’une pratique hospitalière ou privée.    

Si l’hôpital psychiatrique trouve sa justification, c’est bien face à ces situations précises (et relativement rares au regard du nombre d’actes posés en pratique quotidienne) où le patient, soit présente un comportement qui ne lui permet plus de vivre sans danger dans son quotidien, soit ne trouve plus autour de lui quelqu’un avec qui partager sa souffrance. La dangerosité ou l’isolement justifient pleinement l’hospitalisation. Mais non la maladie mentale.

Parce que celle-ci, plus qu’être « soignée », demande à être entendue là où elle naît, là où elle s’exprime, là où elle se vit, au fil des jours, pour permettre de la recevoir dans les termes mêmes qui sont ceux dans lesquels elle peut se dire.

Hors contexte, les mots de la folie, d’étranges se font langue étrangère.

D’autre part, lorsqu’elle se fait trop difficile, trop turbulente, trop complexe au patient autant qu’à ses proches et à leur entourage, elle ne peut plus être reçue en pratique dite privée.

Ce en quoi les SSM ne sont pas des « polycliniques » spécialisées en santé mentale dans lesquelles une équipe pluridisciplinaire offrirait une réponse globale selon un modèle bio-psycho-social intégré. Cette vision, certes généreuse (puisqu’elle se veut réponse…à tout !) est, faut-il le dire, quelque peu utopique puisqu’elle laisse oublier que la maladie mentale est, justement, ce qui échappe à nos modèles.

En particulier, devons-nous rappeler que nous ne disposons d’aucune théorie, biologique (ou psychologique, ou sociologique) scientifiquement prouvée qui permette d’affirmer qu’un désordre, cérébral par exemple, serait à l’origine d’une maladie mentale ? Cette position, assurément défendable, n’est cependant aujourd’hui qu’une hypothèse et y adhérer ne dépend que du choix, personnel, de celui qui le fait.

La pratique au long cours de la psychiatrie ambulatoire en SSM tendrait plutôt à infirmer ce choix, et à reconnaître la maladie mentale non comme un désordre, quel qu’il soit, mais comme une façon de penser.

Une autre façon de penser.

Douloureuse pour le patient ou son entourage peut-être, difficile à vivre sans doute, inadéquate parfois par rapport aux exigences de notre monde. Mais, par rapport aux maladies mentales les plus graves, celles que l’on appelle psychoses en termes techniques, folies peut-être si ce mot n’était pas devenu quelque peu péjoratif, nous pouvons difficilement éviter d’affirmer que « la normalité du fou, c’est sa folie », que vouloir lui imposer notre façon de penser ne se peut qu’au prix d’une extrême violence (parfois, mais rarement faut-il le dire, nécessaire) et que ce souhait reste, au vu de notre pratique quotidienne, irréalisable.

Irréalisable, parce que la folie est une pensée qui se cherche, en dehors il est vrai des chemins balisés de la « normalité » au point parfois de s’égarer. Mais qu’il nous semble plus respectueux de sa démarche (et plus réaliste) de l’accompagner dans son parcours plutôt que de l’interrompre sans autre alternative qu’une fin de non recevoir.

L’accompagner dans son parcours justifie la continuité temporelle et spatiale de notre travail. Et les réponses que nos consultants nous apportent nous permettent à nous de penser que les errances de l’esprit font parfois géo-graphie. C’est à dire, s’inscrivent dans l’espace autant que dans le temps. Trouvent à faire traces, lisibles, vivables donc.

Et si, d’errant, nous les aidons à devenir nomades, c’est-à-dire à trouver des points de croisements permanents dans les arcanes de leur vie, l’existence de ces lieux de « permanence » dans leurs déplacements permet la rencontre, et la parole donc.

Cette pratique en SSM permet également de poser cette question : « quelles institutions pour quelles structures psychiques » ?

En effet, le modèle de la rencontre, individuelle, sur rendez-vous, est cohérent avec notre façon de penser. Ce modèle est celui d’une pratique dite privée. Il est aussi celui qui convient à notre organisation sociale, ordonnée selon un modèle cartésien, qu’il soit logique ou spatial.

Mais c’est précisément à ce modèle que ne répond pas présent le malade mental. Alors, soit nous l’y forçons, au prix de le maintenir dans des murs dont la rectitude est à l’égal de notre pensée, mais avec peu d’espoir de rencontre, soit nous acceptons de disposer dans le temps et dans l’espace des lieux et des moments cohérents, isomorphes, avec leurs trajets.

C’est là notre pari et là où nous portons notre attention : au point d’articulation entre structure psychique et lien social.

Certains, curieusement, appelleront cette pratique : « sociale », n’y trouvant qu’un ersatz de la haute noblesse de leur fonction de soignant.

D’autres, pris par la « furor sanandi », avoueront qu’il y a là quelque abdication par rapport aux objectifs de leur profession.

C’est oublier sans doute que notre objet, ladite maladie mentale, échappe dans son essence aux discours de la science.

Parce qu’elle n’appartient pas à la science, mais au patient.

Elle lui appartient, comme lui appartient son destin.

L’en dessaisir est parfois nécessaire, y compris en ayant recours à des mesures légales (la mise en observation, par exemple). Mais cette mesure ne se justifie, pensons-nous, que de la dangerosité du patient (rare, il est vrai) et non de la maladie mentale elle-même (contrairement à une pratique trop courante aujourd’hui, en particulier concernant l’utilisation de la procédure d’urgence lors de mise en observation, procédure qui prive le patient de toute parole qui lui permettrait de se faire entendre avant son hospitalisation).

Parfois, nous oublions qu’un moment d’égarement n’est qu’un temps dans le déploiement d’une existence.

Un temps qui se doit d’être reçu dans la continuité d’une vie, d’une histoire, d’un destin, et entendu comme tel ». (Dr Michel Dewez)

Ainsi, l’apparente opposition entre une psychiatrie dite « sociale » et une psychiatrie qui voudrait s’appeler « scientifique » devrait plutôt s’entendre comme opposition entre la mouvance de l’histoire et l’« universel » de la science, la temporalité de l’humain et l’inaltérabilité du savoir, le cheminement de la découverte et l’apprentissage d’un absolu.

En d’autres termes, « La Gerbe » n’est pas (seulement) le lieu d’application de techniques thérapeutiques. Elle veut rester en dialogue permanent avec la mouvance de son objet (la maladie mentale), essayant, autant que faire se peut, d’adapter ses réponses à ce que découvrent ses réflexions sur sa pratique.

Ce dialogue est au fondement de la logique de travail du projet Sa.M.O.A.

Le travail de « La Gerbe » dans les années 80/90

Les mouvements d’immigration qui ont débuté vers les années 50/60 ont bouleversé le tissu social bruxellois. Mais aussi le cadre d’exercice de la psychiatrie ambulatoire, et ce, tant sur le plan clinique qu’en termes de politique de santé.

Les questions qui se posaient dans les années 60 ont changé, et, au sein de l’institution, de « révolutionnaires », les débats sont devenus « interculturels »…

Et les questions cliniques se sont déplacées en suivant l’histoire.

Un séminaire d’ethnopsychiatrie s’est ouvert en 1988 à notre initiative, séminaire auquel participaient régulièrement une anthropologue spécialiste du Maghreb (Monique Renaerts) et un ethnolinguiste (Jean Donneux). Au même moment, le Dr Jalil Bennani (Rabat) et le Professeur Driss Moussaoui (Casablanca) préparaient à Paris une première rencontre internationale sur le thème « Apport de la Psychopathologie Maghrébine » (Institut du Monde Arabe, Paris, Avril 1990), préliminaire à la création de la « Société Marocaine de Psychothérapie ». 

Le hasard a mis à notre disposition un budget communal dans le cadre des actions « cohabitation-intégration », qui permit à sept membres de « La Gerbe » de rencontrer des équipes soignantes en Afrique noire (projet Magellan). Des missions eurent lieu au Tchad, au Bénin, au Rwanda et au Sénégal en 1995 et 1996. Ces actions se sont terminées avec l’épuisement du budget, qui n’a pas été reconduit.

L’expérience de Magellan s’était révélée fructueuse et nous incitait à poursuivre. Mais un projet à long terme demandait un lieu pour le recevoir et des partenaires locaux pour le réaliser. L’infrastructure psychiatrique était déjà bien développée au Sénégal et au Bénin, totalement inexistante au Tchad et désorganisée au Rwanda.

Un autre hasard, celui de la rencontre du Dr Emile Jeannée au Tchad en 1996, a fait tourner nos regards vers la Guinée, où celui-ci s’est trouvé à partir de 1997 dans le cadre du Programme d’Aide Santé Urbaine.

La psychiatrie en Guinée en 1997

Une première mission (Dr Michel Dewez) eut lieu en août 1997. A notre arrivée, le Dr Jeannée nous a présenté à Madame Mariama Bah, nutritionniste, qui nous a servi d’ambassadrice auprès de ses partenaires de travail guinéens. Nous avons ainsi découvert l’existence d’une structure psychiatrique minimale (le service de psychiatrie de l’hôpital Donka), d’un réseau de soins traditionnels (en particulier lors d’un court séjour en forêt, dans la région de N’Zérékoré) et d’ONG locales désireuses de trouver des partenaires. La Guinée, après plus de vingt ans d’isolement, s’ouvrait peu à peu. Une Délégation des Communautés Européennes y était présente. Le cadre de travail semblait pouvoir se prêter à recevoir ce qui allait devenir le projet Sa.M.O.A.   

Le projet Sa.M.O.A. dans son élaboration progressive

La préparation de la seconde mission (Madame M.A. Kestens, Dr M. Dewez, mai 1998) a été l’occasion de formuler nos questions alors que nous ignorions tout de ce que nous allions découvrir.

Nous avions décidé de débuter « l’immersion » en demandant à un des médecins du service de psychiatrie de l’hôpital Donka (le Dr Fofana, rencontré en août 97) de pouvoir l’accompagner pendant une semaine dans son travail de consultation. Ce choix n’était motivé que par le fait qu’il fallait bien commencer quelque part, et que ce service, pensions-nous, serait sans doute un partenaire privilégié pour un éventuel futur travail ambulatoire.

Les raisons étaient également explicitement politiques : trop souvent confrontés en Belgique à une opposition simpliste entre pratique ambulatoire et hospitalière, nous voulions éviter de blesser la susceptibilité des (seuls) confrères hospitaliers avant même d’avoir commencé le travail, et de nous poser en demandeurs à leur égard, faisant offre de travail tant en amont qu’en aval de l’hôpital.

Le texte qui suit a été écrit à Bruxelles en préparant une semaine de travail au service de psychiatrie de l’hôpital Donka. Il débute par la description succincte de situations cliniques rencontrées dans notre pratique bruxelloise auprès de patients immigrés (principalement africains.) Il avait été envoyé aux membres du personnel du service de psychiatrie de Donka. Sorte de « carte de visite », nous voulions

inscrire notre rencontre dans le cadre d’un dialogue entre cliniciens.

Nous sommes donc partis (en Guinée) de notre travail à Bruxelles :

« Ces situations (cliniques) ont toutes en commun :

  • d’échapper au cadre nosologique de la psychiatrie occidentale « traditionnelle » ainsi qu’aux mesures que celle-ci préconiserait dans de telles situations pour des patients d’origine occidentale.
  • de nous amener à nous réinterroger sur notre pratique avec nos patients européens :

En effet, malgré l’apparence du bien fondé de nos pratiques médicales, psychiatriques, médicamenteuses, psychothérapeutiques, nous devons bien reconnaître, au vu de l’évolution de nos patients belges avec le recul des ans, que beaucoup nous disent et nous démontrent que la véritable expérience de changement n’a pas été ce que nous pensions, c’est-à-dire notre « action thérapeutique ». Les améliorations relèvent bien plus souvent d’effets de rencontre dont nos actions thérapeutiques ont été le prétexte, l’occasion, parfois aussi l’obstacle, mais dont l’agent est ailleurs.

Les questions qui s’ouvrent sont donc celles-ci :

  • comment élaborer un dispositif de rencontre qui soit cohérent avec la question que le patient nous pose à travers son symptôme et en respecter ce que nous appellerions son « style », c’est-à-dire l’originalité de sa forme et la part de création qu’un style suppose ?

   Nous pensons en effet que c’est bien la nécessité d’adapter nos procédures de travail à nos consultants (et non l’inverse) qui produit une pratique « métissée », tenant compte des cultures et des modes de vie de chacun, quelle qu’en soit l’origine, et que c’est bien cette « part d’invention » qu’est notre mise qui est, en soi, créatrice de changement.

  • quels modes d’expression spécifiques devons-nous respecter (en termes de possession, de sorcellerie, de croyance, de  religion, de culture, de langue, de mode de vie et d’organisation familiale…) ?

Cette question est indépendante de la culture d’origine.

En effet, le rapport qu’un occidental entretient avec la « médecine moderne » et ses présupposés relève de la même logique : les médicaments, par exemple, surtout en matière de Santé Mentale, demandent qu’y croie – tant le médecin que le patient d’ailleurs – autant qu’il faut supposer le médecin en savoir sur ce sujet. Le contraire, situation fréquente, produit immanquablement un échec.

  • quelles réponses sont apportées à de telles expériences dans une culture qui ignore la psychiatrie (au sens occidental du terme) ? Nous supposons en effet que ces questions sont universelles, malgré l’évidence de ce qu’elles s’expriment différemment en Europe ou en Afrique. Les publications dont nous disposons laissent entendre que de telles réponses existent. Que pouvons-nous en apprendre, sont-elles applicables en Europe, et à quelles conditions ?

De façon plus générale, ces questions interrogent le rapport entre un tissu social et une structure psychique.

Pratiquement, dans le cadre du Projet SA.M.O.A, le Médecin-Directeur et une assistante sociale psychiatrique du Centre de Santé Mentale de « La Gerbe » seront à Conakry du 16 au 23 mai 1998.

Ils souhaitent, dans la mesure du possible :

Premièrement : sur le plan clinique

  • partager le travail de l’équipe psychiatrique du Docteur Fofana au service de psychiatrie du C.H.U. Donka. 
  • En accord avec celle-ci, nous proposons d’organiser après quelques jours une « réunion de travail » de quelques heures (à la fin de la semaine) durant laquelle chacun fera état de son travail à Conakry et à Bruxelles et des découvertes de cette semaine de travail en commun, avec à l’esprit les hypothèses formulées plus haut et de les confronter à cette expérience (qu’en reste-t-il? sont-elles pertinentes? que deviennent-elles lors de leur confrontation avec la clinique?…). Si les membres de l’équipe du Docteur Fofana en ont l’occasion, ils pourraient de même proposer hypothèses et questions avant cette rencontre et celles-ci pourraient faire de même l’objet d’une analyse en fin de séjour.
  • rencontrer d’autres praticiens de la Santé Mentale dans le Milieu Ouvert non hospitalier (Centre de santé?  associations?  autres?).

Serait-il envisageable que ceux-ci participent également à la réunion de travail, se découvrent ainsi des préoccupations communes et souhaitent poursuivre ce travail ensuite?

Si l’idée d’un « séminaire » rencontre l’adhésion de plusieurs, celui-ci pourrait être formalisé (objet de travail, cadre, calendrier…) et devenir le noyau d’une expérience de rencontre tant entre les professionnels guinéens et belges que dans leurs lieux de pratique respectifs.

En effet, les membres de « La Gerbe » souhaitent également que ce travail puisse être restitué à Bruxelles à leur retour et faire l’objet d’un traitement approfondi par l’ensemble de l’équipe bruxelloise. Ils espèrent disposer à cet effet de supports de travail qui puissent faire l’objet d’une diffusion interne au Centre (textes, enregistrement vidéo de séquence de travail, compte-rendu des rencontres et de la réunion de travail…).

Deuxièmement : sur le plan formation et recherche.

Si nous avons à tenir fermement l’hypothèse que la « maladie mentale » n’a pas d’expression universelle, mais ne peut se concevoir que dans un contexte social et culturel donné, nous souhaitons nous faire enseigner sur ce que celle-ci signifie dans le contexte familial, social, culturel et religieux de la société guinéenne d’aujourd’hui à Conakry.

Troisièmement : quant à la mise en place du projet Sa.M.O.A à long terme.

Nous aurons à définir les organisations qui souhaitent participer au projet et entamer les démarches nécessaires à sa réalisation tant sur le plan clinique que logistique (interpellation des Ministères guinéens concernés, de la Délégation des Communautés Européennes à Conakry, des partenaires de travail…).

En particulier : Le projet SA.M.O.A. propose que trois professionnels guinéens (infirmiers ? assistants sociaux ? autres professionnels ?) puissent participer à Bruxelles au travail de Santé Mentale en Milieu Ouvert au sein de services de Santé Mentale pendant l’année académique 98-99.  Une rencontre pourrait être organisée avec les candidats pour discuter des modalités tant quant au fond que quant à la forme.

Le projet SA.M.O.A. prévoit de même la création d’un Comité Scientifique comprenant cinq personnalités guinéennes (médecins ? universitaires ? membres d’associations guinéennes ?…) compétentes dans ces matières. Notre séjour pourrait être l’occasion d’un premier contact avec celles-ci. »

Cette seconde mission n’a pas fait l’objet d’un rapport ultérieur.

Sur le plan clinique, les partenaires guinéens du service de psychiatrie se sont montrés ouverts et accueillants. Mais les échanges étaient difficiles. Nous avons rencontré des pratiques étranges (ponction trans-nasale des sinus pour traiter une patiente présentant des hallucinations auditives, prise de sang faite à un toxicomane dans le cabinet de consultation pour s’étonner de la « noirceur de son sang », aspersion d’eau sainte venue de La Mecque pour guérir une patiente présentant un délire mystique « catholique », etc.), des hypothèses étiologiques difficilement défendables aujourd’hui (« c’est la drogue qui rend fou »), une psychiatrie presque exclusivement orientée vers le contrôle des troubles du comportement, une mauvaise utilisation des rares neuroleptiques disponibles, mais aussi une demande d’aide et de collaboration franche et énoncée par les membres du personnel devant leur propre désarroi.

Sur le plan « politique de santé », nos espoirs d’ancrer le premier maillon d’une chaîne de travail au sein du service de psychiatrie se révèlent aujourd’hui un échec.

Malgré le déménagement du service dans des locaux aujourd’hui acceptables, la logique d’hospitalisation n’a pas changé. Les patients sont hospitalisés à la demande des familles pour « traiter » les comportements antisociaux (et non la maladie mentale) : la folie est à (re)dresser (au cabanon) et à faire taire, et non à soigner, encore moins à entendre. Après plusieurs semaines de prise de neuroleptiques sédatifs, les patients sont, sans plus, renvoyés dans leur famille qui n’est pas du tout associée au traitement (comme nous l’avions vu pourtant à l’Hôpital de Fann à Dakar ou au Centre Jacquot à Cotonou). Le discours dominant reste « c’est la drogue qui rend fou », justifiant des pratiques disciplinaires et un discours moralisant très peu « empathique » vis-à-vis des patients. Les étudiants en médecine qui visitent le service n’y restent pas et préfèrent orienter leurs travaux de fin d’étude vers des disciplines moins « empiriques », ce qui ne présage rien de bon pour l’avenir. La collaboration avec les centres de santé de FMG (Fraternité Médicale Guinée) est aujourd’hui encore exceptionnelle (deux cas jusqu’à présent adressés par une psychiatre membre du Comité Scientifique de Samoa). Et l’hospitalisation coûte cher… (l’équivalent de plus d’un mois de salaire à remettre comme caution à l’admission).

Nous n’hésitons pas pour autant à retourner lors de chaque mission au service de psychiatrie pour saluer nos confrères et collègues, persuadés qu’un travail de collaboration reste possible.

La troisième mission (Madame J. Richir, Mademoiselle N. Dewez, Dr M. Dewez, août 1998) eut lieu en forêt, là où, lors de notre première mission, nous avions rencontré à Gbili (village situé à une dizaine de kilomètres de N’Zérékoré) Ali Loua, guérisseur traditionnel spécialisé dans le traitement de la maladie mentale.

Après l’hôpital psychiatrique, le guérisseur traditionnel.

Cette mission fut tout aussi intéressante. Voici ce que nous en disions en septembre 1998 :

Pendant ce mois d’août 1998, nous avons partagé le travail de Monsieur Ali Loua à Gbili de façon quasi journalière, autant que faire se pouvait.

Il nous a permis de rencontrer – seuls – les patients hospitalisés et – ensuite – de discuter des questions qui se posaient à nous.  Il nous a associé à sa consultation et à son travail quotidien, fait partager ses préoccupations, ses succès, ses inquiétudes, ses difficultés et ses échecs.

Nous avons également rencontré au village de Gbamba Monsieur Foromo Logoro, à N’Zérékoré Monsieur Yakpazoua et, à l’hôpital « Lansana Conté », Monsieur Fomopé Camara, Président des Guérisseurs traditionnels, ainsi que plusieurs de ceux-ci dont Monsieur Mathéas Sagno, en formation à l’hôpital « Lansana Conté » et qui nous a servi de guide, de traducteur, d’ambassadeur et d’informateur précieux dans son pays Guersé.        

Le réseau de soins traditionnels

Des rencontres que nous avons pu faire – et loin d’avoir la prétention d’être en quoi que ce soit exhaustifs – nous pouvons cependant dégager les constats suivants :

Il existe un réseau de prise en charge et de soins des malades mentaux assuré par les guérisseurs traditionnels.

Celui-ci s’organise de plusieurs façons :

A Gbili, les patients séjournent auprès de Monsieur Ali Loua le temps de leur traitement.  Lorsque nous nous y trouvions, 22 patients y étaient « hospitalisés ».  La moitié restait en permanence au village, les autres patients, convalescents, participaient aux travaux de culture en forêt.      

Les patients vivent en communauté et organisent leur vie quotidienne (préparation des repas, soins, vie domestique) en compagnie de Monsieur Ali Loua dont l’autorité règle les différends. 

Le temps de séjour varie de quelques semaines à quelques mois. 

Il existe une « procédure d’admission » : Monsieur Ali Loua n’accepte de prodiguer des soins à un patient qu’après en avoir évalué la pathologie au regard de son savoir faire. 

Ce temps d’évaluation est de quelques heures, au plus une nuit. 

Une fois le séjour terminé, le patient est considéré comme guéri et n’a plus à suivre de traitement (il n’y a pas – aux dires d’Ali – de « post-cure » telle que nous la connaissons).

Le diagnostic distingue :                                                                

  • folie simple
  • folie sacrée
  • épilepsie
  • toxicomanie.
  1. La « folie simple » est la conséquence d’une attaque de sorcellerie dont le patient a été l’objet.  L’attaque de sorcellerie, expression de la jalousie, est organisatrice des rapports sociaux.

Ainsi, les patients les plus jeunes que nous avons rencontrés, et malgré la diversité de l’expression symptomatique et des diagnostics que nous aurions pu poser en termes de « médecine moderne » (paraphrénie, hystérie, hypochondrie…), avaient dû subir les conséquences de la jalousie que leur réussite ou leurs qualités avaient suscitée (intelligence, beauté, jeunesse, «brillance » etc…).                                                                                                                                      

Ainsi, la maladie se révèle être le prix de l’arrogance d’une qualité individuelle qui donne à celui qui la possède une place hors du commun alors qu’il ne se serait pas acquitté de sa dette contractée envers la communauté. Elle renvoie le prétentieux au prix à payer qu’oblige une telle exception. Ce système thérapeutique gère donc l’économie entre logique individuelle et logique sociale.                                                            

Monsieur Ali Loua n’y a lui-même pas échappé puisqu’on dit dans le village que sa cécité (Monsieur Ali est aveugle, mais non de naissance) est à la fois ce qui fonde son pouvoir et ce qui le protège. Ali, d’avoir payé le prix (en y laissant la vue), peut aujourd’hui, dit-on, exercer son art au bénéfice de ses patients.                                                                                            

Le Docteur Mariama Barry, psychiatre à Donka, nous disait que la tradition, chez les Peuls, voulait que guérir un fou faisait courir le risque soit de le devenir, soit de voir un de ses enfants être atteint de la maladie : on ne touche pas impunément à l’ordre du monde et aux forces qui le régissent. Exercer la profession de guérisseur – en particulier en ce qui concerne les maladies mentales – n’est pas sans conséquences quant à la place qu’occupe celui-ci dans le groupe.                                                                                                                  

Le contrôle social que subit Monsieur Ali Loua est d’ailleurs remarquable. Craint, admiré mais également étroitement surveillé (et assurément jalousé), les passions sont multiples de la part des villageois, des patients mais aussi de ses proches collaborateurs (les « gardiens de la cour » – ils étaient trois, dans un ordre hiérarchique défini), sans compter « l’héritier », un des fils d’Ali, le jeune Dario, un garçon d’une dizaine d’années, discret et silencieux, dont on dit que dès son tout jeune âge il fréquentait sans crainte les malades et suivait son père, ce qui peut-être l’a fait désigner comme son successeur, et entouré de mystère.

  • La folie  sacrée est l’expression d’une possession.
  • L’épilepsie est entendue au sens large de « crise » et m’évoque le cadre nosologique de « l’hystéro-épilepsie » de la clinique psychiatrique occidentale du XIXe siècle.
  • La principale assuétude que nous avons rencontrée en  forêt est l’alcoolisme (vin de palme).

Ces éléments peuvent se combiner : un matin, arrivant au village, une jeune patiente courait en tous sens et vociférait. Nous apprenons qu’elle refuse le traitement (se laver avec une décoction). Elle sera maîtrisée, immobilisée avec des moyens de contention de fortune (lianes aux coudes, aux poignets, et entre une cheville et un rondin de bois) et traitée malgré elle. « Epilepsie à la folie » me dit Ali. Quelques heures plus tard, elle circulait calmement dans le village.

Les traitements végétaux s’appliquent de diverses façons : bains, produits actifs mélangés à du kaolin et frottés sur le corps, gouttes oculaires, ingestion. D’autres aussi, peut-être.

Il en existe, me dit Ali, trois groupes :

  • ceux qui diminuent l’agitation (nos « psycholeptiques » ?)
  • ceux qui augmentent la confiance (nos « psychoanaleptiques »?)
  • une troisième catégorie non encore précisée (le troisième groupe de nos psychotropes est celui des psychodysleptiques. Mais rien ne nous permet de supposer une possible équivalence).

Les traitements seront non pas étiologiques mais symptomatiques.

Ainsi, Ali distingue :

  • l’agitation avec paroles
  • l’agitation sans paroles
  • l’écholalie
  • l’image du faux du désir  (que nous appellerions délire et hallucination).
  • etc…( ?)

A la question de savoir « qu’est-ce qui guérit? », la réponse d’Ali est précise.

Deux choses, me dit-il :

D’abord, la confiance dans le guérisseur, ensuite les médicaments.

Peut-être y aurais-je ajouté le cadre « institutionnel » (la vie communautaire dans ce village isolé en forêt, l’éloignement d’avec la famille, etc…).

Et puis, il y a les mots. Ceux qui accompagnent la préparation desdits médicament et dont Mathéas nous dira : « C’est la puissance des mots qui donne la force aux médicaments »…

Messieurs Foromo Logoro et Yakpazoua nous parleront de leurs instruments diagnostiques (les rêves des guérisseurs, le miroir, le sable, les cauris).

Monsieur Foromo n’est pas un « hospitalier » et nous dira les difficultés qu’il a rencontrées en rassemblant des malades : difficultés de vie entre eux, difficultés d’acceptation des comportements des patients par les habitants du village. Il a donc choisi d’être un « ambulatoire » et va de village en village soigner des patients qui restent sous la responsabilité de leur famille ou d’un « tuteur ».

Tous me parleront des réserves qu’ils ont à associer médecine moderne et traitements traditionnels.  

« Les médicaments modernes, ça rend mou ».

« Pour les vermifuges, peut-être » me dit Ali…

Tous aussi nous ont parlé de leurs échecs thérapeutiques, y voyant la possibilité d’un recours à la « médecine moderne » et réciproquement.

Constats

Il reste frappant de voir combien la médecine traditionnelle propose un système de représentation et de soins homogènes et cohérents.  Nous pourrions penser qu’il s’agit là à la fois de sa richesse et de ses limites.

Sa richesse :

Il existe un permanent dialogue entre Ali Loua, la forêt, la culture Guersé et ses traditions, les patients, les représentations qu’ils ont de leur maladie et le sens que prend celle-ci, tant pour eux qu’au sein du groupe dont ils sont membres.

Cette homogénéité a cependant un travers : celui de lier ces divers termes et de rendre caduc, inadéquat, ou inefficace l’usage de l’un ou de l’autre en dehors de l’ensemble.
Que deviendrait Ali sans la forêt ? Que seraient ses traitements ailleurs qu’à Gbili ? Mais aussi, que deviendrait « la folie simple » dans un service de psychiatrie d’une capitale européenne ? (une délire de persécution ?)

Ses limites :

Elles sont doubles. 

L’une est interne et tient au processus morbide lui-même :

la psychose – en particulier la psychose schizophrénique – porte en elle-même son oeuvre de déconstruction et ce indépendamment du milieu culturel.  Nous nous souviendrons longtemps des soliloques et des propos dissociés d’Issa, aux portes de la maison d’Ali, nous renvoyant subitement en échos sonores et publics les mots captés au vol de propos émis, à d’autres, en aparté.  « Il faut d’abord trouver les mots » proférait Issa.

Et du désespoir d’Ali le concernant.

Ces patients, nous les avons retrouvés errant dans les villes où ils sont tolérés à condition de ne pas troubler l’ordre public. Mais aussi dans les propos d’un infirmier de Donka qui, il y a trois mois s’est rendu à Kankan, Guékédou et N’Zérékoré pour voir ses anciens patients enfermés ou enchaînés par leur famille dans des lieux de réclusion.

L’autre limite est externe, conséquence des processus d’urbanisation et d’acculturation. 

Ces « nouvelles pathologies », dont une des caractéristiques serait d’ailleurs – étant de moins en moins liées à la  culture – d’être de plus en plus aspécifiques et d’autant plus bruyantes qu’elles sont peu éloquentes, se rencontrent chez les adolescents et les jeunes adultes. Troubles du comportement, assuétudes, troubles identitaires, etc, elles posent aux praticiens, en particulier dans les villes, des problèmes de plus en plus difficiles et exigent de leur part la création d’outils thérapeutiques métissés sans pour autant qu’ils en perdent leur âme. 


C’est à cette double limite que nous avons été confronté lorsqu’il m’a été demandé par le H.C.R. de rencontrer quatre patients réfugiés libériens installés à N’Zérékoré depuis plusieurs années. Tout porte à croire cependant que le nombre de ces patients ne cesse de croître et oblige les soignants concernés au dialogue.

Une possible rencontre ?

Un exemple de mise en réseau nous a été donné à N’Zérékoré.

 J’y avais déjà rencontré, il y a un an, des patients soignés exclusivement par les guérisseurs pour une maladie qui m’était inconnue, appelée opimo. « On » dit que cette maladie serait venue du Liberia. Elle serait contagieuse. Les malades présenteraient, outre un ramollissement de la fontanelle, des symptômes peu spécifiques : alopécie, céphalées, troubles de la concentration et de la mémoire, bourdonnements d’oreille, fatigue générale, nervosité, douleurs diffuses, palpitations et peut-être, température. Elle pourrait conduire à la folie. Aux dires des guérisseurs interrogés, aucun n’a vu de patients en mourir. Je n’ai pu confirmer le « ramollissement » de la fontanelle parce que les patients que j’avais rencontrés, soignés de façon traditionnelle, avaient celle-ci couverte d’une couche de « médicaments » (extraits végétaux) qui, durcie, la recouvrait d’une croûte solide. A Bamakama, ils étaient cependant nombreux (une quinzaine rencontrés) « hospitalisés » depuis plusieurs mois. 

Certains médecins évoquent la syphilis (une ancienne infirmière libérienne, Joan Gono, allant jusqu’à me dire que les patients souffrant d’opimo, avaient un test de Bordet-Wasserman positif. C’est elle qui m’affirma également qu’opimo était la déformation des mots anglais « Open molt » ).  

Monsieur Ali Loua ne croit pas qu’il s’agisse d’une maladie. 

Le Docteur Michel Sagno, spécialiste en biologie clinique et responsable du laboratoire de l’Hôpital Central de N’Zérékoré, ne le pensait pas non plus jusqu’à ce que deux de ses laborantins lui demandent d’interrompre leurs activités professionnelles pour s’en faire soigner par des guérisseurs traditionnels. 

Maladie contagieuse ? Equivalents dépressifs ? Ce sont là des étiologies, des causes, telles que les emploie notre science médicale. 

Empoisonnement? Maraboutage ? Possession ? Là se trouve une quête de sens, celle qui fonde le système traditionnel de soins.

Parfois, il me plaît de remarquer qu’il y a près de cent ans, un docteur autrichien a voulu faire d’un sens une cause. Ce médecin s’appelait Sigmund Freud. 

Alors, la psychanalyse, une clinique métissée ?

A ma demande, le Docteur Sagno a accepté de rencontrer deux guérisseurs traditionnels de l’hôpital « Lansana Conté » et de s’y rendre pour étudier la question.

Conclusions ?

Ces initiatives, bien qu’anticipant déjà l’objectif de cette troisième mission, ne disent pas plus que d’être possibles et ouvrent donc ce que Sa.M.O.A. espère être :

une mise en dialogue de professionnels de la santé mentale, hospitaliers et ambulatoires, médecins et paramédicaux, tenants de la médecine moderne et des pratiques traditionnelles, africains et européens, dans le but de poser les questions et dans l’espoir de produire quelques réponses dans le domaine de la santé mentale de façon non pas hégémonique mais solidaire du milieu mouvant et en transformation que sont des lieux à la fois si différents et si proches que la Guinée et la Belgique.

Nous sommes retournés à Gbili pour la troisième fois en août 1999, accompagnés cette fois d’un médecin et d’un infirmier de FMG.

Outre la poursuite du travail, nous retiendrons ceci : arrivant en vue de la maison d’Ali (qui avait quitté le village pour s’installer à quelques kilomètres de là), nous avons vu s’approcher, traversant l’aire devant la maison pour nous rejoindre, un homme que nous n’avions pas reconnu. Longues salutations jusqu’à ce qu’il nous rappelle qui il était : c’était bien Issa ! Cet après-midi là, il nous a parlé de son histoire, de l’abandon dont il avait fait l’objet, de la place qu’Ali avait prise dans sa vie et de l’aide qu’il lui avait apportée. Bien sûr, la nuit, venaient encore parfois des diables qui lui soufflaient dans les oreilles des propos inquiétants. Mais il avait retrouvé vie, et les mots pour la dire. Sur le plan strictement psychiatrique, l’amélioration de ce patient que nous devions considérer, selon nos critères, comme un schizophrène dont le pronostic était particulièrement sombre en 1998, était spectaculaire un an plus tard et laissait notre « savoir » psychiatrique occidental bien en mal.

Mais il nous fallut renouveler l’expérience et multiplier les rencontres.

Et ce n’est que progressivement que nous avons découvert ceci, après avoir rencontré plus de dix guérisseurs, dans trois régions différentes (en forêt, autour de la ville de Mamou, à Conakry) :

La collaboration avec les guérisseurs traditionnels est très difficile, et notre rencontre avec Ali semblait être une exception.

En premier lieu, il n’y a pas d’homogénéité dans cette pratique.

En second lieu, contrairement à ce qui en est parfois dit en Europe dans une certaine littérature pseudo-anthropologique, la plupart de ces guérisseurs ne se posent pas la question du « pourquoi ça marche ». Ils ont un « savoir faire » mais ne s’interrogent pas, ou peu, sur la création d’un « savoir », et encore moins de sa transmission. La question du « pourquoi » ne recevait aucune réponse tant elle semblait incongrue, ou bien suscitait des réponses frustres qui relevaient pour le guérisseur d’évidences que nous aurions dû connaître (les diables, par exemple, mais sans plus), ou bien encore (deux fois) des réponses délirantes, des plus intéressantes au demeurant, même si la nature délirante de ces « théories » restait ignorée, y compris des médecins guinéens qui nous accompagnaient, qui préféraient parler de « pouvoirs mystiques ». Mais pourquoi une réponse empêcherait-elle l’autre ?

Par contre, nous eûmes l’occasion de prendre plus d’une leçon. Celle-ci, par exemple : nous étions, en août 2000, à discuter avec le forgeron d’un village situé en forêt, à quelques dizaines de kilomètres de N’Zérékoré. Celui-ci était également tradipraticien, spécialisé dans le traitement des maladies mentales des enfants. Notre collègue Christian Dubois, psychanalyste et psychothérapeute « enfant », pose au forgeron la question : « écoutez-vous les rêves des enfants ? » Le forgeron se fait répéter la question, réfléchi, et répond : « mais pourquoi écouter les rêves d’un enfant malade puisqu’ils émanent d’un esprit malade… »

En Europe, il fallu attendre la date mythique du 24 juillet 1895 (et le rêve dit de l’ « injection faite à Irma ») pour qu’un médecin autrichien du nom de Sigmund Freud découvre la logique du rêve et ce en quoi celui-ci est porteur d’une vérité dont le symptôme est l’expression déguisée.

Quant’ au Docteur Jacques Lacan, le saut épistémologique ne se produisit que bien après sa thèse de médecine : c’est entre la rédaction du « cas Aimée » et celle du « crime des sœurs Papin » que celui-ci passa d’un monisme spinozien où il pensait la personnalité comme une totalité incluant la norme et la pathologie (comme notre forgeron) à un monisme hégélien qui lui fit abandonner l’idée même de la personnalité au profit de celle de conscience de soi. Et il lui faudra attendre 1936 pour que la rencontre avec le système hégélien porte réellement ses fruits, à partir de la double expérience du divan de Loewenstein et du séminaire de Kojève.

Mais peut-être existe t’il quelque part en Guinée un tradipraticien qui a, lui aussi, découvert que les rêves disent toujours, un peu, la vérité…  

Réflexions personnelles écrites en août 99 :

« Contrairement à ce que je pensais, les prises en charge traditionnelles sont loin d’être aussi efficaces que je le croyais et les échecs aboutissent le plus souvent à l’exclusion sociale. Dur dur, d’être fou dans une société aussi peu individualiste… »

Cette troisième mission (août 1998) fut l’occasion de rencontrer pour la première fois, de retour à Conakry, les membres de la toute jeune association « Fraternité Médicale Guinée », en la personne du Dr Saliou Camara, Directeur du Bureau de FMG.

En fin de mission, nous avons visité le centre de santé d’Hamdallaye, qui débutait ses activités.

Il nous fallait choisir un partenaire guinéen. Jusque là, notre parcours ne nous avait pas encore fait rencontrer d’association qui répondait à notre attente : une structure médicale, de consultation, implantée dans les quartiers, ouverte à l’expérience, mais surtout qui acceptait de faire le chemin avec nous.

Nous pourrions penser aujourd’hui que notre chance a été d’avoir pu commencer ensemble. Samoa n’était presque nulle part et FMG débutait. Le nouveau personnel de FMG découvrait et se découvrait en même temps que nous. FMG avait à prouver aux pouvoirs publics sa compétence, sa crédibilité, le bien fondé du pari qui avait présidé à sa naissance. Samoa aussi. Deux paris se sont croisés. Pour FMG, Samoa apportait la reconnaissance d’une ONG européenne (Médicus Mundi Belgium), des partenaires de travail belges (le Service de Santé Mentale « La Gerbe »), un bailleur de fonds prestigieux (l’Union Européenne), la perspective pour son personnel de venir en Europe et des avantages matériels en Guinée (un véhicule, un ordinateur, etc.). Pour Samoa, FMG apportait une infrastructure minimale non encore enfermée dans un fonctionnement bureaucratique ou corrompu, un personnel professionnellement jeune, nombreux (près de trente personnes), ouvert à l’expérience, un esprit de travail désireux de prouver sa compétence pour justifier son existence.

Je dirais aujourd’hui que ni FMG ni Samoa n’avaient droit à l’erreur, mais que, dès le début, nous le savions. Cette remarque, nous nous la sommes faite lors d’une réunion de travail qui eut lieu au cours de la quatrième mission (Dr M. Dewez) en août 99 :

Cette quatrième mission mit au point le dispositif de formation, en particulier les périodes de séjour et la question délicate de la sélection des candidats FMG qui devaient venir en Belgique

Quelques remarques à ce sujet :

Le projet initial prévoyait la présence de trois membres guinéens de FMG en Belgique pendant une première année (académique) et, ensuite, la présence régulière de formateurs européens en Guinée pendant les trois années suivantes (étaient prévus 80 jours de présence « psychiatre », 40 « psychologue » et 40 « assistant social » par an, soit une présence belge de 160 jours par an, les séjours des Belges devant s’étaler au cours de l’année). 

Au cours de cette quatrième mission, le bureau de FMG mit ce dispositif en discussion, arguant du fait qu’il lui était impossible de se priver de la présence de trois de ses membres pendant une période aussi longue, alors que l’association avait besoin de toutes ses forces pour réussir. D’autre part, il était souhaité d’impliquer un maximum de membres du personnel FMG dans le projet Samoa. Nous avons donc accepté la proposition de FMG : sélectionner deux équipes de trois membres qui viendraient en Belgique alternativement, deux fois trois mois chaque année pendant quatre ans. La période choisie fut avril-juin pour des raisons d’activité professionnelle intense en Belgique à cette époque d’abord, et de climat ensuite. La date de la mission de la première équipe guinéenne fut donc fixée pour avril-juin 2000.

Les critères de sélection des membres furent décidés ensemble. Y figuraient l’engagement des candidats à ne pas quitter FMG pendant toute la durée du projet. Les autres critères étaient plus formels (faire partie de l’association, par exemple), ou difficilement évaluables par nous (motivation personnelle), d’autant plus que cette motivation était appréciée par les seuls membres guinéens du bureau sur base d’une interview et non d’un travail écrit, par exemple, qui aurait pu faire l’objet de discussions communes. Mais les membres du bureau tenaient à choisir les membres Samoa de leur association de façon unilatérale, une fois fixés ensemble les critères de sélection. Nous ne nous y sommes pas opposés tant leur énoncé était sans appel.

Enfin, ce nouveau dispositif posait une nouvelle question : nous pensions que trois mois en Europe étaient nettement insuffisants pour garantir une formation qui aurait permis aux travailleurs guinéens de se lancer seuls dans une pratique psychiatrique ambulatoire. Qu’allait-il se passer au cours des premières années lorsqu’à leur retour, ils voudraient mettre en application les bribes de savoir qu’ils auraient glanées en Belgique, auréolés en outre du prestige d’un séjour de formation en Europe auprès de leur personnel et de leurs patients. Nous craignions que, ne pouvant pourtant refuser les demandes de soin, et mis en demeure par leurs collègues de mettre en application leurs nouveaux acquis, ils ne multiplient les erreurs et discréditent le projet avant même qu’il n’ait pu faire ses preuves.

Voici ce que nous écrivions dans le rapport rédigé au terme de cette quatrième mission :

« Par rapport au programme de formation, nous nous permettons les remarques suivantes :

D’une part, la formation d’une équipe compétente pour la prise en charge ambulatoire des pathologies psychiatriques lourdes ne relève pas uniquement d’un transfert de savoirs et de techniques. Cette formation exige du temps pour que soient évitées les réponses précipitées purement comportementales et pharmacologiques (sédation de l’agitation par la contention ou les médicaments neuroleptiques, par exemple).

Ces réponses permettent de « parer au plus pressé », se justifient (mal) par la quantité de travail mais ne font qu’éviter les questions que posent ces patients. Tenir compte de ces questions demande le temps de les entendre et la formation pour les recevoir, c’est-à-dire aussi le temps de maturation personnelle nécessaire à tout qui souhaite s’engager dans ce travail.

D’autre part, le nombre de patients et l’absence actuelle de lieux de soins ambulatoires peut faire craindre que les six membres des trois Centres de Santé de « Fraternité Médicale Guinée » ne soient très rapidement sollicités.

Le risque est que ceux-ci ne se trouvent dans l’obligation de répondre à ces demandes pressantes et ce, dès le début de l’action, c’est-à-dire prématurément.

Quant aux inquiétudes du docteur Namory Keita, Directeur Régional de la Santé, elles étaient les suivantes : les Centres de Santé de FMG étant les seuls qui recevront des malades mentaux dans les quatre ans à venir, ne vont-ils pas se transformer quasi exclusivement en Centres de Santé Mentale ? Il proposait donc d’étendre rapidement l’expérience à d’autres Centres de Santé de la ville et du pays, et ce bien avant le terme de l’action (dès la première année).

Une réponse à ces remarques et interrogations pourrait être la présence permanente à Conakry d’un poste d’« assistant technique » belge qui pourrait s’intégrer à l’équipe guinéenne en s’associant au travail clinique et répondre aux sollicitations du Ministre de la Santé et du Directeur Régional de la Santé ».

Mais nous ne pouvions plus reculer : le 24 décembre 1999, un fax nous annonçait que la Commission des Communautés Européennes acceptait de financer le projet…

Nous nous sommes donc « jetés à l’eau »…mais non sans bouées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sa.M.O.A. Le début de l’action

La cinquième mission (Madame M.A. Kestens, Dr M. Dewez) eut lieu en février 2000. C’était la première mission dans le cadre du projet Samoa, sous la responsabilité de l’ONG belge « Médicus Mundi Belgium » et financée par la CCE. C’est également celle au cours de laquelle ont débuté les premières consultations.

Au départ :

Voici donc d’où nous partions. 

Réflexions personnelles fin de la mission d’août 99 :

« J’arrive à la fin de mon séjour, enthousiaste mais complètement dépassé par ce que j’ai proposé. Je me suis dit que si, dans ce pays, les problèmes de santé mentale étaient à ce point négligés, ce n’était pas du tout parce qu’ils n’existaient pas ou étaient pris en charge autrement, mais parce que ce sont les plus difficiles, ceux qui demandent paradoxalement très peu de moyens matériels mais un maximum d’investissement intellectuel et humain. Ceci est très curieux et doit être révélateur de quelque chose que je ne soupçonne peut-être pas encore.»

Nos acquis professionnels étaient ceux explicités au début de ce travail.

Sur le plan méthodologique, les propositions qui suivent étaient à l’époque implicites. C’est leur mise en application qui nous permet aujourd’hui de les énoncer comme suit :

  • Position théorique : l’ignorance éclairée.

Ne pas anticiper sur ce que nous allions découvrir.

Découvrir ensemble.

Accepter de ne pas savoir ce que pourrait être une « bonne » réponse dans un contexte que nous ne connaissons pas, au sujet de questions que la future équipe guinéenne ignorait tout autant.

Nous abstenir d’a priori quant à l’étiologie de la folie : ni religieuse (diables, sorcellerie), ni morale (la drogue) – sans pour autant discréditer la première de ces hypothèses.

Eviter les hiérarchies de valeurs entre Afrique et Europe.

  • Position méthodologique : apprendre à lire la clinique.

Ne donner que les instruments de lecture sans anticiper sur ce qui pourrait se lire.

Transmettre un savoir psychiatrique minimum, pour permettre un dialogue clinique, sans pour autant imposer ce savoir.

Ne donner que les outils conceptuels et techniques dont nous étions sûrs de l’efficacité.

Privilégier un transfert de savoir par « immersion » dans le milieu de travail (tant en Guinée qu’en Belgique) plutôt que par formation théorique, par « imprégnation » mutuelle plutôt que par apprentissage unidirectionnel.

  • Objectif :

Promouvoir une pratique psychiatrique extrahospitalière, de proximité géographique et humaine, implantée dans les quartiers, dans la continuité, au sein de lieux de soins non stigmatisants.

  • Outils : outils relationnels plutôt qu’outils de savoir ou de savoir faire.

Miser sur la confiance réciproque plutôt que sur l’autorité que confèrerait un savoir acquis.

Tenir compte des préjugés réciproques.

Accepter que se « déconstruise » chez nos collègues africains les illusions concernant un supposé « savoir du blanc », et réciproquement.

Nouer des relations interindividuelles entre les membres des deux équipes.

Tenir compte du transfert.

Ne pas ignorer les intérêts personnels mais les reconnaître et les mettre au service du projet.

  • Espoir par rapport à la Guinée au terme du projet :

Faire percevoir aux professionnels guinéens que la maladie mentale est un drame humain et non une erreur de la « nature » (comme les maladies physiques). 

  • Espoir par rapport à la Belgique au terme du projet :

Apporter quelques éléments de réponse à la question : est-il possible de donner la parole à la maladie mentale et de l’entendre hors des discours de pouvoir dans lesquels elle doit se mouler aujourd’hui en Europe (discours médicaux, psychothérapeutiques, d’aide aux handicapés, etc) ? Et si oui, que nous dit-elle et quelles leçons en tirer ?

Nous étions conscients que ces « espoirs », tant en Guinée qu’en Belgique, n’étaient pas sans ouvrir le projet Sa.M.O.A. à une autre dimension. En effet, donner la parole est, aussi, un acte politique.

Cette dimension avait fait plus d’une fois l’objet d’importantes discussions lors de l’élaboration du projet avec Madame Adriana Longoni, responsable du projet Sa.M.O.A. à la Délégation des Communautés Européennes à Conakry autant qu’avec certains membres de mon équipe. Ces discussions se poursuivent aujourd’hui.

En fin de mission :

Les résultats de cette mission sont énoncés dans le rapport rédigé à son terme, y compris les résultats quantitatifs, ainsi que ce que nous avions appelé « les problèmes » lors d’une première rédaction et que nous avons pudiquement retranscrit en « défis »… Nous les reprenons ici.

Nombre total de consultants  81
Nombre total de consultations  90
Lieu des consultations : Centre de santé d’Hamdallaye Centre de santé de Dar Es Salam Centre de santé de Carrière C.A.P. Santé Domicile du patient       37 13 23 3 5
Age des consultants : De 0 à 5ans De 6 à 12ans De 13 à 20 ans De 21 à 40 ans De 41 à 60 ans 61 et plus      8 9 28 25 8 3
Genre des consultants : Masculin Féminin      51 30
Pathologies : Psychose Névrose Epilepsie Autres pathologies neurologiques et retards de développement Toxicomanie Dépression Problèmes relevant de la médecine générale      26 17 9   20 1 3   5    
Traitements : Psychothérapie (uniquement)Traitement médicamenteuxAvis extérieur avant traitement ou traitement référéAbstention thérapeutique      30 29   12 10

Ces chiffres imposent les commentaires suivants :

1. L’importance des pathologies neurologiques incurables.

Elles représentent 25% de l’ensemble des 81 patients rencontrés lors des consultations à Conakry.

Il s’agit de pathologies complexes, rassemblant des malformations congénitales d’origine génétique et des séquelles graves d’infections cérébrales ou méningées soit in utéro soit précoces, d’origine indéterminée. Ces pathologies ne sont pas susceptibles d’amélioration mais représentent un poids énorme pour les familles.

Quant aux retards de développement psychomoteur et intellectuel moins handicapants, ils exigeraient un encadrement éducatif et pédagogique aujourd’hui inexistant.

2. Le coût des traitements.

Un flacon de 15 ml de halopéridol (2mgr/ml) (Haldol, neuroleptique polyvalent le plus simple d’utilisation) coûte 3.000 fr. guinéens. Cette dose représente entre trois jours et une semaine de traitement, selon le cas et l’importance du tableau pathologique. Il s’agit d’un traitement médicamenteux minimum de la psychose devant être poursuivi des semaines, des mois, sinon des années, et ce appuyé par des mesures psychothérapeutiques et sociales.

Une boite de 50 comprimés de 200 mgr de carbamazépine (Tégrétol, anti-épileptique disponible en Guinée) coûte 12.000 fr. guinéens. Cette dose représente environ 25 jours de traitement pour un adulte dans les cas les plus simples, à poursuivre pendant des années. 

Un coût de 15.000 fr. guinéens par mois représente entre 15 et 25% du revenu mensuel moyen de la population rencontrée, lorsque ce revenu existe.

3. La mauvaise information des patients et des familles.

Aucun patient ne distinguait traitement étiologique et traitement symptomatique, les considérant tous comme curatifs. Concernant des pathologies chroniques comme l’épilepsie ou la psychose, cela signifiait l’arrêt du traitement après quelques semaines, la réapparition des troubles et la perte de confiance des patients et des familles en ceux-ci autant qu’en leurs prescripteurs.

4. Le poids de la tradition.

Les tradipraticiens rencontrés sont formels : échappent à leur art les maladies qui sont la conséquence « d’un péché ou d’une malédiction ». Comme la guérison de beaucoup des pathologies neuropsychiatriques dites lourdes reste peu accessible à leurs pratiques, les patients qui en sont atteints ou leurs ascendants se voient imputer des « fautes morales » telles qu’elles justifient l’opprobre dont ils sont l’objet et donnent raison aux pratiques d’exclusion rencontrées.

5. La violence exercée à l’égard des malades mentaux.

Il n’est pas rare de rencontrer des patients enchaînés dans leur chambre, au point que l’un d’eux, âgé de 28 ans, s’y trouvant depuis plusieurs années, présentait une telle atrophie des muscles du bassin et des membres inférieurs qu’il pouvait à peine se tenir debout.

Certes, ces pratiques sont à l’égal des violences exercées à l’encontre des malades mentaux à l’abri des murs des hôpitaux psychiatriques en Europe.

Elles cherchent une justification dans « l’agressivité » du malade, ce qui n’est sans doute pas faux à un certain moment, mais entraînent rapidement sa stigmatisation et préparent l’étape suivante : son exclusion du groupe lorsque celui-ci, excédé, aura perdu tout espoir de normalisation sociale.

6. La question de langue.

La majorité des patients ne parlent que la langue vernaculaire. Un interprète quadrilingue (poular, sousou, malinké et français) est le plus souvent nécessaire au cours d’une journée de consultation dans un centre FMG.

Outre sa position de tiers au cours des entretiens, et ce que cela signifie dans un cadre psychothérapeutique mettant la parole en place première dans la rencontre, rares doivent être ceux qui possèdent suffisamment ces quatre langues pour en faire un instrument de travail véritable, dépassant le simple transfert d’information.  

7. La surcharge de travail que représentera le projet Sa.M.O.A. pour le personnel de F.M.G.

Six membres de FMG sont proposés à la formation (deux dans chaque centre, dont les trois médecins, deux infirmiers et une accueillante faisant fonction d’assistante sociale).
Actuellement, les centres de santé de FMG sont en voie de démarrage.

Mais outre les consultations quotidiennes, sont mis en place plusieurs programmes spécifiques (dont Sa.M.O.A.).

Le risque existe de voir les problèmes de santé publique permettant une plus grande efficacité pour un investissement moindre en temps, mais également en ressources intellectuelles et humaines, devenir rapidement prioritaires par rapport à des pathologies chroniques, bruyantes, dérangeantes et peu satisfaisantes sur le plan des bénéfices personnels apportés au soignant par la guérison de son malade, comme le sont les pathologies neuropsychiatriques lourdes que nous avons rencontrées.

8. La formation universitaire occidentale.

Les études proposées par les Universités et Ecoles Supérieures en Belgique forment des médecins, des psychologues, des assistants sociaux selon des références qui sont celles de leur exercice en Europe aujourd’hui.

La clinique guinéenne nous a permis de découvrir quotidiennement des pathologies soit inexistantes en Europe (pathologies dites tropicales), soit qui ont quasi disparu de notre paysage de clinicien occidental du vingt et unième siècle par des mesures prophylactiques (vaccinations, interruptions de grossesse, utilisation des antibiotiques) ou par une prise en charge précoce en milieu spécialisé.

Cet état de fait rend souvent caduques ou obsolètes les références théoriques et pratiques que nous utiliserions quotidiennement en Europe, et nous laisse déroutés, faute de points de repères que certains présentent comme universels. 

Aujourd’hui, chacun de ces points a fait l’objet de notre attention et a orienté notre démarche.

Je me permettrai également de reprendre les conclusions de cette cinquième mission, toujours d’actualité :

« Il apparaît de plus en plus évident que les particularités du terrain guinéen (sociales, économiques, culturelles, mais aussi les particularités des problèmes psychopathologiques rencontrés) éloignent du modèle de soins occidental une pratique de santé mentale en milieu ouvert à créer en Guinée.

Si les missions des professionnels guinéens en Belgique se justifient au début de l’action, l’essentiel du travail devra cependant être fait en Guinée.

L’écart entre l’Europe et la Guinée est tel que l’importation d’un modèle européen ne pourrait qu’en caricaturer les excès, se limitant par exemple à une prescription de psychotropes (lorsqu’ils sont disponibles) selon un modèle de soins strictement médical et risquerait de déstabiliser un réseau de prise en charge traditionnelle en le discréditant, sans pour autant apporter de réponses plus satisfaisantes ou simplement praticables aujourd’hui en Guinée.

(Remarque d’aujourd’hui : c’est bien ce qui se passe au service de psychiatrie de l’hôpital Donka.) Il ne s’agit donc pas simplement d’effectuer entre experts occidentaux et professionnels guinéens un transfert de savoir ou de savoir-faire, mais de créer une pratique nouvelle en Guinée.

Mais bien plus, ce qui est à produire à travers ce dispositif de soins, est un discours sur la maladie mentale qui fasse exister le patient pour ses proches et ceux qu’il rencontre au quotidien.

Un discours partagé par le patient et ses proches, à son sujet plutôt qu’au sujet de sa « maladie », un discours non stigmatisant, qui lui rende une place parmi les siens,

un discours qui fasse (ou qui refasse), pour chacun des acteurs concernés, lien social.

Peut-être est-ce ici que nous aurions à rappeler que notre objectif n’est certes pas d’ « éradiquer la maladie mentale » mais, plus humblement, de soulager la douleur de vivre qu’elle engendre, pour le patient et pour ses proches.

Autrement dit, il ne s’agit pas tant de « traiter les pathologies mentales » que de recevoir des femmes et des hommes pour lesquels un « traitement » viserait non la disparition du « symptôme » mais à rendre celui-ci humainement recevable, ce qui en modifie, radicalement, l’expression. »

Nous ne pouvons aujourd’hui que confirmer ces vues.

Les professionnels des centres de santé de FMG sont restés distants pendant tout ce travail. De nombreuses consultations ont été faites seuls, la traduction des entretiens n’étant pas rarement confiée à la femme d’ouvrage.

En fin de mission, nous avons donné comme instruction :

  • Poursuivre les traitements initiés selon le schéma proposé,
  • Ne pas initier de nouveaux traitements,
  • Nous tenir au courant par e-mail de l’évolution et des questions éventuelles sans prendre d’initiatives.

Ces instructions ont été respectées.

Le premier message concernant des patients fut reçu du Dr Sow le 1 mai 2000 (soit environ 7 semaines après notre départ). Le voici :

« Concernant les malades :

  • L’enfant soumis au tégrétol à Dar Es Salam se porte mieux, la boite a été renouvelée.
  • 3 patients de Carrière y compris celui qui loge à côté du Centre sont considérablement améliorés sous Haldol. Malheureusement les parents ont profité de cette amélioration pour les envoyer au village parce qu’ils ne pouvaient plus supporter le coût du traitement. Nous avons constaté ce fait 5 jours après et les parents ne voulaient même pas nous en informer. Ce sont les cohabitants qui ont donné l’information.
  • Le patient ligoté de Dar Es Salam a été détaché. Ambroise m’a informé que la semaine dernière il était venu au Centre de Santé pour le rencontrer. »

Soit des nouvelles de 5 patients sur les 81 qui nous avaient consultés.

 Mais il est vrai qu’il était prévu que la première équipe guinéenne soit à Bruxelles en avril et transmette les informations. Le retard dans l’obtention des passeports et des visas à postposé cette mission en octobre-décembre 2000.

Un second message parlant des patients date du 14 juin, répondant à certaines de mes questions :

« Justement pour ces malades, je suis d’accord avec toi. Nous devons pousser les investigations pour savoir pourquoi les parents les ont ramenés au village. A ce propos, j’ai fait un compte rendu verbal à Adriana (Longoni, de la Délégation des C.E., responsable du dossier Sa.M.O.A. auprès de celle-ci) sur le suivi des malades et je lui ai dit que nous avons revu 30 des patients que tu avais consultés, mais certains sont perdus de vue depuis lors. Concernant leur suivi médical, je lui ai dit que tu es fréquemment informé de leur état et que tu donnes souvent des recommandations par e-mail. »

La dernière phrase du Dr Sow est quelque peu…

Il est vrai qu’à l’époque, FMG ne disposait pas encore de l’ordinateur portable que le projet n’a pu leur fournir qu’à l’occasion de la mission d’août 2000. Envoyer un mail était encore à ce moment-là un exploit.

Le message suivant parlant de patients date de septembre 2000, soit après la sixième mission. (Monsieur C. Dubois, Dr M. Dewez)

Celle-ci eut lieu à Conakry en juillet/août 2000, sur le même modèle qu’en février, sinon que cette fois, FMG n’avait plus fait l’annonce de notre arrivée auprès des populations des quartiers. Nous ne pouvions plus compter que sur les résultats du travail fourni en février/mars, et sur les suites de celui-ci relayées au sein des centres de santé par les membres de FMG entre mars et juillet.

Les résultats furent pourtant aussi importants quantitativement. Si nous avions reçu 86 patients en février/mars, nous en avons rencontré 93 en juillet/août, dont 80 nouveaux. Ce qui signifie aussi que nous n’avons revu en juillet/août que 13 patients vus en février/mars.

Ce dernier constat est important et méritera des commentaires ultérieurs, parce qu’il est révélateur d’une situation prévisible mais dont nous aurons à tirer les conséquences.

  Consult. nouveaux psychose névrose Neuro. méd. Gén. Domicile Donka FMG Vu en mars
Hamdallaye 42 21 5 7 4 5 2 0 4
Carrière 32 14 5 6 2 1 4 0 3
Dar E. S. 84 35 7 9 11 8 21 0 6
                   
Total FMG 158 70 17 22 17 14 27 0 13
                   
  Consult. nouveaux psychose névrose Neuro. méd. Gén. Domicile Donka FMG Vu en mars
Donka 7 1 1 0 0 0     0
CAP Santé 3 2 0 2 0 0     0
Nimba 6 6 0 0 6 0     0
Kindia 1 1 1 0 0 0     0
                   
Total génér. 175 80 19 24 23 14 27 0 13

Nous écrivions au terme de cette mission :

« Ces chiffres permettent les commentaires suivants :

  • Importance du problème (166 patients, 271 consultations)
  • Gravité des pathologies (28% de schizophrénies, 31% de maladies neurologiques, de handicaps mentaux et de retards de développement principalement chez des jeunes enfants)

ainsi que les conclusions suivantes, en particulier concernant l’intérêt d’ouvrir les Centres de Santé au traitement des maladies neuropsychiatriques :

Intérêt pour la population :

  • Peu de réticences des populations à fréquenter les Centres de Santé par rapport aux Centres Spécialisés.
  • Maintien du patient dans sa famille et son lieu de vie.
  • Economie de moyens.
  • Déstigmatisation de la maladie mentale.

Intérêt pour les professionnels de la santé :

  • Proximité géographique et humaine : connaissance du milieu de vie, possibilité de visites à domicile.
  • Continuité des soins : possibilité de suivi à long terme.
  • Education sanitaire des patients et des familles, y compris concernant la prévention.
  • Implication des familles dans le traitement à long terme des patients.
  • Meilleure compliance des patients au traitement.
  • Possibilité de diagnostic et d’intervention précoce.

Intérêt en termes de politique de santé :

  • Investissements quasi exclusivement en ressources humaines et en formation.
  • Intégration des soins de santé mentale dans une politique globale de la santé.

Perspectives proches :

  • Mise à disposition de médicaments génériques grâce à l’aide de MSF Belgique.
  • Ouverture à partir de septembre 2000 de « centres de jour » dans les Centres de Santé, ouverts aux enfants handicapés mentaux et à leurs parents.
  • Mise en réseau du dispositif de soins avec d’autres structures existantes (service de psychiatrie de l’hôpital Donka, centre de rééducation et de réinsertion professionnelle Nimba, autres Centres de Santé du milieu associatif, etc.)

Aujourd’hui : nous maintiendrions nos commentaires ainsi que nos conclusions, même si elles apparaissent plus comme objectifs à atteindre que comme acquis.

En particulier les conclusions concernant la question de la proximité géographique et humaine, qui est une pierre d’angle du dispositif Sa.M.O.A. : il semble en effet que le peu d’anciens patients revus tient à cela. Par contre, les patients proches des centres fréquentent ceux-ci régulièrement. Il doit donc exister un seuil géographique dans la continuité de la prise en charge. Peut-être faudrait-il définir une aire sociologique d’appartenance au delà de laquelle les patients considèrent que le centre de santé qui y est implanté est « ailleurs », « trop loin », et ne donne pas suite à une première demande de soins. Cette question pose évidemment celle d’une extension du projet à d’autres centres de santé. Ce qui nous semble par contre certain, c’est qu’adresser simplement aujourd’hui un patient à l’équipe d’un autre centre de santé que ceux de FMG est inutile, même si le patient est accompagné d’instructions claires de traitement. Il semble d’ailleurs que l’extension du dispositif ne se fasse pas actuellement par la « mise en réseau » des professionnels mais par la diffusion de l’information de l’existence du projet au sein des populations des quartiers. Ce sont les utilisateurs qui, de proche en proche, parlent du projet. Et, aujourd’hui, ce ne seraient plus tant les professionnels qui feraient offre de soins que les patients qui en feraient la demande, anticipant celle-ci…

Un exemple de cette nécessaire proximité pourrait nous être fourni par le premier message reçu le 8 septembre 2000 concernant les patients. Il émane du Dr Kourouma, médecin chef du centre de santé de Dar Es Salam :

« 1/ Premier malade

Il s’agit de Sadou Diallo, patient de Dar Es Salam II, vu à domicile pour handicap neurologique. Traitement proposé : tiapridal comprimé. Il est venu au centre de santé le 6/9/2000 pour me dire quelque chose. 

Il dit : Médicaments : action très bonne. Je peux manger avec la main droite. Même ma manière de marcher a changé. Je suis en rupture de médicaments. Mon frère est en déplacement sur N’Zérékoré. Je remercie beaucoup Dr Porto. Je veux aller chez lui en Belgique.

NB : Pour parer à ce problème de rupture, je suis parti acheter une boite de tiapridal au dispensaire de Saint Gabriel de Matoto.

2/ J’ai fait une visite domiciliaire dans la famille Kaba (4 Schizophrènes vus ensemble). Mohamed Lamine Kaba qui est sous haldol décanoas s’améliore légèrement. Ses frères sont sous haldol gouttes.

J’ai demandé aux parents d’entretenir la maison des quatre frères. Elhadj Kaba a fait la commande des lits. Je vous donnerai la suite. »

Concernant les perspectives, seule la première s’est réalisée.

L’espoir d’ouvrir des « centres de jour » dans les centres de santé s’est révélé un échec. Nous avions compté sur la présence d’une psychologue belge, épouse d’un agronome employé en Guinée. Celle-ci nous avait demandé de s’associer au projet, ce que nous avions accepté. Mais le contrat de son mari n’a pas été renouvelé et elle a quitté la Guinée en septembre, et nous appuyer sur le seul personnel guinéen était prématuré.

D’autre part, très vite après notre retour en Belgique, nous avons appris que les nouvelles concernant la fréquentation des centres par les enfants et leur famille n’étaient pas bonnes :

« Isabelle continue à fréquenter les centres Hamdallaye et Dar Es Salam pour voir les enfants.  Mais le début est difficile. Les enfants, s’ils viennent, sont là au compte goutte. Dans tous les cas, Isabelle est courageuse, car elle vient tous les jours. Elle tient vraiment à assister les enfants. A partir de vendredi (15 .09. 2000), Dr Ambroise et Madame Aïssatou iront avec elle pour faire des visites domiciliaires, rencontrer les parents des enfants et réadapter le calendrier. » (Message du Dr Sow du 14 septembre)

Sans doute les parents n’ont-ils pas compris le sens d’une telle démarche, qui relevait plus d’une logique psychopédagogique (occidentale) que médicale. Ils étaient venus consulter un médecin dans l’espoir d’un traitement, nous leur proposions quelque chose comme une drôle d’école dans un centre de santé. Et le départ prématuré d’Isabelle (la psychologue) n’a pas permis de reprendre les choses. D’autres hypothèses permettant de rendre compte de cet échec sont évoquées plus bas dans le paragraphe « substitution ».

Quant à la « mise en réseau », nous l’avons évoquée ci-dessus.

Première mission guinéenne en Belgique : octobre à décembre 2000

Trois membres de l’équipe Samoa de FMG sont donc venus en Belgique : Madame Amatigui Diallo, Monsieur Joseph Soropogui, le Dr Ambroise Kourouma. Trois membres de « La Gerbe » s’étaient engagés à les loger chez eux, séparément donc. Ce séjour fût mouvementé. Nous avions pourtant pris nos précautions, allant jusqu’à demander à une psychologue stagiaire de consacrer la première partie de son stage à l’organisation du séjour de nos collègues guinéens en Belgique (elle souhaitait faire la seconde partie, de janvier à mai 2001 à Conakry, ce qu’elle fit ensuite).

A leur départ, nous écrivions ceci :

« Au niveau humain :

Il s’agissait pour ces trois professionnels d’un premier séjour en Europe. Le choc fut rude. Le climat glacial (nous espérions leur venue en avril, mai, juin, mais les visas ne sont pas arrivés dans les délais), le niveau de vie parfois écœurant de disparité, l’omniprésence de la technique et de ses gadgets, les mentalités individualistes à outrance, la langue (les Belges parlent trop vite et en termes trop compliqués), une culture luxuriante mais étrange autant qu’étrangère, la laïcité incompréhensible, le racisme ordinaire (parfois réciproque), tout cela dut faire l’objet de longues palabres. Accueillis dans nos familles, ils se sont retrouvés d’autant plus isolés. Tout trois ont eu des problèmes de santé qui n’ont pas pu faire l’objet de prise en charge par la sécurité sociale belge. L’avenir nous dira ce qu’aura pour eux représenté cette expérience, mais aucun des trois n’a hésité lorsqu’il a été question de retour au pays, contrairement, là aussi, à ce que d’aucuns pourraient penser !

Au niveau professionnel :

Ils ont découvert un réseau de soins, complexe peut-être, mais existant. Ils ont acquis un vocabulaire, leur permettant de s’introduire dans la littérature. Ils ont été confrontés à nos contradictions, en particulier dans le domaine de la maladie mentale, perdant, non sans rancune, cette illusion d’une Europe qui, pensaient-ils, avait une réponse à toute question. Ils ont découvert ce que signifie un travail d’équipe.

Ils ont acquis un savoir minimum dans leurs domaines : le Dr Kourouma dans le maniement des neuroleptiques, Mr Soropogui dans ce que signifie un lieu socio-thérapeutique, Mme Diallo dans ce que représente un réseau de soins. La question de ce qui est transposable en Guinée, ce qui ne l’est pas et ce qui est à créer à Conakry (et à Bruxelles ?) a fait l’objet de longs débats dont certains ont trouvé écho lors de la réunion du Comité Scientifique.

Un risque cependant persiste à ce stade : que leur séjour, court et mouvementé, en Belgique ne leur donne en Guinée une autorité dont ils n’ont pas (encore) les moyens. Nos mises en garde mais surtout, pensons-nous, notre présence en Guinée infléchira, espérons-le, ce funeste penchant. »

Ce petit texte, qu’ils découvrirent en février 2001 à Conakry lors de notre séjour suivant, dut faire l’objet à ce moment là de longs commentaires de notre part pour en émousser le tranchant.

L’essentiel aujourd’hui resterait ceci : ce que leur séjour leur a imposé est la désillusion, concernant en tout cas le traitement de la maladie mentale, d’une Europe qui aurait « une réponse à toute question », les obligeant à rentrer non bredouilles mais avec, outre quelques instruments techniques, le seul constat que ce n’était pas ici qu’ils trouveraient la solution. Cette leçon, nous ne souhaitions pas la leur donner. Mais nous n’avons rien fait pour qu’ils ne l’apprennent pas. Peut-être était-ce le prix à payer par nos hôtes pour pouvoir s’autoriser, une fois rentrés chez eux, à découvrir à nos côtés ce qui n’était encore qu’en train de naître.

Novembre 2000 : première réunion du Comité Scientifique

Comité Scientifique du 22 novembre 2000

Liste des membres invités et présents

Membres du Comité Scientifique :

Professeur Amara Cissé (présent)

Docteur Namory Keita (excusé et représenté par le Dr Tata Gakou)

Monsieur Idrissa Souaré (excusé)

Docteur Pogba Gbanacé (excusé)

Docteur Mariama Barry (excusée)

Professeur Norman Sartorius (présent)

Professeur Mike Singleton (excusé)

Professeur Bart Criel (présent)

Monsieur René Collignon (présent)

Docteur Emile Jeannée (excusé)

Invités :

Monsieur le Ministre Didier Gosuin (excusé)

Docteur Abdoulaye Sow (excusé)

Docteur Thierno Mouctar Diallo (excusé)

Docteur Tata Gakou (présente)

Docteur Abdoulaye Fofana (présent)

Docteur Ambroise Kourouma (présent)

Madame Amatigui Diallo (présente)

Monsieur Joseph Soropogui (présent)

Madame Adriana Longoni (présente)

Docteur Marc Derely (excusé)

Docteur Serge Goffinet (absent)

Monsieur Patrick Lejuste (excusé)

Docteur Sandra Snoeren (présente)

Madame Claire Nimal (présente)

Monsieur Henry Courtois (présent)

Docteur Marc Seghers (absent)

Madame Nadine Quévy (absente)

Madame Marie Anne Kestens (présente)

Monsieur Christian Dubois (présent)

Madame Chantal Beyaert (présente)

Madame Anne Bawin (présente)

Docteur Michel Dewez (présent)

Présentation des différents partenaires du projet SA.M.O.A.  (Dr Dewez)

L’idée du projet Samoa est née du travail du Service de Santé Mentale “ La Gerbe” à Bruxelles où nous est apparu d’évidence que les maladies mentales sont dépendantes des circonstances de vie dans lesquelles elles naissent, et combien il est important que ce soit en ce lieu-là qu’elles soient prises comme questions.

SA.M.O.A. est un dispositif de travail qui rassemble actuellement 2 associations de terrain, à savoir “ La Gerbe ” et “ Fraternité Médicale Guinée ”.

L’ONG Médicus Mundi Belgium, responsable du projet, nous a permis sur les plans institutionnels et administratifs de trouver les moyens de sa réalisation.

L’action est co-financée par la Commission des Communautés Européenne.

Calendrier des actions menées.

Le projet SA.M.O.A. a débuté en août 1997 par une première mission préparatoire. Il y en eu trois autres (en mai 1998, en août 1998 et en août 1999.) Il a démarré sur le terrain guinéen grâce au co-financement de la Commission des Communautés Européennes lors de la 5è mission de février 2000 et s’est poursuivi par une 6è mission en août 2000 à Conakry. La mission actuelle, avec la présence des 3 membres guinéens de FMG ici à Bruxelles est donc la septième.

Projet SA.M.O.A./FMG

Prof. Cissé : Situation générale de la psychiatrie en Guinée.

Dr Ambroise Kourouma

Mr Joseph Soropogui

Mme Amatigui Diallo

Projet SA.M.O.A./La Gerbe

Dr. Dewez (1°, 2°, 3°, 4°, 5° et 6° mission)

(Voir les rapports de missions)

Mr Dubois (6° mission):

“ Mon travail s’est réparti sur les 3 centres FMG et sur un Centre pour enfants handicapés, le centre Nimba. D’emblée quand on fait une consultation infanto-juvénile, la fréquence des retards de développement, même s’ils ne sont pas d’ordre neurologiques mais psycho-affectifs, pose une 1ère limite à la consultation qui devrait aussi les aborder de façon orthopédagogique. Or, c’est inexistant dans toute structure.

La 2è constatation est qu’il y a, contrairement à nos centres de consultation, peu de demandes faites au niveau des troubles scolaires ou d’apprentissage, pour la raison simple que les enfants qui ne suivent pas à l’école ne vont plus à l’école, ce qui est différent de chez nous où on a beaucoup de demandes qui émanent à partir des difficultés scolaires au sens large.

Pour recouper ce que Michel dit que la pathologie mentale est objet de traitement à partir du moment où elle est en dehors des normes, quand elle est trouble de l’ordre public, c’est un peu comme ça chez nous mais au niveau des enfants, c’est quand il y a trouble au niveau de l’ordre scolaire ou éducatif. On n’a pas accès à cela à Conakry car on est en dehors du circuit scolaire. La difficulté de la clinique, mais aussi son côté passionnant avec les enfants à Conakry vient du fait que le statut d’un enfant n’est pas du tout le même ni dans la famille guinéenne, ni dans la société guinéenne.

Et donc, ma façon de travailler avec les enfants qui utilise très peu de médication, en dehors des pathologies neurologiques, on utilise beaucoup en Belgique des structures d’aide, des structures intermédiaires, centres de jour inexistants en Guinée et donc, il me restait la parole. Mais voilà, en Europe, il est commun qu’on donne la parole aux enfants et qu’on les écoute pour voir ce qui leur arrive, mais cette pratique là n’est apparemment pas du tout commune en Guinée.

Donner la parole à un enfant pour écouter ce qui lui arrive n’est pas un acte banal, et donner la parole à un enfant malade renforce cette espèce de pari que nous faisons en Europe mais qui n’est pas un pari qui va de soi en Guinée. Les résultats de ce travail sont passionnants et on a pu voir des enfants qui, alors qu’ils avaient de gros retards au niveau de la parole et un comportement très perturbé (fugues…), des enfants qui accrochaient au Centre de Santé et revenaient régulièrement pour donner de leurs nouvelles ou allaient suffisamment loin dans ce qu’ils disaient pour que les parents se mettent à s’intéresser à ce que les enfants disent.

Il me semble qu’il y a 4 axes importants dans lesquels il faudrait accentuer la formation :

1.     dimension de prévention précoce (péri et post-natalité). Vu le nombre de grossesses à                                                risque au niveau médical ou relationnel, vu le nombre de retards de développement, …

  1. question de maltraitance physique et sexuelle extra ou intra-familiale. Un certain nombre d’indices me font penser qu’elle existe mais qu’elle est difficile d’accès mais qu’il faudrait peut-être se pencher sur une façon de pouvoir la dépister ou que les intervenants sociaux puissent avoir un rôle à cet égard.
  2. Prise en charge des problèmes de développement en parallèle avec le développement de structures intermédiaires (enseignement adapté, insertion professionnelle, orthopédagogie, psychomot,…)
  3. dimension de travail de parole ; passionnant mais difficile par rapport à la question de la culture, de la langue. Rappel qu’un enfant chez nous n’est pas un enfant là-bas (polygamie : relation entre un enfant et la co-épouse ; cas d’un enfant qui là-bas ne le vit pas trop mal, ce qui ne va pas de soi chez nous.)

Ma position est plus de déchiffrer un terrain qu’apporter un savoir.

Mme Kestens (3° et 5° mission)

La question du travail social.

Quand on se rend compte que l’on est la seule assistante sociale du pays, on pense parfois : « tant mieux », parce qu’on se dit que c’est peut-être une profession qui n’a pas besoin d’exister là-bas et on se demande alors ce que l’on vient y faire.

Il est vrai qu’on se fait une image assez mythique, nous les européens, de cette fameuse solidarité africaine et que donc, il n’y a peut-être pas besoin d’agents techniques de la relation sociale.

Et puis, on se rend compte, en tous cas en ville, que cette fameuse solidarité africaine en prend un fameux coup surtout dans le domaine de la maladie. Car si cette solidarité existe dans des tas de domaines, p.ex. les associations commerçantes, les cuisines communautaires, en ce qui concerne la maladie, celle-ci semble beaucoup plus être l’affaire du malade dans sa famille et je me suis étonnée de la solitude et de l’isolement des familles avec leurs malades mentaux., poids lourds au niveau économique et social (le regard de l’autre est difficile).

Problème du malade mais aussi d’une famille prenant le risque d’être isolée en portant quelque chose d’aussi conséquent. La famille s’en remet donc à ce qui est à sa portée et en ville c’est donc le service de psychiatrie de l’hôpital Donka qui demande beaucoup de moyens au point de fragiliser les familles qui se rendent compte au bout de traitements parfois très longs et qui ont mis en péril une famille qu’ils sont inefficaces puisqu’il y a rechute. On s’est posé la question : comment ne pas tomber dans la dérive européenne qui est l’institutionnalisation des rapports sociaux au point qu’on pense parfois qu’ils sont naturels, comment néanmoins induire une responsabilité collective par rapport à la maladie et qui ne repose pas uniquement sur les épaules d’une famille. On tient peu compte de la souffrance des familles. Il y a à soulager ces parents, ces épouses, ces époux, par des agents de santé qui p.ex. pourraient un temps prendre en charge ces enfants, ces malades.

Discussions

Les cassettes n° 2, 3 et 4 n’ont pas, ou mal, enregistré les discussions.

 
Résumé des interventions selon notes manuscrites :

Prof. Sartorius :

Importance de la dimension stratégique :

Cibler une maladie avec la possibilité d’un résultat rapide. Par exemple : l’épilepsie, d’autant plus qu’il existe une Ligue Internationale de l’Epilepsie et qu’il y a 7 à 8 fois plus d’épileptiques en Afrique qu’en Europe.
Se présenter comme étant efficace, utile à court terme.

Inspirer la confiance par la crédibilité.

Se présenter comme un service capable de faire des choses, des choses que l’on peut faire en une après-midi.

Se faire des amis dans les services de santé.

Autre proposition : la dépression, les psychoses aiguës.

Créer des groupes d’entraide autour des enfants handicapés.

Donc :

  1. une maladie
  2. un groupe d’entraide
  3. associer les médias et les journalistes afin de s’en faire des amis.

Dans ces groupes d’entraide : récompenser l’effort et non le résultat qui lui ne viendra pas. Proposer par exemple aux intervenants de terrain une phrase à transmettre aux mères pour qu’elles puissent investir leur enfant handicapé.

“ Nous devrions faire l’effort de traduire en une page ce qui, de la psychiatrie, est important à transmettre. ”

Le professeur Sartorius considère qu’il n’est pas utile au psychiatre de s’associer à la sphère traditionnelle. Il n’y a pas, dit-il, de rencontre possible entre la médecine moderne et les pratiques traditionnelles. Pas de rencontre, mais une possible coordination fonctionnelle, et de possibles références d’un modèle à l’autre.

Le professeur Sartorius estime que les pratiques traditionnelles ne sont pas à mettre en lien avec les pratiques modernes.

Il évoque cette initiative qui a consisté à rassembler à Maastricht lors d’un “ Congrès International ” de psychiatrie les personnes qui se reconnaissaient sous le qualificatif “ entendre des voix ”. Sur les 600 personnes hallucinées présentes, 200 n’avaient jamais consulté, 200 pratiquaient l’automédication (drogues diverses dont l’alcool, etc), et 200 avaient ou avaient eu recours à la psychiatrie. On peut donc considérer que 2/3 de ces personnes hallucinées ne se réclamaient pas d’une “ maladie ” et que les mots qui qualifiaient cet état avaient un effet soulageant, même s’ils ne venaient pas du discours médical.

Mr Collignon évoque à ce moment deux ouvrages :

“ L’Afrique des individus. Itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine (Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey) ”, Alain Marie (éd.), (Paris, Karthala, 1997)

“ La construction sociale des maladies. Les entités nosologiques populaires en Afrique de l’Ouest. ” Y Jaffré et J.P. Olivier de Sardan (éd), Paris, PUF, 1999, coll. Les champs de la santé.

(Selon enregistrement 🙂

La question du statut des interprétations dites persécutives en termes de sorcellerie, pratiques magiques, maraboutage (en Afrique) , de démons, etc. (en Europe au XIXe siècle), la question du diagnostic est parfois complexe :

“ Il me semble qu’il y ait un problème intéressant, important, du statut de certaines expériences hallucinatoires ou délirantes.  Il y a eu une tendance à une certaine époque dans la psychiatrie occidentale de “ pathologiser ” certaines interprétations traditionnelles. C’est une question assez compliquée finalement, qui essaye de savoir “ Est-ce que quelqu’un qui évoque des choses qui renvoient au démon dans une structure sociale particulière, est-ce qu’il est délirant sous prétexte qu’il évoque ce genre de chose ? Est-ce qu’en Afrique, évoquer p.ex. le terme de sorcellerie ou le terme d’autres interprétations que nous appelons persécutives, est-ce délirant ou pas dans une société où l’on croit à la sorcellerie ” ? Et si on se situe dans une perspective sociologique, une société dans laquelle l’ensemble social croit en la sorcellerie, la question à se poser si individuellement on croit ou l’on ne croit pas à la sorcellerie, à la limite n’a pas beaucoup d’objet, n’a pas beaucoup de sens.  Il est évident que ça peut s’entendre à des niveaux différents si dans une société où l’on croit au sorcier, des accusations dans cet univers de soupçon existent à votre égard. ”

(…….)

évocation d’un grand livre classique sur la mélancolie qui vient d’être traduit en français : Robert Burton , The Anatomy of Melancholy (1621), trad. fr. L’anatomie de la mélancolie (Paris, José Corti, 2000). Première édition anglaise au XVIIe siècle.

“ Il existe dans une traduction française. Il y a deux ou trois volumes. C’est chez José Corti que cela a été traduit. C’est l’ouvrage majeur sur la figure moderne si vous voulez de la mélancolie dont la conceptualisation médicale par la suite se fera par quelqu’un comme Emil KRAEPELIN par exemple, c’est l’irruption de la figure moderne de la mélancolie, mais ça s’inscrit dans un contexte théologique (Burton était un homme d’église) , religieux de conception morale qui est un héritage chrétien de la  … ”           . 

Dr Dewez :

“ A Conakry, nous rencontrons des patients mélancoliques, mais les figures que prennent ces tableaux pathologiques ne passent pas nécessairement pas l’expression symptomatique que nous leur connaissons en Europe. Cela ne veut pas dire pour autant que les catégories comme telles n’existent pas, mais il y a des figures “ historiques ”, disons, de ces catégories. ”

Mr Collignon :

“ Pour ce que vous évoquez autour de la somatisation effectivement beaucoup de tableaux dépressifs en Afrique en passent par des expressions symptomatiques de type somatisation.

Là, effectivement il y a tout un travail d’approfondissement, de réflexion et de formation aussi, en particulier pour tous les agents de santé pour être attentif à la question de la dépression et c’est intéressant de voir que très rarement quelqu’un qui sera en situation plus ou moins de retrait, de replis de type dépressif, si ça ne s’exprime pas par des manifestations agressives ou d’agitation et d’expressions somatiques et une série d’autres choses, il ne dérangera personne et cela ne demandera pas une consultation,  une demande d’aide et de soins. Il n’y en a pas pour autant absence de souffrance ! C’est là effectivement que l’exigence disons pour le clinicien d’être attentif à toutes les figures qui se présentent reste toute aussi présente. ” 

Cf.  Henry B.M. Murphy 1980 “ L’apparition de sentiments de culpabilité en tant que symptômes dépressif courant : une comparaison historique portant sur deux continents ” Psychopathologie africaine 16, 2 : 143-169. [Comparaison entre l’Angleterre du XVIIe siècle, à partir du livre de Burton, et les changements survenus en Afrique, au Ghana, au XXe siècle avec l’introduction de l’économie de rente, de la culture et du commerce du cacao…]

Henry B.M. Murphy 1980 “ Dépression nerveuse, croyances à la sorcellerie et développement du surmoi dans les sociétés traditionnelles ” Psychopathologie africaine 16, 2 : 171-194.

Résumé des interventions selon notes manuscrites :

 Le Dr Criel rappelle que l’objectif des soins de première ligne est également de dépister et de recenser les plaintes de santé mentale.

Il propose, lors de la rédaction de la fiche d’admission, de s’intéresser au cheminement du malade en termes rétrospectifs.

Il insiste également sur l’intérêt d’une étude auprès des Agents Techniques de Santé concernant leur perception de la maladie mentale.

L’accent ne doit pas être mis seulement, dit-il, sur le caractère polyvalent de la clinique en première ligne mais également sur ce que cela signifie en termes de compétences pour les agents de santé. Il évoque l’éventuelle nécessité de créer des services spécialisés pour les malades mentaux et des services de santé mentale.

Il rapporte l’expérience du Dr Joop de Jong, médecin hollandais ayant travaillé ces questions de santé mentale en Guinée Bissau dont le travail confirme les constats de l’OMS.

Joop de JONG A Descent into African Psychiatry (Amsterdam, The Royal Tropical Institutte, 1986)

Le Dr Tata Gakou insiste sur le contexte institutionnel (au sein des Centres FMG : “ Comment les choses se sont-elles organisées ”, mais aussi par rapport à la politique de santé de la ville de Conakry et au nombre limité  – 18 – de ces Centres de Santé), rappelant qu’il s’agit de discuter des concepts.

Le Dr Fofana trouve le projet pertinent car il aborde un problème important qui actuellement n’est pas pris en charge au niveau du système de santé moderne. “ Quelles stratégies va t’on développer sur le terrain ” demande t’il. “ Quid de la planification de l’offre de soin dans le domaine de la psychiatrie ? ”

Il insiste sur le fait de ne pas se limiter à la prise en charge des problèmes purement psychiatriques mais également des problèmes de “ manque de convivialité ”.  

(Suite des discussions selon enregistrement:)

Dr Tata Gakou

“ Je remercie déjà les organisateurs de cette rencontre.

J’ai compris à travers les différentes interventions qu’il y avait deux volets sur lesquels on va assurer la prise en charge : sociale et je crois aussi à la prise en charge thérapeutique. Mais puisque les gens dans les centres de santé n’ont pas déjà la formation suffisante pour le diagnostique, si un malade est un malade mental, de quelle affection mentale il souffre, il ne peut pas le dire, ce n’est pas facile.  Chacun à reçu une formation générale et suivant les orientations dans la pratique, on parvient à se spécialiser dans tel ou tel domaine donc avec un outil qui peut permettre de vraiment prendre en charge le social d’un malade mental ça c’est déjà un pas, ça c’est un pas qui va dans la prise en charge du malade.  Si le Dr Michel et ses collaborateurs peuvent penser déjà à élaborer et à mettre à la disposition un outil sur lequel on peut se baser pour effectivement faire face à ces agressions mentales. 

Je vous remercie. ”

Mr Courtois :

“ Je vais dire un petit mot en tant que membre du Conseil d’Administration de “ La Gerbe ”, plus spécialement responsable du secteur financier. Historiquement, je suis dans le groupe de base qui a créé notre institution. Cela me fait plaisir de vous entendre parler du projet SA.M.O.A, j’ai vraiment l’impression de retrouver dans ce projet une philosophie de départ de notre institution, le fait que finalement un projet comme celui là qui se passe ailleurs, en Afrique, dans une autre culture, dans d’autres réseaux sociaux, dans d’autres structures,  me fait d’autant plus plaisir que cela montre que c’est vraiment une approche universelle qu’on essaie de mettre en place, qu’elle ait lieu dans un quartier bien précis à Schaerbeek ou en Afrique ou ailleurs, il y a finalement une philosophie de base, une vision de l’homme qui est là derrière que je trouve extrêmement importante.  Ma présence marque l’intérêt du Conseil d’Administration par rapport à ce projet. Je suis aussi responsable des finances du projet, on a un gros problème de recherche de financement parce que c’est vraiment lourd pour notre petite institution de supporter les charges qui découlent de ça, on a vraiment l’intention de poursuivre, de donner un maximum au bon déroulement de ce projet, même de pouvoir l’étendre mais en même temps on recherche beaucoup des sources de financement, éventuellement l’aide des Organisations Internationales. Voilà c’est ça que je voulais faire passer mais en vous demandant votre aide lors de telles démarches pour que ce projet puisse prendre toute son ampleur et aboutir. ”

Mme Diallo:

“ J’ai une première question à poser :

Quels modes de pensée ou d’action sont opératoires, arrivés en Guinée ?

Et la deuxième.

Est-ce qu’elles sont transposables ? ”

Dr Snoeren:

“ J’ai plus appris en santé sur le côté pratique en Guinée que sur le côté théorique. J’étais très enthousiaste sur le projet SA.M.O.A. que j’ai vu naître petit à petit avec les missions des équipes qui sont venues et en même temps j’ai vu pas mal d’activités de FMG, autre que SA.M.O.A, naître, prendre forme, comme les centres de santé qui ne sont pas si vieux que ça, qui sont relativement récents. Cela m’a posé plusieurs petits points au niveau de la santé mentale en Guinée, surtout au niveau primaire. On a déjà dit au début qu’il y avait un service de psychiatrie. Pour tout un pays c’est très peu. ça veut dire quand même que c’est très important qu’il y a quelque chose à côté qui vient combler ce vide en même temps aujourd’hui.

On est tellement convaincu qu’il faut combler qu’on aimerait bien combler ce vide tout de suite complètement, et ça, ça risque d’être impossible, on aura peut-être rempli le vide mais est-ce qu’on aura répondu aux demandes du peuple, aux demandes du patient.  On aura bien mis quelque chose, mais qu’est-ce que l’on va mettre si ça doit combler tout d’un coup tout, est-ce que cela peut répondre aux nécessités.

Les personnes qui travaillent dans les centres de santé ne sont pas toutes impliquées de la même façon, c’est une structure qui est bien limitée, avec des Centres de Santé qui sont relativement jeunes, qui ne sont pas complètement stabilisés, ils sont en train de se donner forme, sur plusieurs points, ils ont fréquentations qui sont bien mais pas encore tout à fait stable.  Le centre du Dr Ambroise (Dar Es Salam), on a vu que là dernièrement la fréquentation augmente, c’est-à-dire que la population est encore en train de découvrir le centre.  Si maintenant on implique très fortement le côté maladie mentale est-ce que l’on ne risque pas de leur faire perdre un côté de leur ouverture générale, comme centre de santé primaire tout simplement.

Dans leur quartier, ils sont connus, mais ils ne sont pas tellement connus dans des autres quartiers, pourquoi, car ils sont jeunes tout simplement.  Si maintenant le reste de Conakry va les découvrir, 3 centres de santé, même comme centres de santé mentale, très vite l’image qu’ils vont donner va changer et je pense que ce n’est pas très bénéfique au projet qu’on est en train de mettre en place.  Moi, je suis bien d’accord avec le Dr Tata, que j’entends tout de suite penser comme j’ai l’habitude de travailler avec eux, dans le cadre beaucoup plus grand de santé pour la ville de Conakry, de santé pour le pays de Guinée moi personnellement je pense que si on veut que le projet SA.M.O.A porte le plus de fruits, il faudra plutôt le limiter au quartier qu’à une ou deux maladies.  Je comprends très bien quand on dit qu’il faut cibler la maladie, c’est ce que l’on fait dans tous les programmes nationaux : “ on va prendre la tuberculose et on va faire un grand truc pour la tuberculose pour tous les pays ”, on peut faire ça pour l’épilepsie, et encore mille problèmes pratiques auxquelles La Gerbe ne pourrait jamais subvenir.  Déjà dans les centres ont a du mal à trouver les médicaments génériques de façon constante et continue et si on peut trouver cela plus ou moins facilement pour 3 centres, faire une extension à tout Conakry ou tout le pays cela demande un investissement en structures, c’est très lourd, cela dépend de beaucoup de partenaires, qui sont pas facile de mettre en place, moi je penserais plutôt à dire, on peut garder spectre là, mais limiter au quartier.  Essayer que ce centre soit vraiment un centre intégré, du côte  médecine générale, qui est d’abord le 1er côté ne perd pas son sens, moi je pense que s’il faut élargir aux autres centres, alors je pense d’abord aux sensibilisations, ce qui est important à Conakry c’est de sensibiliser le personnel de santé à reconnaître les premiers signes de maladie mentale, on évoque la santé mais ils ne viennent pas parce que ils ont des hallucinations, ils viennent car ils ont en plus le paludisme, la diarrhée ou des problèmes respiratoires et si on veut étendre il faudrait peut-être d’abord sensibiliser la population et le personnel de santé sur la maladie mentale parce que aujourd’hui même pour le personnel de santé les premières réactions sont des réactions même d’exclusion, ce qu’on connaît peu, ce qui nous dérange on le refoule un peu et là il y a un très grand travail qui sera très bénéfique après si on veut étendre vers d’autres structures.  En même temps j’ai vu si on met quelque chose de nouveau à Conakry cela attire énormément la population, si on met une couche de peinture sur le centre de santé on sait que la semaine d’après la fréquentation sera plus élevée, si on ouvre un service de santé mentale on sait que la semaine qui vient la population court, c’est aussi un grand risque de se noyer dans cet enthousiasme. ”

“ Il y a 2 questions que je me demandais, je n’ai pas vraiment compris à la base quel est le but, l’idéal que SA.M.O.A s’est fixé à long terme, je comprends un peu à court terme mais à long terme, car j’ai entendu tellement de choses différentes sur tous les plans qu’est ce que SA.M.O.A s’est mis comme but pour ce projet ? ”

Dr Kourouma :

“ Je voulais ajouter qu’au départ FMG a expérimenté. Le personnel de la santé est là, il écoute un groupe de gens qui sont là pour la santé mais qui partagent des avis différents et là nous sommes attentifs à l’écoute et nous devons rendre compte à nos collègues de l’avis de ce Comité. Voilà ce que je voulais ajouter. ”

Mr Soropogui :

“ Je voudrais ajouter, moi mes inquiétudes elles vont en droites lignes avec les idées de ce qu’a dit docteur Tata : aujourd’hui nous nous engageons, nous sommes sur le terrain. A Conakry nous avons beaucoup d’activités à mener et ca va continuer de jours en jour. Pour renforcer nos activités, je crois qu’il serait mieux de mettre des outils à la disposition des gens qui seront là pour renforcer leur niveau de connaissance sur la maladie. ”

Prof Criel :

“ Devant le rapport des Guinéens, moi je retiens déjà 2 outils qui seraient intéressants et qu’ils ont évoqués ; c’est le travail en équipe et comment organiser un travail d’équipe. La 2è chose, c’est l’utilisation des visites à domicile. Voilà 2 outils en termes d’organisation des soins qui peuvent s’avérer extrêmement bénéfiques au-delà des discussions cliniques. ”

Mr Collignon :

“ Les visites à domicile, ça me paraît effectivement être une démarche qui est trop rare. Les travailleurs sont souvent en position d’attente dans les structures de santé et il y a peu de démarches vers les gens. ”

Prof Criel :

“ Il faut évidemment pouvoir le gérer. Mais aller voir un enfant mal nourri à domicile peut être très révélateur pour comprendre que les messages d’éducation à la santé concernant la nutrition n’ont absolument pas de sens. Et donc, je peux vous citer plusieurs exemples pour lesquels voir le malade dans un environnement autre que les centres de santé est utile. ”

Mr Collignon :

“ Compte tenu du fait qu’il y a différentes personnes dans les familles, les concessions, etc, des souplesses peuvent être prises pour aborder peut-être différemment les problèmes de santésuivant la position que chacun occupe dans la structure familiale, ça peut donner une écoute différente car ce n’est pas toute la famille qui se déplace au centre de soin. ”

(…)

Prof Criel :

“ Il s’agit à un certain moment de transférer des connaissances, des techniques, des outils, des approches au personnel qui travaille dans les centres de santé ? ”

Dr Dewez :

“ Oui et non car je suis en train de constater que le transfert de savoir que j’imaginais être celui qui était possible n’est peut-être pas la meilleure réponse que nous puissions donner aux situations que nous découvrons. ”

Prof Criel :

“ Parce que je pense qu’il est important de bien réfléchir et d’expliciter les stratégies que vous voulez tester. P.ex. que les professionnels sur place soient mieux à même de prendre en charge les problèmes de santé mentale. Je vous entends, des gens envoient des e-mails, mais où a eu lieu le transfert de connaissances ? ”

Dr Dewez :

“ Voici comment les choses se sont passées sur le terrain :

Premièrement : l’annonce a été faite dans les quartiers de ce qu’une consultation allait être ouverte pour les gens qui avaient des “ problèmes dans la tête. ” Je ne sais pas et c’est important, le mot qui a été employé en langue locale car le mot n’a pas été le même dans les trois centres. ça, j’en suis sûr parce qu’il y a un centre p.ex. où j’ai vu 50 % de problèmes de céphalées ou de problèmes qui relevaient de la médecine générale. Par contre, dans un autre centre, je n’ai eu que des problèmes de psychiatrie générale.

La 2è chose est que nous n’avons pas anticipé sur ce que nous ne savions pas. Nous ignorions ce que nous allions rencontrer ; nous avons essayé de nous mettre dans une situation de dialogue avec la clinique. Nous n’avions pas, m’a t-il semblé, à donner une réponse anticipative à une question que nous ne connaissons pas encore. A nous de nous positionner par rapport aux questions que la clinique nous pose et non de répondre anticipativement à une question que nous supposons être celle de la clinique. Sinon ça fait des situations de forçage néfastes pour les médecins comme pour les patients.

Troisièmement, ces consultations, je ne les ai pas faites seul mais toujours en collaboration avec les professionnels des centres de santé.

Quatrièmement les patients qui ont été vus continuent à être vus, je vous en ai donné un exemple en vous faisant part de ces e-mails que nous échangeons. Le personnel de santé continue à assurer la suite des soins. Les relations sont vivantes et continuent à se poursuivre en notre absence. C’est l’essentiel, ça reste tout à fait actif. Pour les nouveaux cas, c’est plus difficile. ”

Aujourd’hui, concernant le “ transfert de connaissances ”, la question est la suivante : le savoir psychiatrique européen transposé en Guinée est-il opératoire ? Nous pourrions penser que pour ce qu’il en est des maladies mentales, le savoir occidental n’est ni transposable comme tel, ni traduisible dans le contexte, selon les références culturelles guinéennes. Nous sommes un peu embarrassés de constater qu’écouter, nous intéresser à la maladie mentale en Guinée ne demande pas simplement un transfert de savoir mais demande peut-être de créer de nouveaux concepts ou d’aller chercher des expériences, comme dirait Mr Collignon, chez d’autres qui sont passés par là avant nous. Ce que je pense aujourd’hui, c’est que contrairement à ce qu’on pourrait penser d’une stratégie pré-établie (envoyer des collègues Guinéens en Belgique pour avoir un certain savoir universel donc applicable tant en Belgique qu’en Guinée, collègues qui, dans un 2è temps pourraient retransmettre ce même savoir en tant que formateurs, etc…), cet objectif-là, ce modèle-là, je le pense inadéquat ou alors, nous risquons de faire la même chose que les colonisateurs dans les années 50 : construire des hôpitaux psychiatriques en y pratiquant, par exemple, des électrochocs en pensant qu’une mélancolie, à Bruxelles ou à Conakry, c’est la même chose. Nous pourrions penser que ce n’est pas le cas et donc, dans nos rencontres, nous essayons aussi, sur un plan théorique, de nous dire : ce concept théorique-là tient et celui-là pas. Ce concept-ci, on va pouvoir le rendre opératoire mais pas celui-là. L’exemple de Mr Sartorius ce matin au sujet de cette réunion d’hallucinés, moi j’ai trouvé ça hallucinant, passionnant de pouvoir mettre ensemble 600 personnes qui n’ont pas d’autres points communs que d’entendre des voix et où il est dit clairement que 400 personnes, c’est-à-dire les 2/3, n’ont jamais rencontré la psychiatrie. Ce sont bien entendu des situations comme celle-là que je rencontre à Conakry en tant que psychiatre européen et qui sont des situations ici en Europe tout à fait exceptionnelles.

Peut-être un Centre de Santé Mentale comme “ La Gerbe ” a-il pu acquérir, de son travail ambulatoire au sein d’un quartier, quelques bribes d’expériences qui permettent de ne pas réfléchir son travail uniquement avec des références psychiatriques au sens classique, où l’on considèrerait que tout qui hallucine, par exemple, devrait recevoir des neuroleptiques, ou tout qui délire devrait être hospitalisé. ”

Mr Collignon :

“ Aussi paradoxal que ça puisse être, je n’aurais pas des positions aussi radicales. Dire, affirmer, il faudrait qu’on me le prouve, je n’en suis pas convaincu, que tous les concepts psychiatriques ne sont pas opératoires ailleurs… ”

Dr Dewez :

“ D’accord. Je pourrais vous répondre tout de suite que, par exemple, la différence entre névrose et psychose est une différence qui, je crois, est universelle même si on n’est pas d’accord pour trancher au même endroit. ”

Mr Collignon :

“ Mais pour aller plus loin, c’est difficile d’aborder les questions de façon si générale, et je ne suis pas psychiatre, mais la question de l’électrochoc — quelle que soit la position qu’on prend par rapport à ça, idéologique ou autre, Dieu sait s’il y a eu un discrédit autour de ces questions, je ne me prononcerai pas là-dessus mais, même s’il y n’existe pas de théorie convaincante de l’électrochoc —, on a vu des effets, des indications, des bénéfices par rapport à certaines formes cliniques (p.ex. les dépressions) et en Afrique aussi. Je n’ai pas d’avis autorisé par rapport à la chose, mais ce que je veux dire simplement, c’est que je pense qu’il y a beaucoup de questions compliquées, et c’est dommage que Mr Sartorius n’est plus là parce qu’il évoquait p.ex. que les enquêtes de l’OMS, qui avait quand même les moyens de faire des enquêtes comparatives sur le plan mondial, ont pu montrer, p.ex. l’enquête pilote autour de la schizophrénie dont il a parlé, que les enquêtes épidémiologiques dont on dispose dans le monde, si elles sont peu nombreuses faute de moyens, semblent montrer au niveau des populations, et non strictement à partir d’enquêtes hospitalières, à partir d’échantillons représentatifs, des distributions plus ou moins comparables. Suivant les sociétés, il y a des réponses extrêmement variables par rapport à cette distribution épidémiologique d’une série de pathologies.

Réponses sociales, mais aussi en termes de structures biomédicales capables de prendre en compte certaines demandes adressées ou pas. Que les structures existantes ne préjugent pas encore du fait que les populations vont s’y adresser de façon significative ; là on voit encore des distributions variables selon les régions. Mais à partir des données épidémiologiques, on a l’impression grosso modo qu’il y a des données comparables de certaines grandes catégories pathologiques. Cela irait dans le sens — je ne dis pas que j’approuve complètement — d’une reconnaissance d’une relative pertinence de certaines catégories et de la prétention d’universalisation de certaines catégories nosographiques définies. Dieu sait si le niveau de scientificité de la psychiatrie est loin d’être avéré par rapport à d’autres théories biomédicales plus affirmées au niveau de vérifications possibles mais je pense qu’il faut être relativement prudent. ”

Mr Dubois :

“ Il faut différencier dans la pratique entre soigner une maladie et écouter un sujet. Peu de pratiques hospitalières écoutent un sujet ; elles soignent une maladie. Il y a la pertinence des concepts nosographiques mais aussi l’écoute. La technique de ce qu’est écouter, est-ce transposable ou non, c’est une question.

La différence entre névrose et psychose est à peu près universelle. En tous cas, elle ne coupe pas au même endroit, ça c’est certain. ça a sans doute des conséquences de penser ça et ça, c’est ce qu’on voudrait fonder, on voudrait repenser ça, c’est tout. Ca permet de repenser une clinique et de se demander avec quoi on travaille. ”

Mr Collignon :

“ ça ne met pas pour autant en question la définition du clinicien en santé mentale. ça le renvoie à être conséquent par rapport à son exigence d’écoute qui se situe dans un contexte différent, mais écouter en Afrique implique de s’interroger aussi sur le fait que dans une société, patrilinéaire ou matrilinéaire, polygame ou monogame, utiliser les mêmes termes ne renvoie pas nécessairement à la même réalité et ça, ça implique l’exigence de s’informer sur certaines connaissances. On ne peut pas tout faire en même temps c.à.d. que les informations de type ethnographique p.ex. qui mettent en perspective ce qu’on entend, on ne peut pas à la fois être le clinicien et l’ethnologue. C’est aussi une des leçons des Ortigues (cf. Œdipe africain, Paris, Plon, 1966) p.ex., et c’est important d’en faire cas. C’est pour ça qu’il serait important de faire alliance avec des gens qui ont des approches différentes, chacun étant dans son registre mais en dialogue pour s’interroger réciproquement entre cliniciens et chercheurs en sciences sociales. ”

Mme Kestens :

“ Je voudrais rebondir sur la question de ce qui est transposable ou pas quand on met sur pied un projet de pratique de santé mentale en ambulatoire en Afrique. Si je reviens à la question du phénomène d’acculturation dans les psychoses et si on replace ça au niveau de la demande de la population par rapport à cet “ Alien ”, c’est : “ aidez-nous à ce que ce sujet réintègre notre société et qu’il ne vive pas comme un exclu. ” Aujourd’hui, les familles africaines sont très démunies par rapport à ça et n’ont pas toujours un lieu pour aller déposer cette question. Peut-être que là, peut-être pas de ce qui est transposable mais d’une présence et du témoignage d’une pratique de travail en ambulatoire est peut-être déjà leur permettre de poser cette question-là.

Deuxièmement, je suis assez impressionnée d’entendre parfois parler des pratiques de santé mentale comme si c’était exclusivement médical. Je ne le pense pas, même en Occident, car je pense que c’est un métissage de différentes places qui font qu’aujourd’hui chez nous, la psychiatrie a pris une certaine place et pas une autre. Un centre de santé mentale n’est pas une maison médicale, c’est un lieu de pratique sociale. Ce qui a été dit d’une polyvalence ou d’une complémentarité des sujets dans un service de santé, habituellement dans les services d’FMG, l’action repose sur une équipe médicale mais demain, en complémentarité, il y aura d’autres formations, il n’y aura pas que le médecin qui entendra le malade mental et cette écoute peut facilement se déployer dans d’autres lieux que les centres de santé. Il y a d’autres lieux de 1ère ligne bien avant ces centres de santé dans les quartiers. ”

Mr Collignon :

“ Une chose frappante c’est qu’en parlant des nouvelles pathologies (toxicomanie, etc) et la place que vous semblez leur faire, dans les chiffres est relativement réduite finalement au niveau des motifs de consultation. ”

Dr Dewez :

“ Effectivement. Il nous faut penser que ce n’est pas là qu’elles sont. ”

Mr Collignon :

“ Ça montre bien cette équivoque qui est souvent entretenue dans le monde francophone entre les données épidémiologiques et les données de consultation. C’est autre chose. Par rapport à ce que vous dites de l’adéquation, il faut resituer historiquement que, très longtemps, les 1ers observateurs médecins en Afrique, qui étaient rarement psychiatres d’ailleurs, ont dit qu’il y avait peu de dépression en Afrique. On est revenu complètement de ces 1ères observations au point que certains y voient un des problèmes majeurs pour des raisons diverses. Pourquoi ? Parce que les dépressions soit n’étaient pas adressées aux consultations médicales, soit on ne les reconnaissait pas comme telles quand elles s’y présentaient. ”

Dr Dewez :

“ Est-ce que nous laissons, Messieurs, le Comité Scientifique discuter ensemble un moment et nous nous retrouvons ensuite, ou bien vous énoncez chacun ce que vous pensez être les recommandations que nous vous demandons pour la suite du projet ?

Mr Collignon :

Ca va être difficile de faire des recommandations comme ça dans la mesure où l’on n’est plus que 3, il y avait plusieurs personnes qui ont été sollicités, soit elles ont été présente de façon limitée dans le temps, comme le Professeur Sartorius qui a fait une série de suggestions et propositions. Par contre Mike Singleton est absent. En fait, attendre des recommandations ça me paraît difficile, enfin je ne sais pas ce que vous en pensez, c’est à titre personnel.  Je pense que c’est des discussions d’ensemble que vont se dégager éventuellement des réorientations ou des re formulations des propositions.

Clôture des débats.

Commentaires de cette réunion proposés dans le rapport intermédiaire :

« Nous en espérions des conclusions claires, cohérentes et unanimes. Nous avons découvert un lieu de vrai débat, contradictoire donc. Je retiens de cette réunion que l’initiative Sa.M.O.A. rencontre auprès de ces experts internationaux un intérêt certain, quand bien même ont-ils, de là où ils sont, des positions parfois contradictoires. Mais devons-nous nous en étonner lorsqu’il s’agit de confronter les dimensions psychanalytiques, anthropologiques, médicales et politiques d’une question aussi complexe que la maladie mentale. Leur perplexité autant que leur soutien nous encouragent. La diffusion des résultats, tâche qui leur revient, est prématurée. Parce que ceux-ci, au delà des constats qui précèdent, demandent à faire leur preuve sur le terrain guinéen. »

Sans doute cette réunion était-elle à l’image de ce qu’était Samoa en fin 2000 : un projet en gésine. Il était difficile à cette époque de mettre en discussion autre chose que des balbutiements. Nous espérons que la prochaine rencontre de février 2002 à Conakry sera plus étoffée, ayant des questions plus élaborées à débattre.

Février/mars 2001 : septième mission belge à Conakry

(Madame M.A. Kestens, Dr M. Dewez)

« Le dispositif des soins de santé mentale en Belgique est lié à son histoire et à celle du concept de maladie mentale en Europe. Il ne faut pas confondre le dispositif de prise en charge avec la maladie mentale elle-même. Si le dispositif n’est pas transposable, la maladie mentale est quant à elle identique : la folie est universelle. La question sera de savoir comment prendre en charge la maladie mentale dans un contexte tout autre et non pas de s’arrêter aux moyens de cette prise en charge ».

Ce commentaire, issu du rapport de mission, est éloquent. La mission des collègues guinéens en Belgique les avait arrêtés sur les questions de forme (« les moyens… »). Nous avons eu à reprendre la question au niveau du fond, énoncée en sept points explicités dans le rapport :

  1. Parler : le principal outil
  2. Intégrer la parole dans le travail quotidien
  3. Associer l’ensemble du personnel du centre à la dimension psychosociale
  4. Echanger pour élaborer un modèle de prise en charge
  5. Garantir des résultats auprès des familles
  6. Confidentialité et déontologie
  7. Développement communautaire à partir des énoncés des patients

Nous pouvons ici remarquer un élargissement des questions. De techniques (et quasi uniquement médicales) dans les rapports des premières missions, elles deviennent plus « sociales », tendant à ouvrir un débat de fond, au quotidien, entre soignants, patients et famille.

C’est à cette époque que les médecins des centres nous firent ce constat que le temps moyen des consultations (de médecine générale) s’allongeait. Ecouter, il est vrai, demande du temps.

Le travail clinique, quant à lui, se poursuivait. Mais, petit à petit, nous prenions du recul dans les consultations, refusant de plus en plus de les assurer seuls, et gardant, autant que faire se pouvait, une place de seconds au cours de celles-ci, laissant la première place à nos collègues guinéens.

Les réunions Sa.M.O.A.

En février 2000, nous avons proposé la mise en place de réunions des membres Sa.M.O.A. de FMG qui eurent lieu les mardis et jeudis lorsque nous étions à Conakry et les jeudis en notre absence, de 15 à 17h environ, alternativement dans chaque centre de santé. Ces réunions ont toujours eu lieu et se poursuivent à ce jour. Outre les membres des équipes soignantes, y participent les membres du bureau de FMG. En notre absence, le Dr Sow, Directeur des Programmes de FMG, en assure la direction, à notre demande.

Ces réunions s’organisent sur le mode de séminaires, au départ d’une situation clinique. Celle-ci, énoncée par le collègue guinéen qui l’a reçue, fait l’objet de discussions et d’éventuels « enseignements ». Questions de diagnostic et de traitement, principalement. Plutôt qu’un enseignement systématique, nous avons privilégié ce mode de dialogue avec la clinique. Moins abstrait, il s’appuie sur le travail quotidien. Ce dispositif a fait ses preuves à « La Gerbe » à Bruxelles. Avec le temps, les hasards de la clinique permettent de balayer tout le champ de la psychopathologie de façon vivante et interactive, même si son parcours est moins systématique qu’un cours. Mais rien n’empêche de faire, à un moment ou à un autre, une synthèse des situations rencontrées.

Les premières réunions (février 2000) avaient mesuré l’ampleur de la tâche. A la question : « qu’est-ce qu’un malade mental ? », les réponses furent :

  1.  Il dit n’importe quoi.
  2.  Il fait des crises.
  3.  Il prend de la drogue.

Mais il s’agissait bien là de trois points essentiels :

  1. Les rapports entre confusion mentale et dissociation psychotique (Kraepelin ne parlait-il pas de « démence » précoce  au sujet de la schizophrénie ?) et, à travers eux, les rapports entre pathologies neurologiques et pathologies psychiatriques.
  2. La question de l’agitation et là aussi la distinction entre pathologie neurologique (en particulier les épilepsies, très fréquentes) et pathologie psychiatrique.
  3. Tel était bien ce que nous avions découvert en 97 déjà au service de psychiatrie de Donka comme « étiologie » de la maladie mentale autre que traditionnelle.

C’est la drogue qui rend fou

Il est vrai que « la drogue » (la consommation chronique de cannabis principalement) existait beaucoup moins, semble-t-il, sous la première république que dans sa forme de consommation actuelle (culturellement dérégularisée ?) et que les bouleversements de ces dernières décennies ont rendu plus présente la question de la maladie mentale, en particulier dans les grandes villes.

La série se serait-elle vite faite alors entre drogue = plaisir = Occident = perte de la tradition = folie, plus révélatrice d’une position (inconsciente ?) à l’égard de l’Occident que de l’étiologie des psychoses ? Plus d’une fois, nous avons entendu que l’ouverture du pays à l’Occident avait apporté « la drogue, la prostitution et la délinquance », ce qui n’est pas faux. Faudrait-il d’ailleurs ajouter le SIDA ?

Un autre constat est celui-ci : outre les étiologies traditionnelles (les diables, la sorcellerie…), nous n’avons rencontré auprès des professionnels guinéens de la santé mentale (à une exception près) aucun « savoir » qui aurait permis de rendre compte de l’étiologie des psychoses. Ni biologique (sinon « la drogue »), ni psychogénétique, ni systémique, ni autre… Ce qui signifie qu’outre un renvoi à la tradition, ce que ne peuvent se permettre des professionnels dans un service universitaire (même s’ils n’en pensent pas moins…), seule reste « la drogue » comme alternative pour se référer à un savoir qui justifie leur pratique.

Cependant, ces affirmations posaient (heureusement !) problème aux médecins de FMG (d’autant plus que nous les réfutions). Il a fallu que la seconde équipe vienne à Bruxelles pour se dégager de celles-ci, après avoir côtoyé en Belgique des psychotiques sobres, des consommateurs de drogues pas fous, et des lieux de soins spécialisés pour toxicomanes psychotiques.

Seconde mission guinéenne à Bruxelles : mai à juillet 2001

(Madame Aïssatou Diallo, Dr Oumou Diallo, Dr Abdoulaye Koulibali)

Si nous avions tiré les leçons de la première mission guinéenne en Belgique, nous eûmes le plaisir de découvrir que c’était réciproque. Dans leur lieu de stage, les médecins de FMG se révélèrent d’excellents ambassadeurs du projet, persuadant leur référent clinique de venir les saluer à Conakry, ce que l’un comme l’autre ont souhaité à la fin de leur stage…Et les questions « domestiques » furent réduites au minimum.

Par contre, les débats cliniques se développaient. Etiologie des psychoses, maniement des psychotropes, clinique de l’épilepsie, lieux de soins, diagnostic, dispositif de prise en charge, rien ne leur a échappé. Leur rapport final est de 35 pages. Mais, à la différence de la première équipe, ces 35 pages ont été écrites par eux (et non recopiées de documents découverts ici).

Certaines remarques sont révélatrices de la représentation que pouvait avoir ce médecin d’un « malade mental » :

« Nous avons été très surpris de voir des patients psychiatriques capables de construire des phrases, initier des poèmes littéraires humoristiques, confectionner des outils artisanaux, des dessins, des outils légers de la menuiserie, réaliser toutes les activités dont ils ont besoin ».

Très éloquente aussi cette comparaison entre Belgique et Guinée :

« En Belgique :

  • Les secteurs de soins de la santé mentale sont nombreux et fortement décentralisés et complexes. Ils regroupent de nombreux intervenants composés de spécialistes médicaux, paramédicaux, de services sociaux, de communautés thérapeutiques, de services juridiques et administratifs, de services d’aides et de soins.
    • Le circuit du patient est long et compliqué. 
    • Les pathologies et les patients sont tous institutionnalisés et les règles de procédure sont rigoureuses.
    • En Belgique, les réhospitalisations sont fréquentes et le séjour est parfois très long. Les patients sont fortement médiqués.
    • L’accès aux soins est facile, mais les hospitalisations coûtent cher, bien que les mesures de paiement sont structurées et faciles pour le malade.
    • Le diagnostic est facilité par un nombre important de spécialistes et de dispositifs scientifiques. 
    • En Belgique parfois on oblige le patient à être hospitalisé selon certaines lois.
    • Nous constatons des cas d’hospitalisations volontaires, ce qui explique qu’on n’a pas peur du loup, d’être un psychotique ou quoi que ce soit.

En Guinée comparativement :

  • Il y a un seul service spécialisé en psychiatrie, plus le projet Sa.M.O.A. dans les 3 centres de Santé de FMG.
  • En Guinée les malades retournent directement dans leur famille après l’hospitalisation.
  • En Guinée, les maladies mentales ne sont considérées qu’à partir d’une manifestation clinique et non d’une situation de trouble.
  • En Guinée, les hospitalisations sont autorisées par les parents et les proches après avis médical.
  • La majeure partie des patients psychiatriques sont traités par des tradithérapeutes.

Par rapport à Bruxelles, les pathologies rencontrées en Guinée sont souvent au stade chronique mais rares, alors qu’ici les pathologies sont vite diagnostiquées mais sont fréquentes et récidivantes

Ou encore ceci :

« Le système de santé belge en matière de prise en charge des malades mentaux ne correspond pas à celui guinéen où le problème de santé mentale est considéré comme le domaine des psychiatres et/ou des parents des patients. Et les structures de soins de santé mentale n’existent presque pas en dehors des trois centres de Santé FMG et du centre psychiatrique de Donka.  Les structures de soins de Santé mentale sont diversifiées à Bruxelles, ayant des objectifs spécifiques et/ou intermédiaires d’une structure à une autre. Par contre, toutes les structures ont pour ambition d’apporter leur modeste contribution à l’amélioration de l’état de santé des patients. Sur base de réinsertion psycho-sociale, c’est aussi le lieu de reconnaître que la santé mentale n’est pas seulement le domaine des psychiatres et/ou des psychologues mais le domaine de tous les acteurs (juristes, assistants sociaux, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, éducateurs et artistes) à partir du moment où chacun a une piste spécifique et définie dans laquelle il intervient pour soulager le patient. »

Et, concernant la question des rapports entre toxicomanie et psychose, voici ce qu’écrit un médecin (pourtant convaincu de cette relation avant son arrivée ici) au terme de son stage en Belgique :

« Approche psychiatrique et psycho-analytique de la toxicomanie

  • que font les drogues ?
    • question sur la chronologie d’apparition entre psychose et toxicomanie :

     dans ce cas 3 articulations sont possibles :

ü  Une toxicomanie primaire : ici l’usage des psychotropes apparaît comme une forme d’entrée dans la maladie, ici la drogue est considérée comme déclencheur. Parfois, suite à une utilisation chronique parfois suite à une utilisation ponctuelle. La difficulté est de pouvoir faire la différence entre la psychose fonctionnelle et une psychose organique, autrement appelée toxique ou pharmaco-psychose. Exemple : la psychose du cannabisme.

Ce type de toxicomanie survient souvent chez un sujet jeune pour qui la drogue paraît signer l’entrée dans la psychose tout en ralentissant l’expression symptomatique. Ici le diagnostic n’est pas aisé à faire. Il n’apparaît qu’à l’occasion d’une tentative de sevrage. Encore faut-il faire la nuance entre délire et delirium.

ü  Une toxicomanie réactionnelle ou secondaire, ici à l’usage de drogue servant de compensation à un état préexistant de type psychotique, dans la perspective d’une auto-thérapie ou la recherche d’une identification plus acceptable.

  1. Le double diagnostic en question. La première tâche d’évaluation pour un patient présentant des problèmes psychiatriques et une consommation de psychotropes consiste à observer si après le sevrage des toxiques et après une période d’un mois le patient n’a plus de symptôme psychiatrique. Ce repérage permet de voir si le patient présente de manière transitoire des symptômes psychiatriques clairement imputables à l’intoxication, si tel est le cas, le patient ne doit pas avoir un double diagnostic.
  2. Diagnostic psychiatrique des toxicomanes : cliniquement nous observons une similitude du comportement entre psychopathe et toxicomane.

            Leur dénominateur commun étant :

  • l’impulsivité et la facilité du passage à l’acte qui revêt toutes les caractéristiques de l’impulsivité la plus irrésistible.
  • Les causes les plus fréquentes de la toxicomanie
    • le laxisme des parents
    • permissivité éducative ou un excès
    • excès d’autoritarisme

Dans le traitement des psychopathes et toxicomanes l’approche éducative et pédagogique est probablement préférable. »

Faut-il faire remarquer que ces lignes ne sont pas retranscrites d’un manuel de psychiatrie…

Huitième mission belge en Guinée : juillet, août, septembre 2001

(Dr M. Dewez)

Début d’autonomisation de l’équipe guinéenne

Conakry, fin juillet 2001, extrait d’un mail envoyé à nos collègues :

« Il s’est passé hier après-midi quelque chose d’assez étonnant, même si cela ne doit pas être rare. Mais exceptionnel dans la pureté de l’événement tel que je l’ai vécu. Avait lieu au CAPSanté la réunion mensuelle de FMG (une vingtaine de personnes invitées, dont trois Blancs, tous présents) au cours de laquelle les trois collègues venus à Bruxelles ont présenté leur rapport de stage. Une présentation d’une heure y compris les réponses aux précisions demandées. Deux des trois exposés étaient d’un bon niveau. J’étais présent, mais n’ai pas été interpellé et n’ai pas eu à intervenir, même si parfois, j’ai eu du mal à ne pas me mêler de la conversation. Puis, sur une question portant sur un problème théorique abordé par Oumou dans son rapport, question relative à l’application en Guinée de ce qu’elle avait découvert en Belgique, s’est ouverte une discussion entre Ambroise, Oumou, Coulibali et quelques autres médecins qui s’est rapidement emballée. Et là, pendant quelques minutes (avant que Sow n’y mette fin pour la renvoyer à une réunion plus restreinte, l’ordre du jour étant chargé), j’ai ressenti quelque chose que je ne soupçonnais pas arriver à ce moment, même si je pouvais le prévoir : voilà t’il pas que le savoir que je venais partager avec eux se mettait à circuler tout seul, entre eux. Je les entendais parler, là, sous mes oreilles silencieuses, de folie, de psychose, d’hallucination, de DSM IV, de délire, de normalité, de culture, avec une pertinence qui laissait bien entendre que les concepts avaient été compris et que commençait leur articulation. Et je me suis trouvé tout à coup dessaisi de ce que j’étais venu leur apporter, simple témoin de ce que ce savoir se mettait à dire ses premiers mots et commençait à vivre indépendamment de ma personne. Je me suis dit à ce moment là, d’autant plus ému que surpris, que mon bébé se mettait à faire ses premiers pas, sous mes yeux mais hors de moi. Un dessaisissement. »

Une équipe Samoa guinéenne était donc constituée.

Questions éthiques

Les questions, pourtant, ne manquent pas :

Avant de vous proposer quelques lignes concernant un patient, adressées lors de cette mission à nos collègues à Bruxelles, voici, en introduction, ce que m’en écrivait Chantal Beyaert, stagiaire psychologue à Conakry de janvier à mai 2001 lors d’un message daté du 27 mai 2001 :

« Le dernier patient s’appelle Saadou Barry et a été envoyé à Hamdallaye sur les conseils d’un autre psychotique que nous avions rencontré à Carrière en février et qui lui va beaucoup mieux. C’est celui qui vendait du «ouaih ». T’en souviens-tu ? Saadou surnommé Gaston présente un discours dissocié dont j’ai recueilli quelques bribes. Tu verras que depuis ma 1ière rencontre avec les frères Kaba, j’ai fait quelques progrès dans l’art de la retranscription des propos insensés. Ecoutons-le bien. « Pour danser les musiques il faut faire l’affaire danger Esther Maxi Zacson stères de vie… (tu peux remarquer qu’il y a une allitération en «ère »)… L’Etat est puissant de sa force comme un robot, aller aux Etats Unis pour acheter des carreaux… (ici, il fait des vers) … Le peuple de l’Afrique, cela veut dire, il a arrêté des avions pour toi, départ de sa visée qu’un volontaire de sa vie, chasseur magistral des blancs…. (Là, il m’a larguée) ». Ca doit quand même être agréable de pouvoir ainsi naviguer en dehors des zones balisées de la langue ! Il parle comme un enregistreur parfaitement réglé. Pour le faire démarrer, on appuie sur « on » et, pour l’arrêter, sur «off ». Quand je m’adresse à lui, je reçois immédiatement en retour un sourire hilare.

La famille, c’est-à-dire la mère, 2 frères et une sœur, ne sait plus très bien quand la maladie a commencé. En ‘92, ‘95 ou ‘97 ? Les souvenirs divergent. Il y a 2 ou 3 ans, Gaston a passé 4 mois au cabanon jusqu’au moment où, lassé, il a fui Donka. Pendant 2 ou 3 mois, il semblait guéri avant de rechuter. Depuis lors, il n’a plus été médiqué car, nous dit sa mère, « je pense dire que c’est les médicaments qui l’avaient guéri, mais c’est Allah qui donne les médicaments à quelqu’un car c’est Allah qui a les médicaments ». La maladie a commencé « un jour ». « A son retour du marché où il vend des choses des véhicules, Saadou a laissé tomber toutes ses marchandises.  D’habitude, il les rangeait dans un lieu sûr. Après, il a commencé à insulter et à frapper tous les enfants et même les adultes. On l’a enfermé dans sa chambre ». Depuis lors, il est dans l’errance. « Parfois, toute la nuit, il ne fait que marcher : restos, bars, dancing…vers Ratoma.  Au marché, il lui arrive de prendre les gens ou de vouloir casser les pares-brises. Il est dans des vices qui n’étaient pas une habitude pour lui ».

> Si l’hypothèse des diables a été envisagée et les sacrifices nécessaires réalisés, la mère de Saadou, quant à elle, a tout de suite compris qu’il s’agissait de folie. Ceci témoigne du fait qu’il existe une capacité universelle et transculturelle de reconnaître la folie. Je me suis souvent fait cette réflexion ici en Afrique en écoutant parler l’entourage des malades. Cette mère parle de la folie d’une manière qui me semble très juste et, en tout cas, tout à fait inédite. « Si tu mets un enfant au monde, il reste avec toi, il grandit. Vous êtes habitués à conjuguer les mêmes verbes. Tu vois qu’un jour, il a changé, il a des comportements pas commodes. Immédiatement, tu as compris qu’il est devenu fou ». Impressionnant de vérité, isn’t it. Nous pensons que ce patient est schizophrène. Après avoir consulté Ambroise (le docteur Ambroise Kourouma est médecin chef du centre de santé de Dar Es Salam et faisait partie de la première équipe guinéenne en mission en Belgique), nous avons mis Gaston sous haldol (1 comprimé par jour de 5 mg). Le traitement a commencé le 17-5 et le 24-5, la famille nous dit que, « depuis les médicaments, il dort ».

Voici ce que j’ai pu en écrire en août : 

« J’ai rencontré Gaston ce matin à Hamdallaye. J’étais à 10h au centre de santé : une maison quatre façades sans étage (comme la plupart ici, dont celle que j’occupe et d’où j’écris.) La maison d’Hamdallaye qu’occupe le Centre de Santé, c’est quelques murs de ciment peints en jaune que la pluie délave en traînées humides. La salle d’attente est la pièce de séjour. Autour de ce carré, des pièces et des couloirs, avec des fenêtres sans vitre (fait trop chaud, ici, ça n’existe pas) mais fermées de grillages et de volets de bois ouverts la journée. Les murs sont crades, avec parfois une planche un peu anatomique qui gondole comme un vieux buvard sur laquelle un moustique grand comme un diplodocus tourne autour de latrines douteuses à côté desquelles s’accroupissent des vieillards cacochymes. C’est de l’éducation à la santé destinée à éradiquer la fièvre jaune…! Je ne vous décris pas la planche pour les lépreux.

Joseph (infirmier au centre de santé d’Hamdallaye. Il faisait partie de la première équipe guinéenne venue en Belgique) m’attendait. Il va bien, s’est remis de son séjour à Bruxelles, mais surtout a fait revenir sa maman à Conakry.

Chantal m’avait parlé plusieurs fois de Gaston, à travers des mails fournis de ses propos dissociés, ne me laissant aucun doute sur le diagnostic de schizophrénie. Mais à part ça…

Après ma réponse électronique très professionnelle (un comprimé de 5mg d’halopéridol par jour…) j’étais resté sans nouvelle de Gaston, sinon le commentaire de la famille rapporté quelques semaines plus tard par Chantal : « Gaston? depuis qu’il prend les médecines du blanc, il dort ». (…)

Alors, ce matin, Joseph avait décidé de me présenter Gaston. Mais Gaston n’était pas venu au

Centre de Santé. Après d’autres choses (et d’autres histoires aussi cocasses), Joseph et moi avons enfourché le 4×4 pour partir à la recherche de Gaston. Après quelques rebondissements (les routes non asphaltées de Conakry ne sont pas de terre mais de roches volcaniques), nous avons repéré Gaston, déambulant sous la pluie le long de la grand-route entre Bambetto et le rond-point d’Hamdallaye. Le temps de le rejoindre, il s’était réfugié dans un « bistrot » local, c’est-à-dire sous une bâche bleu-ciel du H.C.R. (récupérée donc du digne Haut Commissariat aux Réfugiés) tendue par quelques bouts de bois sous laquelle trois ou quatre bancs permettaient aux « clients » de prendre leur petit déjeuner (pain mayonnaise et Nescafé un peu tiède sorti du thermos du « patron »).

Gaston, déguenillé, s’était assis à côté de l’un d’eux. L’autre, qui manifestement le connaissait, lui avait refilé une clope, et Gaston fumait consciencieusement, comme seuls les psychotiques savent le faire lorsqu’ils savent ce qu’ils font.

Et pin-pon, Joseph (blouse blanche d’infirmier du Centre de Santé Associatif) et moi, le docteur blanc, débarquons. Gaston, sympa, nous a fait la causette, à condition de quelques cigarettes supplémentaires, que Joseph s’était empressé d’aller acheter à la pièce chez le marchand à côté du bistrot. Palabres, papotes. Un Gaston effectivement superbement dissocié, mais plutôt calme et pas du tout inadéquat dans ses actes à ce moment là. Et bien, ai-je honte de vous dire que Joseph et moi avons accompagné Gaston au Centre de Santé avec notre grosse auto pour lui injecter 100mg d’haldol décanoas ? Et pourtant, je l’ai fait. Croyez-moi ou non, je l’ai fait en pensant à Nadia (une patiente schizophrène de « La Gerbe ») et à l’état dans lequel elle se trouve sans médicament. Je l’ai fait aussi en pensant à Moussa Keita, un autre schizophrène de Dar Es Salam qui, en juillet 2000, voulait traverser les murs et s’étonnait d’en avoir le crâne tout ensanglanté, et qui ne me quitte plus d’une semelle aujourd’hui lorsque j’y vais travailler. Je l’ai fait en voyant les cicatrices qui zébraient le corps de Gaston. Je l’ai fait en songeant à ce fou qu’hier soir j’ai failli écraser en roulant de nuit, sous une pluie battante, sans éclairage public, et qui, au milieu de la route, se prenait pour un matador face à son taureau. Mais je vous jure que je me suis demandé ce que je faisais, et au nom de quoi.

Et bien, ces questions-là, de simplement pouvoir nous les poser, méritent notre présence ici ».

Questions cliniques

Une observation clinique adressée à nos collègues en août 2001 :

« C’est un jeune athlète guinéen rencontré samedi matin à Dar Es Salam suite à la proposition

d’Ambroise. Il m’attendait de pied ferme, lunettes noires sur le nez et un curieux bonnet sur la tête. D’abord, il me parle de son corps. Une kyrielle de plaintes, toute subjectives, comme on dit en médecine : fatigue, sensations de fourmillement, vertiges, tendances syncopales, éblouissements, douleur des yeux à la lumière, faiblesse, mauvais sommeil, difficultés de concentration, anxiété, palpitations, nervosité…la liste était longue et je t’en passe la traduction en jargon technique. Aux États Unis, me dit-il, les toubibs avaient évoqué une onchocercose. Il en avait reçu le traitement (le Mectizan), sans succès. De toute façon, les biopsies cutanées exsangues étaient restées négatives. Alors, je pars à la recherche. Pourquoi les États-Unis ? Et ça démarre. L’histoire d’un athlète brillant, de niveau international. Compétitions locales, nationales, sous régionales, continentales. Puis, les jeux olympiques de Séoul où il dispute le 100m (un score qui flirte avec les 10 secondes.) Une bourse de l’Etat guinéen pour aller en Amérique, et là, ça cale. La bourse lui est refusée au dernier moment. Il part quand même, de son propre chef, travaille, trouve un entraîneur qui lui demande si, en compétition, il court pour la Guinée. Comme il est aux EU à titre personnel, la Guinée lui refuse de la représenter officiellement. L’entraîneur américain se désiste donc. Et lui tombe malade, se faisant hospitaliser à New York, laissant toutes ses économies dans ses soins de santé. Les Américains lui envoient un psychiatre qui lui dit : »je vous écoute », et, après une heure lui fixe un autre rendez-vous et lui présente sa note d’honoraires. Il ne donne pas suite, rentre au pays et retourne se soigner dans sa forêt profonde. Là, à l’hôpital de N’Zérékoré, une femme (pas un médecin. Mais qui alors ?)  lui dit qu’il a opimo. Première fois depuis des années que son mal est

nommé. Traitement traditionnel (badigeonnage du crâne, d’où son curieux bonnet). C’est lui qui m’apprend la différence entre opimo mâle et opimo femelle (tiens, comme le vers dont on avait parlé à son sujet aux États Unis !). Moi, je l’entends au pied de la lettre et me dis qu’il y a du « femelle » dans sa tête (autant qu’une bourse refusée…) et qui s’y reproduit. Après le corps dont s’occupe la médecine et l’histoire de notre bonhomme, je passe donc dans une troisième dimension : je cherche la femme. Mais avec quel ouvre-boîte ? Puisque je suis en Guinée, j’essaye la clé de la sorcellerie. Je fais le naïf et lui demande s’il a pensé avoir été « travaillé ». Me faut pas lui dire deux fois. Il part sur une histoire avec sa sœur aînée (il est le second de la famille) qui aurait toujours proféré qu’il était pour elle comme un oeuf sous son pied (je demande de préciser. Il me répond qu’il lui suffit donc, à cette sœur, d’un geste pour l’écrabouiller) et qu’elle a toujours refusé ses départs à l’étranger. Il a donc bravé non seulement le refus de l’Etat guinéen mais aussi l’interdit sororal. Il me parle aussi à ce moment-là d’une chose curieuse qu’il avait observée : malgré d’excellentes performances aux entraînements, celles-ci ne se maintiennent pas lors de la compétition, et ce répétitivement. Comme s’il s’en trouvait empêché malgré lui. Il profite de l’absence d’Ambroise du bureau (pourquoi ?) pour relever sa chemise et me montrer de très fines cicatrices sur son torse d’athlète, signes de mauvais traitements de sa sœur qui l’aurait attaché, me dit-il. En l’absence d’Ambroise, je remarque que son débit verbal s’accélère, comme s’il profitait du moment pour me dire ce qu’il ne pouvait énoncer en sa présence (Ambroise est également forestier, de la même région…et ce patient nous a été envoyé à Dar Es Salam par la sœur d’Ambroise ???). Ambroise revient, lui se calme. Je me dis que c’est assez pour cette fois et lui propose de reprendre ça avec l’idée de poursuivre sur deux champs : ses rapports avec sa sœur d’une part, et sa vie sexuelle d’autre part. Je ne l’ai pas encore revu, mais il m’avait dit devoir retourner en forêt de ces jours-ci. M’est passé aussi en tête que peut-être essayera-t-il de me rencontrer en l’absence d’Ambroise, sans que je ne sache encore pourquoi la présence d’Ambroise fasse obstacle.

La question que je me pose part de ceci : « Si les fruits de la passion prennent au corps, c’est qu’ils germent sur le champ labouré du fantasme » (Et ça évoque la femelle qui lui pond dans la tête…).

Bien sûr, je pourrais penser que la haine de sa sœur est fille de la jalousie primordiale de celle-ci (il est le premier fils, elle était avant lui le seul enfant. Il m’a dit que c’était sa mère qui lui appliquait le traitement traditionnel sur la tête et lui confectionnait son bonnet, montage complexe de trois couches de plastic d’abord, de laine ensuite, de coton enfin). Je pourrais aussi penser que cette passion haineuse donne à la sorcellerie sa force destructrice, son « énergie négative », diraient peut-être certains. Mais je ne comprends pas pourquoi s’en laisser envahir, sinon parce qu’était déjà en lui un lit défait tout prêt à l’accueillir. Mais là, assurément, à son insu. Pas plus qu’il ne sait d’ailleurs pourquoi sont défaits les draps et de quelles jouissances leurs plis gardent les traces. Il m’en a montré d’autres, de traces, sur sa peau. Cicatrices à peine visibles qui, comme des hiéroglyphes, offrent leur énigme à sa lecture. En termes techniques (psychanalytiques), ces traces de jouissances insues, plis des draps ou marques sur le corps, ça relève de ce qu’on appelle la structure du fantasme. C’en est la face visible, ou audible. Le fantasme, lui, sera la structure de la scène originaire (re)découverte, dont ces traces sont les vestiges. Encore faut-il, pour le lire, qu’il m’en suppose le savoir (le savoir lire, tout simplement). Lorsque ce sera le cas, je pourrai dire qu’un authentique travail psychanalytique est possible en Guinée, mais pourquoi le ferait-il (me supposer savoir lire ce que nous appelons la jouissance) et quelle forme cela prendra-t-il ? Je ne peux donc encore rien affirmer à ce sujet aujourd’hui.

Je ne sais pas, simplement, je cherche ».

Second récit :

« Ce matin, lundi 6 août, Centre de Santé de Dar Es Salam. Quelques consultations avec Ambroise (des schizophrènes en traitement, un abcès du foie, trois épileptiques stabilisés, une malaria, un chancre syphilitique…). Puis, arrive un jeune homme que je ne connaissais pas, présenté par Amatigui (Madame Amatigui Diallo est accueillante au Centre de Santé de Dar Es Salam et faisait partie de la première mission guinéenne en Belgique). Il était venu le samedi matin, apprenant ma présence au centre. Amatigui lui avait demandé de revenir le lundi. Elle me dit, avant que le patient ne me parle, qu’il avait samedi en sa possession un document du Professeur Cissé. Elle aurait lu sur le document « tumeur cérébrale », mais sans pouvoir répondre à ma question : avec ou sans point d’interrogation ensuite ? Puis, elle me dit regretter l’absence de la maman du patient (un adulte). Je lui réponds, irrité, que moi je ne le regrettais pas. C’est une habitude africaine qui m’énerve au plus haut point. D’accord, auprès d’une autorité (employeur, policier, fonctionnaire) il est d’usage de se faire accompagner par un aîné qui porte la parole de l’intéressé. J’ai été témoin plus d’une fois de ce genre de démarche. C’est parfois assez cocasse, d’ailleurs. Mais en consultation de psychiatrie, c’est très déplaisant. Je donne donc la parole au patient, en présence d’Amatigui.

Il s’appelle Moussa Keita et a 24 ans. Il est étudiant en 12° année (il prépare le bac.) Il me dit se plaindre de « céphalées » (un mot bien compliqué déjà pour un jeune homme, me dis-je).

A l’école, et puis aussi quand il joue au foot (Je me dis : merde, une histoire comme on en rencontre trop en médecine générale, sans intérêt autant que sans traitement. Je pense aussi à ces « névroses d’échec » africaines). Alors, pour décaler, je lui fais parler de foot. Il est avant-centre. Ça se détend un peu. La famille ? Il est l’aîné des fils de sa mère (qui a eu 4 fils et trois filles), la co-épouse du père n’ayant que des filles. Tiens donc, un héritier, me dis-je. Et papa (donc…) ? Papa est mort. Je lui demande de m’en parler : rien. Il ne se souvient plus. C’était il y a longtemps. Bon, ben, c’est pas facile. Alors, on repart de la plainte : les céphalées. Et puis aussi un sommeil agité et des cris. Et aussi parfois il se lève et veut quitter (la maison). Mais lui ne se souvient de rien (Ah, si maman avait été là, se lamente Amatigui, je lui avais pourtant bien demandé de venir…). Des cris ? Pas de mots ? Si, me dit-il : je crie « Wôôy ». Voilà qui commence

à m’intéresser (un signifiant, pour sûr, et non un signe…) Je lui demande ce que ce mot signifie. Il me répond qu’il ne sait pas, mais que c’est bien un mot. Dans une langue inconnue. Alors, je me lance : dans la langue des diables ? Et là, c’est la sienne qui se délie. Oui, peut-être la langue des diables. D’ailleurs, son père prononçait le même mot dans son sommeil.

Son père et lui ? « On était très d’accord ». La mort du père ? Des troubles du sommeil, puis un jour une grande frayeur, un coma de quatre jours et la mort. Il avait 14 ans. Le père était docteur en pharmacie, Directeur de Pharma Guinée. Lui aussi veut devenir docteur. Et la conversation s’engage en malinké entre lui et Amatigui, qui me traduit. Et j’apprends que son papa aimait beaucoup sa maman et partageait avec elle ses secrets (ce qui est rare et demande donc à être précisé. Ça donne une idée de la confiance qui règne entre les époux…). Il lui aurait dit qu’un diable lui était apparu, lui demandant un enfant en échange de sa réussite (classique. Ici, on n’a rien sans rien). Il aurait refusé, par amour pour ses enfants (ça, ça l’est moins). Puis, le père part au village (ça, c’est un signe. Ça veut dire qu’il retourne consulter les vieux). Là, les maux de tête et les troubles du sommeil débutent (chez le père) et se poursuivent à son retour. Puis, le coma et la mort. Il me dit ensuite que sa mère était « trop croyante » (c’est-à-dire monothéiste) et n’a jamais accepté de l’accompagner chez les karamoko (les guérisseurs traditionnels) mais que lui les a consultés. Ils ont jeté les cauris (les coquillages qui servent à la divination) et ils lui auraient répondu : « c’est le diable du vieux qui te suit » (bigre. Y a de quoi avoir la trouille…). Il me dit qu’il n’est pas malade lorsqu’il est avec des amis, mais uniquement en famille (et la tumeur cérébrale du Professeur Cissé ?). Que lorsqu’il se lève la nuit dans son sommeil, il va jusqu’au seuil de la maison. Qu’à la maison, il a l’esprit dérangé et qu’il a même cru devenir fou (tout ça en partant de « céphalées »…et moi qui pensais m’en tirer avec de l’aspirine…). Depuis peu, les karamoko lui ont donné des « médicaments » : une bague d’or et d’argent, un vêtement pour se protéger (« leppi » : une tunique que les hommes portent en sous-vêtement) et une prescription : déposer au pied de son lit avant d’y dormir trois oeufs et du pain blanc. Il me dit aussi qu’il rêve : il est au bord de la mer (là où vivent les diables…), quelque chose vient vers lui qu’il ne discerne pas. « Cette chose n’est pas venue face à face ».

Voilà ce qu’il accepte de me déposer (au premier entretien…). A moi maintenant de dire (ben voyons…). Je m’étais dit en cours d’entretien que l’identification au père était au premier plan. Aussi que le fils demandé par le diable et que le père avait refusé de donner, c’était lui. Le premier, l’héritier, le préféré. Je m’étais aussi étonné des médicaments du karamoko qui allaient dans deux sens : la bague et le leppi protègent mais les oeufs et le pain blanc attirent les diables (qui viennent manger la nuit). Puis, je me suis souvenu d’une remarque d’Ali, le guérisseur de la forêt que je revoyais l’année passée pour la troisième fois. Je lui avais parlé de celle que j’ai appelée « Madame n’ouvre pas la bouche », une patiente vue aussi à Dar Es Salam en août dernier, que les diables avaient prise et rendue muette dans un marigot de Forécariah. Ali m’avait dit que j’aurais dû l’y renvoyer sous ma protection, pour qu’elle vainque sa peur. Cette idée était à l’époque à ce point éloignée de moi qu’elle ne m’avait même pas effleuré, mais j’avais remercié Ali de la leçon (moi, j’étais à son sujet dans des hypothèses interprétatives du style : « elle sait quelque chose qu’elle ne peut pas dire », mais je n’en sortais pas, et la patiente non plus. En désespoir de cause, je l’avais renvoyée au guérisseur qui me l’adressait). Et puis, j’ai pensé au « diable amoureux » de Cazotte. Et puis, il y avait le rêve. Alors, j’ai pris le temps de lui dire qu’ « il serait guéri lorsqu’il n’aurait plus peur de regarder la chose dans les yeux et de lui demander ce qu’elle veut » (j’étais quand même pas très à l’aise, me demandant où je mettais les pieds…). Il a souri, visiblement soulagé (pourquoi ? Ce que je lui proposais n’était pourtant pas une sinécure…!). Après un temps de réflexion, il a dit quelque chose en malinké à Amatigui. Je lui ai demandé de traduire. Elle m’a répondu. (…) : « Nous nous sommes donné rendez-vous la semaine prochaine, même jour même heure. On verra alors s’il avait raison ».

Les questions cliniques que posent de telles situations sont délicates. Les deux textes retranscrits ci-dessus ont été rédigés dans les heures qui ont suivi les consultations. Ils révèlent les difficultés conceptuelles auxquelles est confronté un clinicien européen face à ces patients guinéens présentant des problématiques de type « névrotique » (si ce terme convient) dans un contexte radicalement différent de celui qui a créé les outils ici utilisés pour les lire (et donc sans doute tout à fait inutilisables), et qui n’ont pas d’espoir de se voir améliorées par une aide médicamenteuse.

S’introduire à la possibilité de recevoir ces patients demande du temps, une imprégnation progressive et une remise en question radicale de ses propres références, de travail mais aussi culturelles. Ces exemples mesurent aussi combien est inutile l’espoir d’une réponse « scientifique », c’est-à-dire « universelle » qui, comme l’utilisation des neuroleptiques dans la schizophrénie ou des antiépileptiques dans l’épilepsie, pourrait faire l’objet d’un « transfert de savoir » entre un « expert occidental » et des « professionnels de la santé » guinéens.

La question de la formation de professionnels guinéens (et belges… !) à la psychothérapie en Guinée sera inévitable dans l’avenir si se poursuit le travail Sa.M.O.A. Mais ce qui est certain, c’est que son exercice, plus encore que tout le travail jusqu’ici entrepris, devra se faire ensemble dans le cheminement partagé d’une pensée à créer auquel seront associés certes les tradipraticiens qui le souhaitent, mais aussi les professionnels des sciences humaines de Guinée et d’Europe (anthropologues, psychologues, linguistes, historiens, griots, artistes, etc).

Au terme de cette huitième mission

Quelques lignes non sans importance écrites au terme de cette huitième mission :

Acquis :

Autonomisation de l’équipe guinéenne en cours.

Adéquation des demandes de soins des patients et de leur famille.

Fidélisation des patients au sein des centres de santé.
Intérêt pour la pratique psychiatrique suscité par le projet auprès de médecins ou d’étudiants en médecine guinéens.

Souhaits partagés par chaque membre guinéen de l’équipe Samoa de Conakry de voir s’étendre et se diversifier les actions.

« Implication fébrile des professionnels de « La Gerbe » dans le projet. Enthousiasme des professionnels d’autres structures belges pour participer au développement du projet » (remarques du Dr Sow).

Questions :

Limite dans la prise en charge des maladies mentales au sein des centres de santé au-delà de la dimension médicale : « Les patients deviennent demandeurs en sortant de leur folie. Que faire de cette demande… » (remarque du médecin chef d’un centre de santé).

Nécessité d’une référence (non géographique mais institutionnelle) non stigmatisante pour les questions sociales et professionnelles pour les adultes, pédagogiques pour les enfants.

Nécessité de multiplier les lieux géographiques d’intervention suite au nombre de patients mais aussi (et surtout) au caractère chronique de leur pathologie, nécessitant des rencontres régulières à long terme et des visites à domicile si nécessaire.

Dangers : une prescription d’haldol à un enfant de 7 ans pour épilepsie par un médecin remplaçant : comment ouvrir tout en restant présents et vigilants ?

Absence de lieux de soins pour les psychoses infantiles.

Quelques remarques.

La fonction de l’écriture

Nous voudrions donner sa place à la fonction de l’écriture dans ce projet. Elle nous semble essentielle. Nous en voudrions pour preuve deux exemples. Le premier exemple est la mise en série de deux e-mails envoyés par le Dr Ambroise Kourouma (du centre de santé de Dar Es Salam).

Celui-ci date du 8 septembre 2000. Il s’agit du premier récit de cas que nous recevions depuis le début du projet :

« Dr Michel  Dewez

Vers vous un cas clinique

Remarques et suggestions.

Il s’agit d’une femme mariée nommée Mafoudia OULARE, 25 ans, ménagère, domiciliée à Yimbaya (commune de Matoto), Geste : 0

Date de consultation au centre de Dar es salam : 12.09.2000 à 12 heures. J’étais seul.

Voici ses déclarations :

Dr, je viens te voir, j’ai des problèmes, je ne dors pas,j’ai des soucis, j’ai des difficultés mais je ne suis pas malade.

Dr Ambroise : Mafoudia parle, parle je t’écoute !

Dr je suis marié, il y’a trois ans, les vieillards m’observent et parlent de moi quand je suis de passage sur la route.

Dr Ambroise : Ce qu’ils disent de toi, tu entends ?

Oui !

Dr Ambroise : Tu réponds à leurs propos

Non !

Dr Ambroise : Alors pourquoi tu dis qu’ils t’observent ?

J’ai un problème, j’ai l’insomnie,j’ai maigri. Pour moi je n’ai rien, regarde ma main.

Dr Ambroise : Mme explique le passé vécu ?

Oh !!! Dr ! J’ai connu une jeunesse douce, sans problèmes, une belle vie.

Dr Ambroise : Donc, c’est au cours des trois dernières années que tu as commencé à avoir des problèmes ?

Oui, Dr les vieillards m’observent, quand je passe.

Dr Ambroise : Mafoudia , qu’est ce qu’ils disent de toi ?

Elle ne va pas s’en sortir !

Dr Ambroise : Pourquoi tu ne vas pas t’en sortir ?

Elle reste sans réponse pendant une minute. Puis elle dit : Parce que j’ai des soucis ou bien mon comportement.

Dr Ambroise: Tu as des problèmes dans ton foyer ?

Mon mari, ses parents et mes parents s’occupent bien de moi.

Dr Ambroise : Alors, je ne comprends pas pourquoi tu as des problèmes.

Je te le dis que j’ai des problèmes, les vieillards parlent de moi sur la route, je ne suis pas malade. Je viens te voir pour m’aider et me dire ce qu’il faut. 

NB : Le rendez-vous est pris  avec Mafoudia le 15.09.2000 à 12 heures au centre de Dar Es Salam.

Une réaction rapide est souhaitable ! »

Le récit qui suit, du même Dr Kourouma, date du 14 septembre 2001, soit presque jour pour jour un an plus tard :

 « Il s’agit d’un jeune de 34 ans (Ousmane Soumah), en décrochage scolaire depuis 1993 suite à deux échecs au baccalauréat première partie, domicilié à Gbessia cité de l’air, admis au centre sous la demande des parents en ce jour 13 septembre 2001 pour délire, hallucination, troubles de comportements type asocial, refus de manger, maniérisme et agitation.

Ousmane occupe le premier rang dans une fratrie de huit enfants, tous vivants. Admis à l’école, il s’est donné aux études à tout moment, montrant sa disponibilité à parvenir au bout à travers les séances de révisions.

En 1993, après son deuxième échec au baccalauréat, il a décidé de rester à la maison, isolé des autres à tout moment ; c’est alors que ses parents ont commencé à s’inquiéter, ils ont tenté de lui donner des conseils et sollicité l’assistance de ses amis auprès de lui ; malgré ces efforts, en voici des semaines écoulées le récit de Ousman: « Papa, j’ai la jambe lourde, je suis fatigué ».

Avec l’évolution, Ousmane fait des rentrées et sorties plusieurs fois la nuit dans les différentes chambres de la maison, toutes les ampoules allumées ont été cassées par lui ; sa Mère inquiète, trouve que ce comportement est anormal et fait signaler à son mari ; le lendemain, le Papa a demandé une consultation dans les hôpitaux, par la suite à d’autres endroits sans issue favorable.

Le Papa remarqua que son fils insultait à tout moment (continue jusqu’à présent à insulter), qu’il a l’impression que son fils communiquait dans un autre monde à travers des gestes.

Un fait marquant les parents quand le fils dit : « Aidez-moi, j’entends des bruits qui me dérangent, je vois des gens qui veulent me tuer, je ne suis pas fou ».

Les parents ont décidé d’essayer les tradithérapeutes où ils ont dépensé d’importantes sommes sans succès. Enfin le Papa a décidé de garder son fils à domicile dans l’espérance que Dieu lui viendra un jour au secours.

Que dit Ousmane ?

« Je suis paralysé, je ne peux pas m’arrêter, ma tête est vide, mon cerveau est descendu dans mon ventre, éliminé en forme de selles noirâtres ». Puis, il ajoute «  le vent parfois des gens de ma connaissance, ils passent et trouvent les relations mais quelle personne d’abord, mes yeux ne sont pas noir-blanc, la couleur est comme le café ou la terre ».

Ousmane pourquoi tu insultes ? « Je m’énerve à travers les sons qui m’arrivent, des gens qui m’insultent, qui m’accusent » . Après un temps de rupture, animé de gestes des mains, de l’épaule et des yeux, Ousmane prononce : « AH !!! la provocation des filles, parfois, j’ai appris que c’est un FOU qui est souvent victime de ce genre de choses ».  A entendre dire ses parents qu’il a eu le brevet en 1983, soudain, il réagit : « non, j’ai n’est pas eu le brevet, mais j’ai fréquenté d’autres écoles où j’ai passé la huitième – neuvième – dixième et puis j’ai passé le baccalauréat deux fois, ça n’a pas marché ; j’ai eu une seule réussite à l’école dans un centre d’examen à Bonfi premier-deuxième et troisième cycle à Bonfi avec P.V.643, salle 19, salle 20  et quelque commence du premier-deuxième et troisième cycle; à l’heure où je te parle mon cou est déchiré par mon Père, je te dis que mon cou est déchiré ».

Quelle est l’impression du papa ? : « Je déplore ce qui est arrivé à mon fils,jusqu’au moment où je lui ai vu faire du caca dans sa chambre. Là, j’ai perdu tout espoir. Pourtant, mon fils n’a pas fumé la cigarette, ni consommé de la drogue. En plus jusqu’à cet âge-là il ne connait pasencore la femme. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé et comment. Ses amis ont toujours témoigné qu’il est un garçon exemplaire disponible pour les études ».

Du côté de la mère, l’expression est la même que le père, mais elle termine en disant : « Ousmane, c’est qui lui est mis au monde, j’ai n’ai eu aucune difficulté quand j’étais en grossesse et jusqu’à l’accouchement tout s’était bien passé ; je ne reconnais pas en lui des problèmes de santé ; à l’école, il se comportait bien, et ses sorties étaient rares. Après deux échecs au bac, c’est là que les choses ont commencé chez lui et nous l’avons suivi de près jusqu’aujourd’hui ».

Ailleurs, Ousmane est issu d’une famille polygame, aucun des éléments de la famille n’a présenté un problème de santé mentale ; par contre Ousmane a eu des épisodes de paludisme, d’I.R.A. et de parasitoses intestinales.

A l’examen clinique, on retrouve :

une altération de l’état général, une pâleur, de multiples lésions polymorphes maculo-papulo-squamo-prurigineuses, un déficit moteur, un vestimentaire non confortable, le maniérisme, un sujet délirant avec des comportements hallucinatoires, une incohérence de la pensée et des moments d’agitation.

Le diagnostic de présomption est :

Une Psychose de type Schizophrénique

Une Malnutrition Protéino-Calorique suivie d’une gale eczématisée et une anémie (Hb : 9g/l)

Le traitement proposé : haldol 5mg : 1 comprimé /j   

 

Questions :

  1. 1 Le diagnostic de psychose est-il juste ?
  2. 2 Comment peut-on expliquer ce genre de situations chez un sujet impliqué dans les études et que les parents n’ont pas la moindre suspicion d’une maladresse ?
  3. 3 Avez-vous d’autres suggestions ?  Ou d’autres démarches à entreprendre ? »

Outre les leçons que nous pouvons tirer de la comparaison entre ces deux récits, nous pouvons également remarquer de celui qui précède que, dans les questions qu’il pose, le Dr Kourouma ouvre (pour la première fois) la question de l’étiologie des psychoses (sans pouvoir éviter la référence à « la drogue », mais ici de façon négative…). Nous n’y avons pas répondu directement, préférant l’accompagner dans son cheminement à ce sujet sans anticiper les découvertes que son parcours pourrait lui faire faire.

Le second exemple, et peut-être la réponse à l’importance de l’écrit, est extrait du rapport de mission de Chantal Beyaert (juillet 2001) :

– Les membres du personnel de F.M.G. et moi-même avons rédigé de nombreux rapports sur les patients, rapports relatant l’histoire de leur maladie ainsi que leurs histoires de vie telles qu’elles nous avaient été racontées par les patients eux-mêmes et/ou par leur famille. Ces textes ont été transmis par voie d’e-mail au Dr Dewez. Celui-ci ne manquait jamais d’y répondre, nous livrant les réflexions cliniques et théoriques que lui inspiraient ces situations et transmettant aux médecins des conseils concernant les traitements médicamenteux. Cette correspondance, qui s’est tenue entre le Dr Dewez et les différents membres de F.M.G. d’une part et entre celui-ci et moi-même d’autre part, était ensuite partagée et discutée au cours des réunions cliniques hebdomadaires. Une telle interaction vivante entre Bruxelles et Conakry a dynamisé tout notre travail.

(A ce propos, je pense que le fait qu’il y ait une distance géographique entre un stagiaire et son maître de stage, celle-ci suivant une période de travail en commun sur le terrain, est tout à fait bénéfique car cette distance enclenche un processus de réflexion et d’interrogation qui est d’une autre nature que celui qui peut exister dans des contacts immédiats. En effet, le fait de formuler les choses par écrit m’a forcé à approfondir et à détailler davantage mes observations cliniques ainsi que les questions théoriques que je me posais à partir de ces observations.)

Echange de personnel

L’intérêt de cette procédure est d’éviter l’asymétrie des positions entre les différents participants du projet. Si nous voulions éviter une position dissymétrique de type « formateur européens/formé africains » qui, nous semblait-il, n’était pas cohérente avec l’esprit du projet ni avec son objet, nous avions à promouvoir tout dispositif de réciprocité et nous faire ambassadeurs de la Belgique auprès de nos collègues guinéens en Europe autant qu’eux de la Guinée lorsque nous y étions. Ce dispositif fût extrêmement profitable, permettant à chacun de mesurer les écarts de cultures à leur juste mesure et non à l’aune des seules personnes rencontrées ici ou là-bas.

Il a également permis à deux équipes de travail de se rencontrer sur le terrain de leurs activités (FMG à Conakry, « La Gerbe » à Bruxelles). Actuellement, nous assistons à une implication de plus en plus large des membres de ces deux équipes bien au-delà des personnes qui ont eu la possibilité de se déplacer, particulièrement en Guinée, et à l’ouverture de l‘équipe de formateurs européens à des membres d’autres associations.

Concernant les nouvelles missions, une procédure a été arrêtée entre le Directeur des Programmes de FMG (Dr Sow) et le responsable du projet Sa.M.O.A. pour Médicus Mundi Belgium (Dr Dewez) lors de la mission d’août 2001.

Les nouvelles missions, décidées de commun accord entre les deux responsables guinéen et belge en fonction des nécessités du terrain guinéen demandent la rédaction de documents préparatoires rédigés par le formateur belge choisi pour ses compétences particulières pour la mission et qui a marqué son intérêt pour le projet. Ces documents préparatoires, envoyés aux partenaires guinéens, donnent lieu à un débat au niveau local et à un retour avec accord avant le début de la mission.

En voici un exemple récent : le texte qui suit est le document préparatoire de la neuvième mission belge en Guinée, destinée à développer des initiatives communautaires s’adressant aux patients psychotiques adultes.

« MISSION DU 30 OCTOBRE AU 17 NOVEMBRE 2001

Prise en charge psychosociale des patients psychotiques

Deux travailleurs psychosociaux du Service de santé mentale « La Gerbe », asbl à Bruxelles, se rendront à Conakry du mardi 30 octobre au vendredi 17 novembre 2001 : Marta Gonzalez, psychologue et Marie-Anne Kestens, assistante sociale psychiatrique.

L’objet de leur travail portera essentiellement sur la mise en place d’une démarche de prise en charge psychosociale pour les sujets psychotiques.

PROPOSTION D’ACTION

Sortir le malade de l’isolement par la méthode de collectivisation

La proposition faite est d’introduire une dimension collective à la prise en charge qui s’effectue déjà actuellement dans les centres de santé de FMG.

A savoir, depuis plusieurs missions déjà, le Dr Dewez Michel a assuré des suivis de patients psychotiques, les médecins de FMG ont également progressivement assuré ces suivis et d’autres suivis sont venus grossir le nombre de patients malades mentaux traités dans les centres. Un constat a pu être posé de par ces prises en charges. Il y avait une fréquence de jeunes sujets, principalement des garçons, qui vivaient leur premier épisode de décompensation. La mise en place d’un traitement aux neuroleptiques a eu pour effet de rapidement permettre à ces jeunes gens d’être à nouveau en lien avec leur réalité quotidienne.

Oui, mais voilà : Qu’allaient-ils alors faire au sein de leur famille une fois cette réalité retrouvée ? La plupart n’ont pas vécu une scolarité satisfaisante, la charge de ce malade a été lourde pour la famille tout le temps de la « maladie ». Parfois il y a eu rupture avec le milieu familial. Bref comme on dit chez nous, on se retrouve face à un jeune complètement « paumé ».

Comment permettre à ces sujets de retrouver progressivement une place au sein des leurs ?

L’idée est simple en soi :

Proposer à ces jeunes gens, suivis chacun individuellement ou avec leur famille par un médecin des centres de santé, de se retrouver ensemble dans un même lieu avec auprès d’eux des intervenants psychosociaux qui se mettraient, dans un premier temps, simplement à l’écoute de ce qui peut jaillir de ce lieu-là. Avec comme point d’appui pour les intervenants de pouvoir non pas isoler le « dire » de chacun mais collectiviser l’ensemble de ces paroles pour en faire une ligne de conduite commune. A ce stade de pensée et sans avoir entendu les personnes concernées, il nous est difficile d’imaginer sur quoi porteront les dialogues. Il faudra, dans cet espace, une grande vigilance du travailleur psychosocial pour qu’aucune parole ne se perde. Un travail de rédaction important est à prévoir.

Ces jeunes gens auront peut-être de la difficulté à faire la démarche de sortir de chez eux pour se rendre dans un endroit, aussi pensons-nous proposer quelque chose de convivial pour la rencontre. Instituer ces rencontres au temps du repas, qui serait dans un premier temps confectionné par un travailleur diététicien des centres, c’est également une façon d’introduire de nouveaux travailleurs FMG dans le projet Sa.M.O.A. Cette nourriture offerte (ce qui nécessite la budgétisation de ce projet) serait dans un premier temps le support de la rencontre et de l’échange puis pourrait se maintenir suivant des critères que les malades et les travailleurs négocieraient entre eux. Par exemple, introduire la notion de payer le repas.

Il est clair que dès le démarrage du projet, ce sont des travailleurs guinéens qui font fonction de travailleurs psychosociaux qui encadrent les patients. Un nombre de deux est à prévoir. Un qui accueille la parole des jeunes, l’autre qui prend les notes. Les travailleurs belges n’étant là que pour participer au processus (comme des stagiaires) et évaluer en fin de rencontre les observations de chacun, qui seront retranscrites dans un cahier. Les travailleurs belges feront aussi fonction de superviseurs auprès des travailleurs FMG le temps de leur présence.

La fréquence de ces groupes de rencontres est à déterminer avec les travailleurs FMG : une fois par semaine, deux, chaque jour de la semaine ?

Déstigmatiser la maladie auprès des familles et de l’environnement

Parallèlement à ces groupes de rencontres de malades, il serait prévu dans un autre temps d’accueillir les parents des malades.

La méthodologie utilisée reste la même : l’approche collective. Les parents qui ont un jeune malade qui est pris en charge dans le centre de santé, sont conviés à venir à un moment de la journée (un moment qui ne perturbe pas leurs obligations journalières) pour témoigner auprès d’autres parents de la manière dont le malade est perçu dans la famille, des difficultés qu’ils rencontrent, de ce qu’ils pensent de la maladie et des formes d’aide qu’ils souhaitent obtenir pour que les choses changent. 

Les travailleurs psychosociaux ont alors pour mandat de laisser la parole circuler entre les parents et de récolter cette parole (un important travail de rédaction s’impose aussi), ils auront à se laisser interpeller par les parents lorsque ceux-ci voudront savoir ce qu’il en est exactement de ces maladies, du sens ou des symptômes ou des traitements possibles. Ce type de demande nécessite une formation de base en psychiatrie de la part des travailleurs psychosociaux (qui peut s’acquérir facilement par des lectures, des séminaires, de l’enseignement lorsque les travailleurs du SSM « La Gerbe » sont présents) mais aussi une certaine connaissance des pratiques traditionnelles auxquelles les parents ont fait bien souvent appel. 

L’objectif de ces rencontres est de permettre aux parents de se rendre compte qu’ils ne sont pas tout seuls avec cette difficulté et que d’autres parents peuvent apporter du réconfort et des idées nouvelles sur la question de la maladie mentale. C’est aussi leur donner l’occasion de constater qu’il n’y a pas qu’une lecture de la maladie mais autant d’explications possibles qu’il y a de malades.

Ce réconfort et cette découverte seront le moteur d’un changement du regard que l’on porte sur la maladie mentale.

Les travailleurs psychosociaux (idéalement au nombre de deux) qui accompagnent ce groupe de parents sont responsables de l’organisation des réunions et de la circulation de la parole. Ils auront aussi à donner les moyens logistiques à ces mêmes parents si jamais ils exprimaient le besoin de mener une action : campagne de sensibilisation par exemple ou création d’un lieu pour leur enfant malade, …  (à voir selon les demandes exprimées par les parents).

Pour ce groupe de parents se posent les mêmes questions : Combien de fois par semaine ? A quel moment de la journée et en quel lieu ?

1.              
2.            REFLEXIONS

Lors de notre mission de février 2001, nous amenions déjà le constat que la parole échangée n’était pas si évidente. Parler est un acte fort, en Guinée comme ici, on le sait, aussi s’autorise-t-on peu à exprimer ce que l’on veut de peur de se le voir refuser.

Ce type d’approche, dans les deux propositions émises, nous semble tout à fait bénéfique pour accueillir une parole dont on garantit qu’on ne la refusera pas mais que de plus de cette parole, il en sera fait quelque chose.

Ce type de proposition engage beaucoup car ouvrir la parole de façon collective c’est aussi s’engager à pouvoir donner les moyens pour que certaines choses changent. Sa.M.O.A. est-il prêt à se donner les moyens à ce niveau là ? Il faut l’évaluer.

C’est pourquoi nous proposons d’y aller en douceur, de simplement ancrer dans les habitudes des jeunes malades mais aussi des parents ce temps de rencontre, qu’il devienne un rituel, un moment bénéfique pour chacun, que ce lieu donne aussi l’occasion aux travailleurs psychosociaux de FMG de se former à cette pratique.

Des évaluations fréquentes devront se faire avec les médecins formés et les responsables de projets pour garantir l’évolution de tels lieux de rencontres.

Et puis jaillira de ces lieux un ensemble de demandes, nous en sommes sûrs, qu’il appartiendra à Sa.M.O.A. de prendre en charge au fur et à mesure. 

Le développement psychosocial prendra alors tout son sens de cette pratique là.

Reste à se poser la question du lieu pour pratiquer ces rencontres. Faut-il les proposer à l’intérieur d’un service de santé et si oui lequel ? Faut-il assurer un groupe de parole de malade et de parents à partir de chaque centre de santé ? Faut-il commencer par celui qui accueille le plus de malades et proposer aux autres de s’y rendre ? Faut-il au contraire sortir des enceintes des centres de santé et proposer un lieu plus ciblé comme la maison Sa.M.O.A. ? Toutes ces questions sont à débattre entre les travailleurs FMG.

Nous attendons alors vos recommandations et vos propositions concrètes par rapport à ce projet.

Au plaisir de vous lire

Marta Gonzalez et Marie-Anne Kestens 

7 octobre 2001 »

Et voici la réponse du Dr Sow, Directeur des Programmes de FMG :

« Chers Marie-Anne, Michel et Marta

Au cours de notre réunion du jeudi passé, j’ai présenté le projet communautaire que le duo Marta – Marie Anne a proposé pour la mission de novembre.

Les réflexions ont porté sur le fond, la forme, la stratégie d’exécution et les attentes.

Dans l’ensemble l’action a été saluée dans la mesure où elle fera travailler jusque-là deux personnes qui ont séjourné en Belgique et qui ne trouvent pas jusqu’à présent une place au sein de l’équipe.

Deuxième élément, l’action se recoupe avec l’idée du projet de Anne Mathy (Anne Mathy est assistante sociale psychiatrique à l’asbl « Rue Verte » et s’en rendue en Guinée dans le cadre du projet en octobre 2001 pour étudier la possibilité d’ouvrir une communauté thérapeutique de type agricole. Sa proposition de travail est reprise plus loin ainsi que la réponse de FMG), bien que cette dernière soit spécifique à l’agriculture.

Troisième élément, c’est une initiative qui n’est pas développée chez nous de façon formelle jusque là.

Quatrième élément, ce sont les Guinéens qui seront acteurs à part entière de l’action.

Cinquième élément, l’action va permettre à d’autres membres de FMG de s’intéresser au projet Samoa.

Dr Oumou estime qu’il s’agira des patients psychotiques déjà rétablis et suivis par les CSA de FMG.

Dr Ambroise donne un préalable à l’action, il s’agira pour un premier temps de savoir la vie de ces patients à domicile (comment ils vivent, comment ils sont perçus par la famille, comment les voisins réagissent à leur présence, comment ils sont entretenus). Ensuite associer les voisins au traitement, puis essayer de créer un lien d’amitié entre les psychotiques). Pour Ambroise le manger pour les psychotiques, c’est une grosse question (où trouver ?, comment gérer ?, comment repartir ?…).

Keita propose qu’on mette en place un système d’écoute et de dialogue. Concernant les plats par des diététiciens des centres, il pense que l’idée est bonne. Il estime aussi qu’il faut passer de la dimension thérapeutique médicale à la dimension sociale de prise en charge. Essayer de trouver pour chacun dans la société une place. Pour un départ, il préfère des entretiens individuels et à la longue on peut envisager leur regroupement. Concernant la documentation de l’action, il estime que les acteurs doivent avoir une capacité rédactionnelle, d’analyse et d’interprétation efficace.

Dr Koulibaly estime que regrouper les psychotiques ne devrait pas attendre un long terme car les entretiens individuels se font déjà au niveau des centres. Ce regroupement, estime-t-il, sera un moyen pour les patients de pouvoir s’exprimer, cela va susciter la parole chez eux.

Dr Oumou estime qu’il faut être prudent quand il s’agira de l’alimentation. La population risque de stigmatiser les plats comme plats des fous et ils seront les seuls à les consommer.

Mme Aïssatou souhaite qu’on s’investisse pour connaître leur habitude alimentaire aussi, avant de proposer des repas.

Dr Diallo Mouctar se préoccupe des moyens à mettre en oeuvre pour arriver à réaliser ces deux actions complémentaires.

Dr Binta pense qu’on ne devrait pas se préoccuper du budget ou des repas, elle estime que le préalable est de trouver réellement ce qu’il est possible de réaliser dans notre environnement selon nos coutumes, traditions et perceptions.

Ce sont là les premières réflexions de l’équipe.

Bien sûr que je partage les réflexions dans l’ensemble. Je souhaite seulement qu’on ne puisse pas éloigner les deux idées (communauté thérapeutique agricole et ce projet communautaire). Pour moi les deux sont communautaires et peuvent se recouper dans l’approche et dans les moyens. Sans oublier que les résultats attendus sont les mêmes, c’est à dire intégration d’autres aspects de prise en charge que médical dans le traitement des psychotiques.

Bonne lecture.

Si vous avez des réactions ou des éclaircissements à faire, nous sommes à votre disposition.

Salut à tous

Dr Sow »

La question de la substitution

A la question de savoir si, et si oui pourquoi, nous avions fait de la « substitution » en ouvrant des consultations psychiatriques au sein des centres de santé de FMG, nous répondrions ceci : « substituer, c’est mettre quelqu’un à la place de quelqu’un d’autre » (le Petit Robert, 1992).

En ce sens, il n’était pas question de substitution lorsque nous avons débuté les consultations en février 2000 puisque ce poste n’existait pas. Les malades mentaux, simplement, n’étaient pas reçus dans les centres de santé. En les recevant, nous avons créé un nouveau poste, ouvert une nouvelle fonction. Et, progressivement, nous avons substitué (et sommes encore en train de substituer) nos collègues guinéens à la place que nous avons initiée. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la substitution, si ce mot convient, a donc lieu dans le sens inverse de celui qu’il pourrait nous être reproché d’avoir fait.

Nous pourrions cependant penser aujourd’hui que ce dispositif a également ses limites, qui, nous semble t-il, sont doubles.

D’une part, les personnes qui se substituent doivent être proches dans leur fonction. Si la comparaison avait un sens, je dirais qu’on peut substituer une pomme à une orange, parce que ce sont deux fruits. Et donc aussi une pomme à un ananas. Mais pas une pomme à un poisson rouge, et encore moins à un caméléon… Ainsi, un médecin guinéen peut se substituer à un médecin belge. Mais il n’est pas sûr qu’un psychothérapeute européen spécialiste des enfants puisse se substituer à un guérisseur traditionnel guinéen ou à une accueillante d’un centre de santé. Peut-être est-ce là aussi la difficulté qu’à rencontrée le dispositif « centre de jour pour enfants » que nous avions espéré mettre en place (prématurément sans doute) en août 2000.

D’autre part, ne sera jamais substituable qu’une fonction. Ce qui relève de la relation intersubjective ne le peut pas. Et ce qui s’est noué avec une personne, dans le particulier de la rencontre et de son dispositif (pourrait-on ici parler de « transfert » au sens psychanalytique du terme ?) restera vivant dans le cadre strict de cette relation particulière. D’où les questions posées précédemment concernant un travail psychothérapeutique avec ces patients, travail qui s’entame en consultation parfois sans crier gare à la première rencontre et qui, une fois noué, ne permet plus le dénouage et la substitution d’un autre intervenant à la place du premier. Mais ces situations, qui relèvent principalement d’une clinique non de la psychose mais de la névrose, sont aujourd’hui les moins fréquentes et un travail psychothérapeutique entamé dans ce cadre peut se poursuivre, comme c’est le cas, lors d’une prochaine mission.   

Sa.M.O.A. en Belgique.

Au centre de Santé Mentale de « La Gerbe » 

Six professionnels du service de santé mentale « La Gerbe » se sont rendus en Guinée depuis 1997 (un neuropsychiatre, une assistante sociale psychiatrique, une assistante sociale, trois psychologues.)

Chaque mission en Guinée a confronté les professionnels bruxellois qui y ont participé jusqu’à présent aux limites de leurs certitudes, non sans conséquences. Aucun n’est revenu sans que sa pratique bruxelloise n’en porte les traces. Mais, au-delà, c’est de la dimension politique du projet dont il faudrait parler : des rencontres comme celles que nous avons eues avec Issa (le patient d’Ali dont nous parlions plus haut) à un an d’intervalle sont à cet égard extrêmement parlantes. De telles expériences (et bien d’autres) ne peuvent laisser indifférent. Le travail Sa.M.O.A. en Guinée nous permet de découvrir que les options de « La Gerbe », dans son travail d’accompagnement au long cours des malades mentaux, sont plus qu’un pari idéologique et qu’il mériterait l’intérêt des pouvoirs publics en Belgique parce qu’il se fonde sur des réalités cliniques incontestables mais que le contexte institutionnel belge ne permet plus qu’exceptionnellement d’observer. Nous faut-il faire remarquer ce que cette réflexion comporte de tragique ?

Dans d’autres institutions

Les demandes se multiplient de la part de travailleurs psycho-sociaux d’autres institutions bruxelloises, désireux de participer au projet. Voici par exemple la proposition de travail que Anne Mathy, assistante sociale psychiatrique à l’asbl « Rue Verte » à Schaerbeek (lieu d’accueil mère/enfants) adressait par notre intermédiaire à Conakry :

« A l’attention du Docteur SOW,

Bonjour, voici enfin de mes nouvelles !

Bien loin de moi l’idée de vous oublier, vous êtes présent au quotidien dans une réflexion sur la conception de ce projet. Toutefois, il ne m’est pas aisé d’élaborer celui-ci au départ de la Belgique, sans avoir rencontré votre pays, ses habitants, et me familiariser ainsi aux différentes cultures, aux divers modes de vie, ainsi que de bien d’autres approches. En vue de mesurer si le projet rencontre un besoin spécifique au sein des familles et dans la société, je me propose de développer différents objectifs de travail qui seront peut-être à remettre en question une fois sur place.

En voici une ébauche :

  • Pouvoir rencontrer les approches traditionnelles du traitement de la maladie mentale pour travailler dans le respect de celles-ci.
  • Pouvoir observer le travail à l’hôpital psychiatrique, si possible, ou toutefois visiter ses structures.
  • Participer, observer le travail dans les centres de santé, approchant la personne souffrant de maladie mentale.
  • Observer les ressources mobilisables au sein du réseau familial du patient ainsi que celles dont il peut disposer auprès de la structure hospitalière, permettant ainsi de mieux cerner à quelle place ce projet pourrait s’inscrire et de respecter le réseau existant.
  • Quelle conception ont-ils du travail en réseau ?
  • Pouvoir rencontrer les familles de patients, pour percevoir quelles sont leurs attentes.
  • Me familiariser aux valeurs fondamentales, liées aux familles, véritable fil conducteur de la transmission de certaines règles, piliers sur lesquels repose l’essence même de la communication.
  • Pouvoir mobiliser les ressources présentes sur place, présumant de leur richesse, du potentiel, et de la motivation de toute une série de personnes, sensibilisées à la question de l’approche de la maladie mentale.   

D’un point de vue plus pratique :

  • Apprentissage auprès de personnes ressource du terrain et de ce qui y pousse, nature du sol, climat et problèmes qui en découlent … (approvisionnement en eau pendant les périodes sèches ?).
  • Quelles habitudes alimentaires la population a-t-elle ? L’alimentation est-elle équilibrée ?
  • Serait-il intéressant de cultiver des fruits ou des légumes pouvant mieux équilibrer leurs habitudes alimentaires, sans toutefois en changer les fondements ?
  • Visites de parcs botaniques, et autres lieux pouvant améliorer mes connaissances du terrain.

Mais à présent voici quelques mots sur le projet en lui-même :

Il s’agit de pouvoir créer une structure de type agricole pouvant accueillir des personnes atteintes de troubles mentaux mais dotées d’une relative capacité de travail. Cette même structure fournirait un encadrement suffisant pour l’accueil en journée des “patients ”. La prise en charge du suivi médical serait basée sur le principe du travail en réseau avec les centres de santé assurant déjà un suivi de type ambulatoire avec ces patients. Pour ce faire ce principe pourrait reposer sur un système de médecin référent pour le patient. La collaboration avec les familles serait impérative pour les patients qui sont encore en lien avec la leur, évitant ainsi l’abandon de ces patients. Pour les patients rejetés par leur famille et la société, ne bénéficiant donc d’aucune autre alternative que d’errer dans les rues, il serait peut-être envisageable à long terme et dans un second temps de créer un hébergement.

Un des objectifs de ce projet serait une tentative de resocialisation des personnes souffrant de maladie mentale, en essayant de changer le regard de l’autre, en permettant à ces personnes de montrer qu’elles peuvent occuper une place, si on leur laisse la possibilité de la prendre. De par leur force de travail, naîtrait une production, dont elles pourraient ensuite faire profiter directement ou indirectement leur famille, village, etc. Pour cela, il faut aller à la rencontre des besoins spécifiques de ces personnes. En dehors de l’amélioration de son statut au sein de la société ou de sa famille, il existe un principe qui m’est propre, c’est de pouvoir considérer que travailler la terre est ressource pour la personne. En passant à un mode plus actif, le patient pourrait sortir de son enfermement mental en trouvant un exutoire à sa souffrance. Par l’observation du cycle de la nature, le patient pourrait revivre des sentiments, ainsi que de nombreuses expériences individuelles ou collectives. Par exemple, l’exaltation de voir le fruit de son travail transformé en récolte, la colère face aux éléments de la nature qui parfois se déchaînent et détruisent tout sur leur passage, la satisfaction de se réaliser au travers de son travail…

Le fait de pouvoir partager sa journée avec un groupe pourrait également être source d’enrichissement et d’expériences multiples, amenant la personne à entrer en relation avec l’autre quel qu’il soit.

Voilà quelques grandes lignes, les premières d’un échange prospère, du moins je l’espère. Toutefois, rien dans cet écrit n’est définitif, je crois surtout que ce projet doit être le fruit d’un partenariat.

Peut-être est-ce là la première pierre d’un projet qui portera beaucoup de fruits, au sens propre du terme, bien sûr !

Au plaisir de vous lire, vous entendre, ou vous voir ! ! !

A bientôt.

Remettez bien le bonjour à vos collègues que j’ai eu l’occasion de rencontrer à Bruxelles. »      

Et voici la réponse de FMG à la proposition d’Anne Mathy :

« Dr Michel,

Tu voudras bien transmettre les remarques de l’équipe guinéenne au document d’Anne Mathy.

Dites-lui de recevoir les amitiés de toute l’équipe qui sera heureuse de l’accueillir en Guinée.

Son document a suscité beaucoup d’intérêt d’autant qu’il s’agit d’une initiative qui jusqu’ici n’est développée que dans le milieu thérapeutique traditionnel.

Le document a été lu lors de la réunion d’équipe du mardi 26 septembre à Dar Es Salam. Je vous communique les différents points de vue des participants.

Dr Oumou propose qu’on parle du projet aux patients psychotiques suivis par les trois centres de santé avant de l’étendre aux patients de l’hôpital psychiatrique. Elle pense que le projet est plus pertinent en faveur des errants. Elle exprime aussi son inquiétude par rapport aux réclamations que les parents des patients vont faire quand ils verraient leur fils en train de travailler sans rémunération.

Dr Binta estime que l’idée du projet peut être gardée. Elle pense qu’il est judicieux d’observer, écouter puis mettre les idées sur papier à partir des résultats du terrain. Dans ses activités antérieures, elle nous a expliqué le déroulement d’une enquête qu’elle a eu à réaliser dans certains quartiers péri-urbains de Conakry avec la FAO et l’UNICEF. Paraît-il que les populations de ces quartiers étaient prêtes à mettre à disposition de tout acteur qui aimerait travailler, des plaines agricoles pour réaliser des jardins verts. Pour ces deux institutions, le volet nutritionnel constitue un moyen de lutte contre la pauvreté ; par conséquent elles seront prêtes à soutenir une action de ce genre. Binta estime qu’il s’agit bien d’un projet productif et le fruit du travail peut revenir aux malades. Pour finir, elle pense qu’il serait important de penser à comment mobiliser les ressources pour  sa mise en oeuvre.

Dr Koulibaly se dit confiant mais il rappelle à l’équipe de ne pas oublier le contexte administratif d’un tel projet.

Dr Keita pense que l’objectif de rencontrer les tradipraticiens devaient être un objectif à long terme qui demande un travail long (renforcement de la collaboration, bénéficier de leur confiance) sans oublier que les approches des tradipraticiens varient d’un individu à un autre, d’une culture à une autre, d’une zone à une autre, et d’une ethnie à une autre. Cette disparité des approches rend perplexe le traitement traditionnel de la maladie mentale en Guinée.

Il estime qu’observer le travail au service de psychiatrie n’est pas pertinent d’autant que les missions précédentes ont eu une large information. Keita pense que le projet tel que décrit parle d’une structure de prise en charge psychosociale dans son ensemble avec des spécificités agricoles. Certains patients peuvent avoir besoin de pratiques autres que l’agriculture. Donc à ne pas oublier pour que l’action soit complète.

Amatigui, exprime ses inquiétudes par rapport à Donka et au Dr Mariama Barry. Elle craint la récupération du projet par cette dernière d’autant que ce thème a été un sujet de débat entre Michel, Marie-Anne, Mariama Barry et Amatigui lors d’une visite de courtoisie faite à Donka à l’an 2000. Je rappelle que Dr Mariama Barry est un médecin psychiatre à Donka (le seul hôpital guinéen qui a en son sein un service de psychiatrie).

Docteur Binta revient pour dire qu’au cours de cette mission, il s’agira d’une analyse situationnelle. Donc n’exclure aucun secteur (les services, les malades, les familles …). Selon elle, pour un premier temps, il s’agit d’avoir une base de données pour monter le projet proprement dit.

Mme Aïssatou, quant à elle, s’inquiète de l’effet de l’agriculture sur la santé des patients (l’aggravation de l’état des patients améliorés qui se retrouveront dans cette communauté).

D’autres idées avancées par Joseph convergent avec celles de Keita au niveau des approches méthodologiques.

A la suite de ce débat, nous avons fait les propositions suivantes par rapport à la mission de Anne Mathy.

1- Exploiter tous les documents du projet, produits lors des missions précédentes (cela pourrait nous faire gagner en temps). Nous avons fait un constat autour des missions des Belges, tous les nouveaux qui viennent en Guinée nous posent les questions dont les réponses existent déjà dans les rapports.

2- Visite de l’institut agronomique de Foulaya (préfecture de Kindia à 135 km de Conakry). Cet institut était l’un des plus grands de l’Afrique de l’Ouest dans les années 80.  Il existe encore de nos jours dans cet institut des milliers de variétés de plantes (ananas, manguier, bananier, riz, légumes…). Il existe aussi dans cet institut un laboratoire de recherche des variétés améliorées.

3- Visite dans la même région des jardins potagers des paysans qui font des rendements parfois extraordinaires. Ils vivent de ça depuis des décennies.

4- Identifier un répondant agricole qui pourrait conduire la mission auprès des paysans. Un certain Mr Barry Mahmoud est connu de Dr Koulibaly. Il est spécialiste des jardins potagers.

5- Pour la mise en oeuvre du projet, une mission d’identification des sites potentiels peut être organisée. Les quartiers péri-urbains de Conakry (Kobaya, Sonfonia …) et les préfectures voisines de Conakry (Coyah, Dubreka) sont déjà ciblées.

6- Se faire une idée des différentes cultures en fonction des sols.

7- Approfondir l’idée de pratiquer l’horticulture, qui est de plus en plus porteuse et génératrice de revenus, d’après les spécialistes.

Ce sont là les moments forts des réflexions.

Comme Anne Mathy le disait, rien n’est figé, tout est modifiable selon les réalités du terrain.

Pour les autres missions, nous pensons que nous devons procéder de la sorte pour que l’intérêt soit partagé par toute l’équipe. C’est la seule façon de faciliter la mission et permettre à l’intéressé une immersion rapide et efficace. 

Le 3 octobre, nous serons à l’aéroport à 16 heures.

A bientôt

Dr Sow »

Voici le rapport rédigé par Anne Mathy au terme de sa mission :

Mission du 03-10-2001 au 04-11-2001.

« Le produit que je travaille me travaille »

                                                           Karl MARX

Tout d’abord, je voudrais remercier toute l’équipe F.M.G. ainsi que ses partenaires, de leur accueil durant mon séjour.

Que ce soit envers ma personne ou face au développement de l’hypothèse émise au départ :

 Quelle est la pertinence de réinsérer socialement les patients suivis par l’équipe du projet S.A.M.O.A. par le biais du travail agraire, que ce soit l’agriculture, l’arboriculture fruitière ou même la floriculture.

L’écho que cette hypothèse a produit au sein de l’équipe m’a parus très fort et non dénué de sens, amenant des résonances certaines, car quelle que soit la culture d’origine de chacun, il y a des concepts qui rassemblent, celui-ci en est un. Il me paraît donc plausible de développer cette hypothèse, d’autant plus dans un pays comme la Guinée ou les richesses, tant sur le plan humain qu’au niveau climatique me sont parus importantes.

 Plusieurs facteurs apparaissent donc comme facilitateurs du développement de cette hypothèse, et à l’émergence d’un projet pilote, qui reste certes encore à affiner, mais dont les premiers jalons me semblent posés, autour d’un débat d’idée, au sein même de l’équipe F.M.G.

Il appartient donc à celle-ci et à ses partenaires de réaliser ce qui paraîtra être le plus juste pour leurs patients, le plus en lien avec la société dans laquelle ils évoluent. Pour en terminer, je pense que tout est lié, et que dans cette approche, le travail de la terre n’est qu’un moyen de pouvoir réaccèder aux profondeurs des abîmes ou les connexions semblent brisées, comme perdues à jamais dans un puits sans fond.

 Il s’agit donc d’un support pouvant faire effet de levier, pour redonner du liant, et permettre l’accès à une nouvelle resocialisation de ses émotions, par la parole, la rencontre avec l’autre, par le simple fait d’échanger des produits issus d’une alchimie entre l’homme et la terre, et dont la production fera que la rencontre entre Hommes pourra naître.

Les mots sont peu de choses quant au travail qu’il y a à faire en Guinée, c’est pourquoi ils ne font pas l’objet ici d’un long discours, mais bien l’envie d’être porteur d’un avenir pour que cette hypothèse ne reste pas prisonnière de son interrogation.

Initiatives privées

En août/septembre 2001, le Dr Bernadette Goffart, psychiatre bruxelloise, se trouvait en vacances à Conakry, à l’invitation de collègues guinéens. Elle a cependant consacré quelques heures de ses loisirs à rencontrer l’un ou l’autre enfant traité par nos soins et par ceux des collègues de FMG au sein d’un des centres de santé.

De ces rencontres et des discussions qu’elles ont suscitées, elle a cru bon de rédiger quelques lignes qui résument et synthétisent les débats qui l’ont précédée. Nous la remercions de son intérêt pour le projet Sa.M.O.A. et de cette aide ponctuelle :

·                     LES ENFANTS DE CONAKRY 2

Un moment clinique :

 Mohamed

 C’est un jeune garçon de 9 ans qui tourne autour du bureau et vient chercher le contact avec un grand sourire. C’est la troisième consultation me dit le Dr Koulibali. L’enfant soutient le regard, vient tout près de l’examinateur. Il écrit sans erreur les lettres de l’alphabet qui lui sont dictées.

Les parents sont venus il y a trois semaines en expliquant que « l’enfant tombait à l’école, brusquement et se mettait à bouger. A cause de cela, le professeur le renvoyait à la maison. Ce genre de chose se produit depuis un an. Mohamed est actuellement en deuxième année ».

Lors du premier entretien, il apparaît que l’enfant présente un niveau faible d’acquisition par rapport à ce que l’on peut attendre d’un enfant de cet âge. L’enfant ne peut pas écrire son nom, il ne connaît pas les lettres (à vérifier transcription).

(Comment décrire l’humeur de l’enfant à ce moment :

  • accepte-t-il d’être interrogé,
  • répond-il volontiers (bavard, investissement du langage pour communiquer) ou faut-il insister (opposition, peur de parler, il ne comprend pas ce qu’on lui dit ou ce qu’on lui veut, peur du médecin, il n’entend pas bien, ne verrait pas bien et serait gêné de le dire)
  • l’enfant fait-il confiance ou faut-il multiplier les tentatives pour gagner sa confiance (un enfant qui fait confiance est plutôt preneur des propositions qui lui sont faites et accepte plus facilement l’enseignement ; de même un enfant qui serait trop triste n’arrive pas à se concentrer à l’école)

La personne qui accompagne explique que Mohamed présente depuis l’âge de 4 ans des moments « où il ne répond pas. Il s’arrête, ne dit plus rien, ne bouge pas. Il faut l’interpeller pour qu’il se mette de nouveau à répondre » (vérifier la précision de la transcription ; vérifier si les crises de petit mal peuvent réellement être interrompues).

Un diagnostic d’épilepsie a été posé. Selon la description des crises, l’enfant présentait des crises tonico-cloniques typiques de l’épilepsie grand mal. L’étiologie reste inconnue actuellement (préciser le tableau clinique entre 4 et 8 ans ; passage petit à grand mal) Un traitement au Tégrétol 200 mg 2co/j a été prescrit et pris depuis 3 semaines. L’enfant n’a plus eu de crise hormis hier : les parents n’ont plus donné le traitement depuis une semaine parce qu’ils n’avaient plus de comprimés.

QUESTIONS

1. Quels sont les points qui nous intéressent par rapport à la question posée d’une aide particulière aux enfants épileptiques.

2. Qu’y a-t-il de remarquable lors du troisième entretien ?

3. Quels sont les éléments du comportement de l’enfant qui nous intéresse au niveau clinique ? Y en a-t-il de nouveaux qui nous permettraient d’infirmer ou de confirmer des hypothèses de départ ?

DEBAT

A propos de la question 1 :

En Guinée, la maladie épileptique est considérée comme une maladie contagieuse et comme le signe d’une possession par les diables qui a pour effet de stigmatiser l’enfant comme un être à part, d’avantage susceptible d’être en contact avec les diables et donc d’être amené à faire des mauvaises choses (à préciser). Dans cette mesure, il est isolé, sa maladie est cachée et il peut se retrouver exclu du système scolaire. La « débilisation » s’associe dans ce cas à une exclusion sociale précoce.

Dans ce cas-ci, la réaction du professeur n’est ni surprenante ni exceptionnelle. Elle témoigne seulement de l’emprise des croyances dans l’organisation sociale et de l’ignorance des personnes qui la constitue.

En outre, la croyance est telle que la honte de la maladie peut rejaillir sur la famille. Donc non seulement l’enfant souffre d’une discrimination sociale qui peut s’avérer particulièrement féroce, mais il risque également de devoir assister à la discrimination de sa famille à cause de sa maladie.

On peut se demander comment un enfant pourrait assumer une telle responsabilité sans présenter d’importants troubles au niveau de l’estime de lui-même. De même, la pauvreté des contacts sociaux avec des pairs ne doit pas favoriser l’investissement du langage et la mise en place d’une image de lui-même valorisée et assurée. La confiance de ces petits sujets dans leur propre jugement doit être sérieusement atteinte. Dans certain cas peut être, on pourrait se demander si un rejet précoce du lien social ne pourrait pas entraîner des perturbations graves des conduites.

Dans ce contexte, il s’agit d’évaluer très précisément l’incidence de l’affection neurologique sur la symptomatologie psychiatrique. Les médecins des différents centres peuvent témoigner de consultations multiples où le premier diagnostic posé était celui de psychose jusqu’à la mise en évidence de l’épilepsie. Le traitement anti-épileptique, l’attention portée au patient et la mobilisation de la famille avaient modifié remarquablement le tableau clinique.

Par ailleurs, les parents de tels enfants souffrent également. Pour eux, il s’agit de cacher la honte et de vivre dans le secret. Ceci ne se passe jamais sans conséquence, tant pour eux que pour l’ensemble des enfants de la fratrie. De plus, l’enfant qui ne peut bénéficier d’un enseignement pédagogique minimal voit fortement diminuer ses chances d’acquérir un moyen de subsistance ultérieur. Dans un pays où il n’y a pas de sécurité sociale, l’absence d’intégration dans un circuit de travail a des conséquences dramatiques.

Aussi, dans le cas particulier de l’épilepsie, étant donné le système de croyance qui entoure la maladie et les conséquences sociales, la mise en place du projet ne peut s’effectuer sans la prise en compte étroite des trois dimensions sociale, familiale et individuelle.

             SOCIAL                                                FAMILLE

 école

                                   INDIVIDUEL

L’expérience de la campagne anti-excision peut nous enseigner. L’utilisation de la pièce de théâtre comme moyen pour transmettre l’information s’est révélée particulièrement bien adaptée. Elle permettait d’aborder sans jugement les conséquences médicales d’une telle pratique et les motifs qui la justifiaient.

Dans un deuxième temps, la recherche de solutions a été sollicitée auprès des participants. De cette manière, les « solutions » envisagées peuvent être appropriées par la population locale et non pas vécues comme imposées. L’adhésion et la participation active des parents est indispensable pour la réussite de tout projet thérapeutique.

DONC : Pendre en compte les trois dimensions veut dire qu’il est illusoire de penser une action qui viserait uniquement un dispositif pour les enfants épileptiques sans préalable. Après discussion, il apparaît qu’il s’agit de penser et d’organiser :

  1. Une information auprès des écoles et des enseignants. Ceci a été pris en charge par le BIVEP qui a mis en place un programme d’information et de sensibilisation auprès des enseignants et des élèves.

Concernant le programme d’information mis en place par le BIVEP, a-t-on des retours, feed-back, informations qui permettraient d’affiner le projet de recherche auprès de la population ? Comment peut-on évaluer les effets de cette démarche ? Les parents ont-ils été impliqués ? Comment tirer enseignement de cette démarche et de ses effets éventuels ?

  1. Une Recherche Action après des familles. Comment faire intervenir les agents de quartier et trouver une modalité de contact avec la population. Comme mis en évidence par les Forum anti-excision, il s’agit de mobiliser les populations et de susciter une réflexion dont on peut dégager les principes d’une solution Il s’agit également de convoquer tous les intéressés et de rechercher auprès d’eux des propositions alternatives à l’exclusion. Comment les sensibiliser au fait que bon nombre de ces enfants voient leurs capacités intellectuelles gaspillées et donc leur chance d’apprendre un métier abusivement diminué.

 

AUTRE REMARQUE.

La stigmatisation étant suffisamment forte, l’idée d’un enseignement spécial spécifique pour enfant épileptique est peut-être maladroite. La proposition d’un centre d’accueil qui permettrait une remise à niveau scolaire rencontre plus d’enthousiasme.

A ce point, le recueil d’indications que les réunions de sensibilisation apporteraient constitue un préalable indispensable à toute réflexion sur la mise en place d’un centre d’accueil. Les modalités de son fonctionnement doivent être pensées en fonction des besoins qui seront exprimés par les intéressés de première ligne et de la clinique qui sera rencontrée.

A l’université

Le Professeur Jean Luc Brackelaere (Département de psychologie clinique, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université Catholique de Louvain) nous a demandé d’accueillir à Conakry une étudiante en psychologie qui souhaitait y faire son stage de dernière année.

Chantal Beyaert y a séjourné de début janvier à fin mai 2000. Son rapport de mission est à l’égal de la qualité du travail fourni. Le professeur Brackelaere et son collègue Léandre Nshimirimana nous ont contactés depuis, nous demandant de poursuivre l’expérience. Les discussions sont en cours.

Voici le rapport de mission de Chantal Beyaert.

 

 

« RAPPORT DE  MON STAGE EFFECTUE EN GUINEE »

·                      

·                     Introduction

Mon stage en Guinée s’inscrit dans le cadre du projet Sa.M.O.A. (Santé Mentale en Milieu Ouvert Africain) initié par le Docteur Michel Dewez, psychiatre et médecin directeur du Service de Santé Mentale “La Gerbe”. Ce projet, qui s’étale sur une durée de 4 ans (de 2000 à 2003), se propose d’appuyer l’association “Fraternité Médicale Guinée” dirigée par le Docteur Sow et le Docteur Diallo afin d’intégrer les soins de santé mentale au niveau des centres de santé primaires de F.M.G. Jeune association médicale fondée en 1994, F.M.G. se caractérise par une prise de position éthique et politique qui consiste à lutter contre la pauvreté en offrant aux populations les plus démunies, pour un très faible coût, un accès à ce bien de base que constituent les soins de santé.

Dans un premier temps, je présenterai le projet S.A.M.O.A. (I). Je donnerai d’abord quelques indications sur les conditions de prise en charge des malades mentaux telles qu’elles se présentaient avant la mise en oeuvre de ce projet (A). Je tâcherai ensuite de cerner l’objectif de ce projet dans un tel contexte social et humain (B).

Dans un deuxième temps, je donnerai une description détaillée de l’organisation pratique de mon stage (II).

Enfin, dans un troisième temps, j’aborderai, en guise de conclusion, deux questions qui se sont souvent posées à moi lors de mon séjour en Guinée : la question de la pertinence de recourir à l’outil psychanalytique dans le contexte guinéen (A) ; et la question de l’universalité des catégorie nosographiques (B).

  1. PRESENTATION DU PROJET Sa.M.O.A.

A.  Qu’en était-t-il des conditions de prise en charge des malades mentaux en Guinée avant la mise en oeuvre du projet ?

Même s’il n’existe pas encore de données statistiques permettant d’apprécier l’état épidémiologique de la maladie mentale en Guinée, nous avons pu constater, tant à l’occasion des consultations tenues à Conakry (dans les centres de F.M.G. et à l’hôpital Donka) qu’à l’occasion de séjours effectués à l’intérieur du pays, que le nombre de patients présentant des problèmes de santé mentale en Guinée est élevé. Ces problèmes relèvent en majorité d’une pathologie psychiatrique lourde, principalement des psychoses.

Le service de psychiatrie de l’hôpital Donka est submergé par le nombre de demandes. Sa capacité d’accueil est très faible par rapport aux besoins du pays : une centaine de lits pour une population de 7 millions d’habitants. Son personnel est également insuffisant. Il se compose de 4 psychiatres et de 5 infirmiers. De plus, chaque jour passé à l’hôpital représente un coût non négligeable que les plus pauvres ne peuvent soutenir.

Les tradipraticiens sont très souvent consultés. Mais, s’ils remportent des succès thérapeutiques auprès des patients présentant des pathologies de type névrotique, face aux désordres psychiques graves, leurs compétences sont limitées et ils n’ont pas de réponse à proposer face aux “nouvelles pathologies” que constituent les toxicomanies, le sida et la délinquance juvénile. En outre, il nous est arrivé à plusieurs reprises de rencontrer des familles de patients psychotiques ou épileptiques qui, après avoir réalisé d’importantes dépenses pour faire soigner leur malade auprès de marabouts, nous ont fait part de leur colère face à la situation d’exploitation financière dont elles ont été victimes de la part de ceux-ci. Enfin, les marabouts considèrent souvent les maladies qui échappent à leur art comme étant la conséquence d’une “faute morale”, d’un “péché” ou d’une “malédiction”. Et, dès lors, les patients qui en sont atteints font l’objet d’une réprobation publique et parfois même de pratiques d’exclusion.

Etant données toutes ces contraintes au niveau de l’offre des soins de santé mentale, les malades et leur famille sont souvent abandonnés à leur sort. Les malades sont parfois cachés dans une chambre ou même enchaînés quand ils sont en phase d’agitation et risquent de “tout gâter dans la maison”. Un certain nombre d’entre eux sont renvoyés au village. D’autres errent dans la ville où ils sont tolérés à condition de ne pas troubler l’ordre public. Beaucoup plus que les pathologies physiques, les troubles mentaux graves et chroniques représentent une lourde charge pour la famille du patient, ceci tant sur le plan économique que sur le plan moral. Les familles doivent le plus souvent assumer seules ce que signifie la folie d’un des leurs. Le regard des autres est parfois difficile à vivre et il arrive que les malades et leur famille fassent l’objet d’un ostracisme.

  • Quel est l’objectif du projet Sa.M.O.A. dans un tel contexte humain ?

Ce projet ne vise pas à importer en Guinée le modèle hospitalier occidental de prise en charge psychiatrique comme cela avait été pratiqué au temps de la colonisation. Un tel modèle de soins aurait pour effet d’isoler les patients de leur famille et de leur milieu de vie et ne tient pas compte des dimensions socioculturelles propres à l’Afrique noire. Il ne s’agit pas non plus de transférer tels quels les outils thérapeutiques utilisés en Europe, outils issus d’un contexte socioculturel autre que celui des consultants guinéens.

La philosophie du projet Sa.M.O.A., telle que je l’ai comprise, est la suivante. Plutôt que d’apporter des réponses anticipatives à des questions qu’ils ne connaissaient pas à l’avance, le Dr Dewez et ses collaborateurs ont préféré se mettre dans une situation de dialogue avec la clinique telle qu’ils la découvraient en Guinée. Plutôt que d’importer un savoir occidental, ils se sont attelés à déchiffrer un terrain. La question qu’ils se sont posée est la suivante : comment adapter nos procédures de travail en tenant compte de la culture, des croyances et de la spécificité du tissu social et des modes de vie guinéens ?

La réponse qu’ils proposent consiste à mettre en place, dans la ville de Conakry, une structure de prise en charge ambulatoire des malades mentaux. Dans cette perspective, des consultations psychiatriques ont été ouvertes au sein des 3 centres de santé de F.M.G., centres situés dans des quartiers défavorisés de la ville : Hamdallaye, Dar Es Salam et Carrière. Les patients peuvent ainsi bénéficier d’une prise en charge psycho-sociale et de soins médicaux très peu coûteux (le suivi psycho-social est gratuit et le prix des médicaments génériques modique).

Les éléments qui ont justifié un tel choix sont les suivants :

  • Une prise en charge ambulatoire permet de maintenir le patient dans son contexte de vie et ainsi lui donne l’occasion de continuer à bénéficier de cette extraordinaire richesse de contacts humains qui caractérise la vie quotidienne en Afrique. Outre les relations qui se nouent spontanément entre les individus, il existe également des moments de rencontre instaurés par la coutume et la religion. Ainsi, la rupture du jeûne pendant le ramadan est considérée comme un moment de fête et de partage durant lequel il est déconseillé de manger seul. Celui qui n’a pas de convive peut aller à la mosquée avec son repas.
  • Une telle prise en charge permet également de maintenir ou de restaurer une insertion professionnelle. Celle-ci est rendue d’autant plus aisée que les exigences en matière de formation professionnelle et de performances dans le travail sont nettement moins élevées en Afrique qu’en Europe. Ainsi, il suffit de disposer d’une table et de quelques vivres pour devenir marchand ou d’un simple attirail adéquat pour devenir cireur de chaussures ou cordonnier.
  • Un tel choix correspond également à la position théorique du S.S.M. de “La Gerbe” qui, pour la résumer brièvement, est de considérer que les réponses aux situations de souffrance psychique sont à trouver au lieu même de leur émergence et avec tous les acteurs impliqués dans la situation problématique. C’est dans le contexte de vie du patient et dans son réseau de relations que l’on peut trouver les ressources nécessaires au changement.

Afin de concrétiser un tel projet, le Dr Dewez et ses collaborateurs sont en train de former au sein de F.M.G. une équipe de professionnels de la santé mentale. Ceux-ci travaillent aux interfaces entre le patient, sa famille, les services de santé existant à Conakry et le service psychiatrique de l’hôpital Donka.

  1. L’ORGANISATION PRATIQUE DE MON STAGE

Mon travail s’est partagé entre trois activités.

  1. Le projet Sa.M.O.A.

Premier temps du stage (durant une période d’un mois)

– J’ai assisté le Dr Dewez dans ses consultations au sein des centres de F.M.G.

– J’ai accompagné le Dr Dewez ainsi que les Dr Sow et Diallo dans leurs démarches auprès des établissements médicaux et des institutions politiques du pays.

– Avec le Dr Dewez et Madame Kestens, assistante sociale à “La Gerbe”, je me suis rendue sur l’île de Tamara qui fait partie des îles de Loos situées au large de la ville de Conakry afin de visiter un ancien pénitencier datant du temps de la colonisation française, sorte de “Cayenne” où étaient rassemblés tous les prisonniers des colonies françaises de l’Afrique de l’Ouest. Sous le régime de Sékou Touré, ces bâtiments ont “hébergé” les malades mentaux de Guinée. Ceux-ci ont été libérés après la mort de ce dernier, survenue en 1984. Nous avons eu l’occasion de rencontrer le dernier “pensionnaire” de cet établissement qui “réside” actuellement dans une hutte de fortune construite en branchages dans les parages du pénitencier. Ce dernier a trouvé un certain “équilibre de vie” en menant une existence d’ermite dans un état de symbiose avec la nature et en entretenant quelques relations assez distendues avec les villageois.

Second temps du stage (durant une période de trois mois)

En collaboration avec les médecins, les infirmiers ou les accueillantes des centres de F.M.G., j’ai poursuivi les entretiens psychologiques avec les patients. A ce propos, j’ai constaté que la présence des membres du personnel guinéen lors des consultations avait sur les patients un effet rassurant et contenant. Il y avait entre les patients et ceux-ci une proximité à laquelle les patients tenaient. Une telle proximité était due à ce fond de références implicites qu’ont en commun les gens d’un même pays.

– J’ai effectué avec les différents membres du personnel de F.M.G. de nombreuses visites au domicile des patients. Un tel type de démarche vers les patients et leur famille, courant au S.S.M. de “La Gerbe”, n’existait pas encore en Guinée où les soignants étaient plutôt en position d’attente dans leur centre de santé. Ces visites se sont avérées très fructueuses dans la mesure où se rendre au domicile de patients psychiatriques permet souvent d’avoir un éclairage inédit sur la problématique qui est la leur ainsi que sur la dynamique interpersonnelle dans laquelle ils sont pris. Ces visites permettent en outre d’établir des liens plus personnalisés avec les malades et leur famille et, dès lors, d’améliorer le soutien thérapeutique que nous pouvons leur apporter. De plus, nous avons également constaté que des éléments différents émergent d’un entretien selon qu’il se déroule à domicile ou dans un bureau de consultation.

– J’ai participé aux réunions hebdomadaires du personnel de F.M.G. Celles-ci consistaient en discussions théorico-cliniques concernant les différents patients rencontrés.

Ces réunions m’ont été extrêmement précieuses à plusieurs égards :

– Elles constituaient pour moi une des principales sources d’informations ethnologiques (et linguistiques) indispensables pour éclairer et mettre en perspective certaines observations cliniques.

– A l’occasion de ces réunions, j’ai aussi pu me rendre compte du fait que, d’une société à l’autre, ce ne sont pas les mêmes choses qui paraissent familières ou étrangères. A titre d’exemple, je dirai que, en ce qui concerne les modes de vie familiale, il existe des pratiques qui, pour nous Européens, pourraient paraître étonnantes et même éprouvantes et qui ne sont pas ressenties comme telles par les Africains. Ainsi, il existe dans les familles polygames une possibilité de substitution entre les rôles familiaux dans le cadre de laquelle un enfant mis au monde par une co-épouse peut être donné par son mari à une autre de ses femmes. Il est également courant de voir que des enfants encore très jeunes sont séparés de leurs parents pour être confiés à des oncles et tantes qui prennent la responsabilité de leur éducation.

– Les membres du personnel de F.M.G. et moi-même avons rédigé de nombreux rapports sur les patients, rapports relatant l’histoire de leur maladie ainsi que leur histoire de vie telles qu’elles nous avaient été racontées par les patients eux-mêmes et/ou par leur famille. Ces textes ont été transmis par voie d’e-mail au Dr Dewez. Celui-ci ne manquait jamais d’y répondre, nous livrant les réflexions cliniques et théoriques que lui inspiraient ces situations et transmettant aux médecins des conseils concernant les traitements médicamenteux. Cette correspondance, qui s’est tenue entre le Dr Dewez et les différents membres de F.M.G. d’une part et entre celui-ci et moi-même d’autre part, était ensuite partagée et discutée au cours des réunions cliniques hebdomadaires. Une telle interaction vivante entre Bruxelles et Conakry a dynamisé tout notre travail. (A ce propos, je pense que le fait qu’il y ait une distance géographique entre un stagiaire et son maître de stage, celle-ci suivant une période de travail en commun sur le terrain, est tout à fait bénéfique car cette distance enclenche un processus de réflexion et d’interrogation qui est d’une autre nature que celui qui peut exister dans des contacts immédiats. En effet, le fait de formuler les choses par écrit m’a forcée à approfondir et à détailler davantage mes observations cliniques ainsi que les questions théoriques que je me posais à partir de ces observations.)

– J’ai enfin été présente lors d’une rencontre entre un médecin de F.M.G. et le Dr Barry, psychiatre à l’hôpital Donka, rencontre destinée à mettre en place une collaboration de travail à propos de la prise en charge commune d’une patiente.

B Une présence au service de psychiatrie de l’hôpital Donka

– Une journée par semaine, j’ai été invitée à participer aux consultations du Dr Mariama Barry, une des rares psychiatres en Guinée. Le fait d’y avoir rencontré de très nombreux patients m’a permis d’avoir une vue globale sur les pathologies psychiatriques qui existent dans ce pays.

– J’ai également pu me rendre compte, à partir de l’intérieur, de la manière dont fonctionne un hôpital psychiatrique africain.

  • Un séjour dans une concession d’un village malinké de Haute Guinée (Lorombo)

– J’y avais été invitée à l’occasion de la fête de la Tabaski (fête du mouton) afin de rencontrer un jeune schizophrène. Pendant une semaine, avec mon fils de quatre ans, j’ai participé à la vie quotidienne de ce patient et de sa famille. J’ai tenté de mettre en récit tant l’histoire et l’existence actuelle de celui-ci que l’ambiance particulière qui se dégageait de la vie communautaire au sein de la concession et du village.

– J’ai également travaillé avec le médecin du “poste de santé” de Lorombo. Ce dernier m’a permis de rencontrer la plupart des malades mentaux du village. J’ai pu me rendre compte des conditions de vie de malades qui n’avaient jamais été traités ainsi que de leur insertion particulière au sein de la communauté villageoise.

– Le fait d’avoir effectué ce séjour en Haute Guinée, ainsi que plusieurs autres visites dans différentes régions du pays, m’a permis d’avoir une compréhension plus concrète du mode d’existence de nombreux patients d’origine rurale.

– De façon plus générale et plus fondamentale, le contact proche de quelques Guinéens, rencontrés tant au sein du personnel de F.M.G. que dans des circonstances extra-professionnelles, m’a fait pressentir à quel point le village natal comme lieu d’origine constitue pour eux une référence prépondérante qui fait partie de leur identité de base. Le fait que ces Guinéens trouvent la source de leur identité et une possibilité de ressourcement dans leurs origines familiales et leur sol natal, auxquels ils restent profondément attachés, est ce qui leur permet, me semble-t-il, de garder une authenticité et une identité africaine face au processus d’acculturation rapide qu’ils sont en train de vivre. Cette façon de tenir à et de cultiver leurs racines leur donne une force interne qui leur permet de garder en eux-mêmes leur centre de gravité face au phénomène d’occidentalisation et, dès lors, de ne pas être excentrés par rapport à leurs propres valeurs culturelles.

III       QUESTIONS

  1. Est-ce que la technique analytique, qui consiste à mettre un sujet en position d’être responsable de sa parole et à écouter ce qu’il dit, est transposable en Guinée ?

Face à une question aussi vaste et aussi fondamentale, je ne peux apporter que des éléments de réflexion. Je le ferai par le biais des quatre sous-questions suivantes.

  1. Qu’est-ce que cela implique de recourir à la technique analytique sur un plan général ?

Je partirai d’une remarque du Dr Sow émise lors d’une de nos réunions hebdomadaires. “Dans ses entretiens avec les patients, Dr Michel dit : ‘Qu’est-ce que tu as à me dire ?’ C’est une question très violente. Nous, on n’est pas habitués à cela. C’est les Blancs qui le font”. Que nous révèle cette remarque ? Comme me l’a fait observer le Dr Dewez, elle nous révèle que le fait de mettre un sujet en place d’auteur de sa parole, de le rendre responsable de ses dires est effectivement extrêmement violent, et ceci, sous toutes les latitudes. La violence et l’importance d’une telle question, à laquelle les psychanalystes se sont montrés sensibles, apparaissent de manière renouvelée en Guinée du fait de sa nouveauté.

  • Qu’est-ce que cette remarque met en lumière eu égard au passé historique de la Guinée ?

Cette remarque révèle également à quel point le peuple guinéen a été réduit, durant les trente années qu’a duré le régime de Sékou Touré, à être cantonné dans un silence ordonné.

  • Quelle est la pertinence de recourir à l’outil psychanalytique ou du moins de pratiquer des entretiens psychothérapeutiques dans le contexte religieux, culturel et social qui est celui de la Guinée ?

En Guinée, comme dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, l’influence de l’Islam est dominante. Dans un tel contexte religieux, le fait de parler pour remettre en question des éléments de son existence est une pratique qui est difficilement envisageable. En effet, selon une conviction profondément ancrée dans la population musulmane, un individu ne peut changer son destin parce que celui-ci a été décidé par Allah. Une telle conviction va à l’encontre de la croyance et du pari de la psychanalyse qui sont les suivants : se donner la possibilité de lire ce qui est écrit dans son destin et de le dire, cela peut en changer le cours.

Dans le même ordre d’idées, on rencontre également un certain fatalisme dans les croyances animistes. Il n’est pas rare d’entendre des patients nous dire : “Je suis malade mais je ne suis pas responsable du fait qu’un diable m’a pris”. Un travail analytique consisterait ici à ouvrir la personne à cette idée qu’elle pourrait aussi être pour quelque chose dans le malheur dans lequel elle est prise ou dans les troubles qu’elle sème autour d’elle.

Les structures sociales dans lesquelles sont pris certains patients rendent difficile, si pas impossible, toute investigation psychothérapeutique dans la mesure où ils doivent se plier à des règles sociales et familiales qui leur enlèvent toute possibilité de choix et les poussent dans des voies qui leur ont été tracées à l’avance. Il en est ainsi en ce qui concerne le modèle traditionnel du mariage dont le but n’est pas tant l’épanouissement individuel des deux conjoints que l’alliance entre deux lignages et la procréation. La remise en question de tels “choix” est parfois inenvisageable et ne correspond d’ailleurs à aucune demande de la part de ces patients dans la mesure où ils n’ont rien à y objecter et sont entièrement d’accord avec les exigences très rigides qui leur ont été imposées.

Ce qui apparaît également lorsqu’on donne aux patients l’occasion de s’exprimer, c’est que, en Guinée, il n’existe pas de lieu où un malade puisse se mettre en situation de se dire. Jamais les thérapeutes traditionnels ne placent leurs patients dans cette position-là, et ceci d’autant plus qu’eux-mêmes se mettent dans la position de celui qui sait. Un jour, un patient qui était venu consulter le Dr Dewez après avoir vu un certain nombre de karamocos lui a dit : “ En tout cas, c’est quelque chose d’inattendu, c’est quelque chose d’une grâce qu’on me demande de mes nouvelles, c’est quelque chose que je ne m’attendais pas”. Une telle réflexion révèle qu’on n’avait jamais accordé de poids à la parole de ce malade.

  • Comment vient s’inscrire une telle offre d’entretiens psychothérapeutiques dans le mouvement de transformation de la société que les Africains sont en train de vivre, mouvement caractérisé par des tensions entre les structures traditionnelles et les modèles occidentaux ?

Je répondrai à cette dernière question en deux temps.

  1. Le choix entre ces deux modèles que sont celui de la tradition et celui de la modernité se pose dès qu’apparaît la nécessité de consulter. Opter pour la “médecine moderne” ou pour les soins proposés dans l’indigénat peut faire l’objet de longues palabres familiales où s’opposent deux générations ou même deux groupes au sein d’une même fratrie. Dans une situation clinique que j’ai rencontrée au centre de Carrière (la famille Barry venue consulter pour leur sœur Mariama), l’un de ces deux groupes était représenté par l’aîné des frères qui, à la mort du père, avait été investi du pouvoir de prendre les décisions importantes concernant la famille et qui s’est présenté à moi de la manière suivante : “ Je n’ai pas intellectuel mais j’ai l’expérience”. Ce dernier envisageait la maladie de sa sœur en se référant au système traditionnel de représentation et voulait la faire soigner par un karamoco.

L’autre groupe était représenté par le frère cadet, universitaire et qui prônait la médecine moderne. Dans une telle situation, le second entretien [1], qui s’est déroulé dans un premier temps avec le frère cadet et dans un second temps avec le frère aîné, chacun étant venu me voir à un moment différent de la journée, a consisté à me prendre à témoin des remous et débats qui avaient agité la famille lors des jours précédents. En tentant de me rendre compte de là où ils en étaient arrivés dans leur cheminement de pensée à propos de ce choix entre les deux médecines et, ce faisant, de la manière dont l’évolution de la société africaine les touchait personnellement, ces deux hommes étaient en train de me parler en leur nom propre et de devenir les sujets de leur questionnement. Le fait de se livrer ainsi à un moment de leur existence où ils étaient au cœur d’un drame (la maladie de leur sœur) et d’une crise familiale a eu sur moi cet effet unique, étrange et paradoxal de créer entre eux et moi une très grande proximité et, en même temps, de rendre pour moi extrêmement sensible et même presque tangible leur altérité culturelle en tant que cette altérité culturelle ne relève pas seulement de l’ordre du langage mais aussi de celui du corps.

  • Le fait, pour un Africain, d’être engagé dans un travail psychothérapeutique peut avoir des effets sur le rapport que celui-ci entretient avec les pratiques sociales et les règles de vie traditionnelles. Une thérapie peut conduire un patient à des prises de conscience qui ont pour conséquence de l’amener à adopter des valeurs et des priorités de vie qui sont différentes de celles du groupe auquel il appartient et qui vont à l’encontre d’un mode de vie familiale très collectiviste. Afin d’illustrer ceci, je citerai le cas de Mamadou Dian Diallo (36 ans), rencontré au centre de Dar Es Salam. Celui-ci est dévoré par une rancœur terrible envers sa sœur qui, selon lui, non seulement l’a dépouillé de sa part d’héritage, mais abuse largement du devoir de “soutenir la famille” qui, en Afrique, incombe à celui qui gagne de l’argent. “Des fois, me dit-il, si je pense à ça, je pense que je vais devenir fou”. Les entretiens, au cours desquels il a pu me décrire cette impasse dans laquelle il était enlisé depuis de nombreuses années et dont il ne parvenait pas à se dégager malgré tous les sacrifices consentis, ont rendu possible une évolution personnelle en lui permettant de devenir plus indépendant et de se définir davantage par rapport à lui-même et moins par rapport au groupe familial. L’adoption d’une position plus autonome – qu’il formule entre autres de la manière suivante : “ Je suis obligé de débrancher à eux” – a été, me semble-t-il, rendue possible grâce au fait que c’était la première fois qu’il avait l’occasion de parler de cette situation en toute liberté et en toute confiance. Cette occasion, à laquelle il ne s’attendait pas (puisqu’il était venu consulter pour des problèmes de gale) et qui lui a été offerte grâce à la perspicacité du médecin de Dar Es Salam, qui avait supputé chez lui la présence d’une dépressivité de fond, il se l’est immédiatement appropriée, comme le laissent entendre les propos suivants : “Tu es là pour m’aider, si tu m’as choisi de venir parler avec toi…Si je suis avec vous, Dieu peut m’aider”.

En ce qui concerne la relation transférentielle, je voudrais préciser que je n’ai en aucune manière influencé Mamadou quant à sa décision de prendre distance par rapport à sa sœur et la famille de celle-ci. Les paroles dans lesquelles il a esquissé son parcours d’existence ainsi que la façon dont il se positionnait par rapport à celui-ci, bien que n’ayant jamais été dites, semblaient pourtant déjà présentes dans son esprit, mais elles ne pouvaient déboucher sur aucune décision pratique. Comme si elles n’attendaient que la présence et la disponibilité d’un adressataire pour trouver leur juste formulation et ainsi être potentiellement à l’origine d’une décision au sens fort d’une décision de vie. La seule et non négligeable singularité que j’introduisais dans cet espace de parole était la position que je représentais : celle d’être pour lui “l’étrangère”, celle qui est autre.

  1. Dans quelle mesure les outils conceptuels que sont les catégories nosographiques sont-ils transposables ?

Je répondrai partiellement à cette question à partir de deux situations cliniques qui relèvent de la névrose hystérique. Ces situations ont fait l’objet de plusieurs échanges de courrier avec le Dr Dewez à l’occasion desquels celui-ci nous a beaucoup éclairés. Je reprendrai telles quelles certaines de ses phrases.

Une plainte assez courante dont certaines patientes guinéennes nous font part est la suivante. Elles nous disent faire des “crises” sous l’injonction d’”hallucinations” verbales (parfois accompagnées d’“hallucinations” visuelles), sous l’emprise de voix qui les poussent à commettre des actes dangereux pour leur propre intégrité physique ou pour celle d’un de leur proche.

Ainsi, Lamarana Coma (14 ans) entend des voix qui lui donnent répétitivement l’ordre de se jeter dans un puit de douze mètres de profondeur. Ces phénomènes “hallucinatoires” ont déjà été suivis par un acte lorsqu’elle avait 12 ans. Les divers entretiens que nous avons eus avec elle ont révélé qu’elle avait été victime (consentante ?) d’abus sexuels de la part de son beau-frère, le mari de sa sœur. Cet homme qu’elle nous dit aimer l’aurait ensuite laissé tomber. On peut donner à cette chute dans le puit la valeur d’un “acting out” dans la mesure où, en se jetant dans le puit, elle agit le laisser tomber qu’elle venait de subir et dont elle ne pouvait rien dire.

Une autre patiente, Marama Diallo (16 ans), nous parle de ses crises dans les termes suivants. “Si j’entends le son, je fais la crise. Le son, c’est l’homme qui est en train de parler à l’oreille chez moi. Chaque jour, je vois l’homme, il est méchant, il dit : si je ne frappe pas ma mère, il va me tuer maintenant avec le couteau… L’homme est noir”. Sa mère nous confirme que “au moment où elle fait ses crises, si on ne la tient pas, elle me frappe et elle a même voulu m’étrangler. Après la crise, elle court et, quand elle se retrouve, elle revient”. Les entretiens que nous avons eus avec Mariama révèlent que ce qu’elle met en scène à travers ses crises, ce sont des préoccupations d’ordre sexuel.

  • Dans ces préoccupations, il y a des événements qu’elle a vécus : des abus sexuels dont elle a été victime à l’âge de 9 ans. Ici aussi, elle nous fait comprendre qu’elle n’a sans doute pas été “pure” victime de tels abus mais victime consentante et peut être même demandeuse. Cet engagement contradictoire de Mariama dans ces actes sexuels expliquerait qu’elle n’a pas pu simplement se plaindre de tels actes en en accusant le violeur mais qu’elle se serait retrouvée dans une situation impossible. Et si c’était cet impossible qui avait créé la maladie ?
  • Les pensées de Mariama sont envahies par des questions sexuelles. Elle nous dit avoir assisté à des rapports sexuels entre son père et sa mère, entre son frère et sa sœur, entre ses copines et des hommes. Elle nous parle également d’un homme qui la poursuit et à qui elle se refuse.
  • L’interprétation de ses propos et des attitudes qu’elle adoptait en séance ainsi qu’une certaine lecture de ses crises nous révèlent le fait que ces crises viennent exprimer métaphoriquement des fantasmes inconscients, à savoir des désirs incestueux à l’égard de son père. Le symptôme que constituent les crises serait la réponse insue à ce vœu inconscient. Ce serait en effet la nature inconsciente du désir oedipien qui aurait produit les crises, réponse éloquente mais muette à un désir ignoré. Le travail analytique serait ici de l’amener à prendre conscience de ce désir incestueux, de l’amener à découvrir dans la surprise qu’elle avait désiré cela et qu’elle ne le savait pas.

Chez ces deux patientes, les crises constituent des mises en scène de questions qui sont irrecevables dans la parole et qu’elles ne savent à qui adresser. Des événements qu’elles ont vécus, leurs questions et leurs vœux inconscients, elles ne peuvent en parler autrement qu’à travers des crises au cours desquelles elles montrent ce qu’elles ne peuvent pas dire. Et elles le disent d’autant plus mal quant à la forme (crises, énervements, agitations) que, quant au fond, elles ne trouvent personne pour recevoir ce qu’elles voudraient dire (quand bien même elles ne le savent pas trop elles-mêmes). La question est la suivante : que nous mettent-elles en scène à travers leurs crises et leurs propos fantasmatiques ? Des questions qui sont “qu’est-ce qu’être une femme ? fille de ? épouse de ? mère de ? “, c’est-à-dire les éternelles et universelles questions que pose l’hystérie.

En conclusion, je dirais que ce que la clinique, telle que j’ai pu l’approcher à Conakry, m’a appris, c’est le fait suivant. Si les grandes catégories nosographiques et les questions auxquelles elles nous confrontent me semblent être universelles, ce qui peut varier, c’est leurs figures historiques et culturelles, leurs expressions symptomatiques. »

Neuvième mission belge en Guinée (novembre 2001)

(Madame M. Gonzalez, Madame M.A. Kestens, Dr M. Dewez)

Rapidement esquissées, quelques-unes des perspectives qui s’ouvraient au seuil de cette mission :

Renforcement de l’action :

 

Poursuite des actions engagées : réunions Sa.M.O.A. hebdomadaires, intervision par e-mail, exposés par les membres guinéens à leur équipe de questions de santé mentale, stages en Belgique, présence belge en Guinée.

 

Présentation du projet aux professionnels d’autres centres de santé.

 

Atelier de trois jours en février 2002 ouvert aux professionnels des autres centres de santé à l’occasion de la tenue de la deuxième réunion du Comité Scientifique.

Concernant les centres de santé associatifs : proposition de collaboration émise lors de la réunion des « Actions Concertées » du 16 août 2001.

Concernant les centres de santé de l’Etat : souhait du Dr Namory Keita (DSVCo) d’ouvrir l’initiative à des centres de santé de la ville de Conakry.

Les centres de santé de FMG pourraient être des lieux d’initiation et de formation à la prise en charge des malades mentaux pour d’autres médecins guinéens «et surtout pour les étudiants qui sont en phase d’élaboration de leur thèse de mémoire. L’équipe Samoa pourrait même donner des thèmes de mémoire à certains internes dans les hôpitaux (avis du Dr Sow) ».

Recherche.

Collecte des données cliniques à partir de la mise en pratique d’une fiche individuelle (rédigée lors de la mission de février 2001) et publication des résultats.

Travaux d’anthropologie médicale :

– sur l’épilepsie : enquête auprès des patients, des familles et des tradipraticiens. Objectif : étudier le poids des significations culturelles que véhicule cette maladie. Le but est de proposer, au départ de ces constats, des messages non contradictoires pour améliorer le traitement.

– sur « opimo » : recherche orientée vers une pathologie : comparer l’évolution de deux cohortes de schizophrènes, l’une à Bruxelles, l’autre à Conakry.

Création d’initiatives sociales et étude préliminaire à la création d’une équipe psychosociale guinéenne à Conakry intégrée aux centres de santé.

Etude de faisabilité d’une communauté agricole pour adultes psychotiques (mission d’Anne Mathy à Conakry en octobre 2001).

Mission de Marie-Anne Kestens et Marta Gonzalez à Conakry en novembre 2001 :

– appui à la constitution d’une équipe psychosociale à Conakry intégrée aux centres de santé. 

– appui à la formation en Guinée (et ultérieurement en Belgique) d’un référent psycho-social au sein de l’équipe Sa.M.O.A..

Collaboration avec le « BIVEP » (BIen Vivre avec l’Epilepsie) et la « Ligue Belge contre l’Epilepsie ».

Création et diffusion d’un document pédagogique destiné aux patients, à leur famille, aux enseignants, tenant compte des significations culturelles de l’épilepsie en Guinée aujourd’hui.

 

Documentation

Etude préliminaire à la réalisation d’un document vidéo sur l’histoire de la psychiatrie en Guinée de 1950 à 2000 (contact pris avec l’ONG « Gaïa Vidéo » et grâce à la participation de Monsieur René Collignon, du laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (UMR 7535) CNRS / Paris X-Nanterre, Directeur de la revue « Psychopathologie Africaine » et membre du Comité Scientifique de Sa.M.O.A.).

Préparation du Comité Scientifique

Conakry, du 10 au 18 février 2002.

Mise en réseau avec des équipes de pays de la sous-région.

Contacts en cours avec le Dr Philippe BICHON de la clinique de « La Borde » (France), à l’origine de la création d’une communauté thérapeutique en Côte d’Ivoire (village de Trinlé -Diapleu, région de Man).

Au cours de cette mission, une équipe de travailleurs sociaux s’est reconnue exister dans les centres de santé. Le travail social de Mesdames Gonzalez et Kestens avec Mesdames Aïssatou Diallo et Amatigui Diallo, et Monsieur Mohamed Keita fut le départ de l’identification d’un pôle social au sein de l’équipe guinéenne, porte parole de cette dimension et interlocuteur pour les médecins des centres, les patients et les familles.

Voici le texte de présentation de l’équipe belgo-guinéenne, rédigé en préparation du séminaire qu’elle a organisé le 13 novembre 2001.

SEMINAIRE

Mardi 13 novembre 2001

DEVELOPPER UNE PRATIQUE SOCIALE A PARTIR DES SERVICES DE SANTE DE F.M.G.

Est-il utile de le rappeler, pour les travailleurs psychosociaux de « La Gerbe » engagés dans le cadre du projet Sa.M.O.A., il n’est nullement question d’importer un modèle de prise en charge psychosociale issu de notre organisation sociale.

Lorsque Joseph, Amatigui et Aïssatou sont venus à Bruxelles partager notre travail psychosocial dans des structures qui pourtant proposaient des pratiques relativement différentes, combien ont-ils été en mal de pouvoir s’en inspirer pour formaliser une pratique sociale à partir des services de santé tant la pratique sociale à Bruxelles émane d’une organisation institutionnalisée qui lui est propre.

Dès lors, un tout premier constat : une pratique sociale ou psychosociale, n’est pas une pratique transposable d’un lieu à un autre et sûrement pas d’une culture à une autre, elle ne peut s’instituer que du lieu où elle émane.

Ainsi pour illustrer ce propos, il suffit de se remémorer comment une pratique sociale est venue s’instituer dans les années 20 en Europe. 

Les troubles laissés par la grande guerre mettent à mal une population entière. 

Les ressources familiales ne suffisent plus, d’ailleurs l’organisation familiale est ébranlée par les conséquences des séparations qu’imposent une guerre, et de tout ce qu’elle induit, absence du père, enfants illégitimes, pauvreté, malnutrition, maladies, …

Naissent alors différents mouvements collectifs de solidarité, de femmes particulièrement, de milieu mieux nanti, qui décident de se mettre au service de la population et de développer des projets de prises en charge pour atténuer les maux familiaux.  Ainsi, on assiste au développement de la scolarité pour les familles démunies, assistance médicale gratuite (Croix-Rouge), campagne de prévention des maladies, vaccinations, … mais aussi une pratique d’écoute des problèmes de la population développée en Angleterre qui était le Case Work, où ces dames appelées « dames patronnesses » tentaient de comprendre les causes des difficultés sociales aux fins de mieux y répondre. 

La pratique sociale est donc née de cela, une pratique toujours en évolution, qui se transforme au même rythme que se transforme une société lorsque qu’elle progresse.

Et si une pratique sociale n’est pas transposable d’une société à une autre, sa mise en forme par contre n’échappera pas à un processus qui lui est universel :

Partir de ce que l’on est, de ce que l’on a, de ce qui fait manque, de ce qui fait mal, de ce qui n’est pas supportable, de ce qui fait défaut, ce qui ébranle les repères, ce qui menace l’organisation familiale et sociale.

Parce que l’on fait partie de cette communauté, parce que l’on est humain, parce que cela nous touche, parce que cela ne nous laisse pas indifférent mais bien loin de là, alors s’engage le désir de chacun ou de certains de se mettre au service d’un collectif pour qu’il devienne ou redevienne acteur  de changement.

Ce désir là est bien présent ici.  Nous l’avons rencontré tout au long de ces jours auprès des travailleurs des services de santé de F.M.G. 

Tout d’abord, nous avons constaté que la pratique sociale existe ici partout, elle appartient à la famille qui de rester solidaire au si profond de ses racines, reste présente pour quelconque membre en difficulté ou en souffrance. 

Mais cette pratique semble ne plus être tout à fait opérante, parce que les familles, grâce à la présence de la médecine, grandissent, et que par contre les moyens s’affaiblissent.

Par le biais des consultations médicales, les travailleurs F.M.G. sont au plus près de ce qui fait carence pour les familles : difficultés d’assurer l’hygiène auprès des enfants, malnutrition par méconnaissance de l’utilisation des ressources naturelles, conditions d’habitat difficiles, difficultés conjugales pour de multiples raisons, …

Dans leur pratique quotidienne, ils ont décidés non seulement de mettre un savoir médical au profit de l’amélioration des conditions de vie mais surtout ont-ils voulu se mettre au service de l’humain dans sa dimension sociale.

Mais, comme dirait Amatigui qui nous exposait une situation de prise en charge sociale : « C’est terrible comme ça donne mal de tête de prendre en considération la question de l’autre ».

La question de l’autre c’est d’abord l’entendre, quelle qu’elle soit, quand elle vient faire écho, quand on se dit qu’on peut en faire quelque chose, à commencer simplement par l’écouter.

Offrir une parole, s’y arrêter un temps.  Nous vous en parlions déjà dans notre rapport de février 2001.  Et de constater aujourd’hui que nous ne pouvons pas le dire autrement.

OFFRIR UN ESPACE DE PAROLE.

Pas seulement dans le cadre d’une consultation psychiatrique, une consultation SaMOA comme vous l’appelez ici, mais à partir de votre pratique de médecine générale quotidienne.  Il n’y a pas que les fous ou les psychotiques comme vous prenez l’habitude de les nommer à présent qui méritent une attention particulière, TOUTES les personnes qui franchissent la porte du centre de santé est un consultant Samoa potentiel parce qu’il ne souffre pas seulement dans son corps mais aussi dans son âme et dans sa vie.

Le travail social est là, embryonnaire, dans les mots prononcés par chaque patient, du moins par certains lorsqu’ils témoignent par exemple qu’ils ont peur pour l’enfant malade qu’ils présentent car il porte les mêmes symptômes que la mère défunte il y a quelques jours.  Et puis aussi, il y a les autres, ceux qui ne parlent pas, ou le moins possible lorsqu’ils viennent par exemple se faire diagnostiquer une M.S.T., ou alors pour ce couple jeune marié, se faire annoncer par le médecin ou la CPN, une grossesse illégitime.

Le malaise est là, aussi lourd de conséquence pour le psychotique en mal de reconnaissance sociale que pour celui qui vient témoigner de la transgression de l’organisation familiale, ou de son impossible à assurer les besoins primaires de son enfant.

Les questions sociales sont là, et elles viennent s’exprimer tous les jours dans les services, elles sont nombreuses et chacune d’entre elles, nous l’avons vu au cours des réunions de travail avec Aïssatou, Amatigui, et Mohamed Keita, mériteraient que l’on s’y arrête.

C’est ce que vous faites parfois au cours des consultations médicales (Dr Koulibali et Dr Diallo, enseignent aux mères les règles d’hygiènes et de nutrition des enfants) et puis certaines demandes qui laissent le médical sans réponse, où avec une réponse pas suffisante, sont pourtant entendues, pointées comme question sociale et fera l’objet d’une réelle prise en charge.

Amatigui et Aïssatou vont à présent témoigner de certaines prises en charge sociale

  1. Situation de l’homme pas marié qui vit avec sa sœur
  2. Situation du jeune homme qui a fait deux ans de prison suite à un accident de roulage
  3. Situation de la jeune fille fiancée à un homme qui se trouve en Suisse.  Elle est enceinte de 5 mois et veut se faire avorter.

Voilà donc ce qui témoigne qu’un vrai travail social existe à partir des centres de santé.

Ce travail doit se formaliser et trouver sa place au même titre qu’une consultation médicale.  Il doit faire l’objet d’une reconnaissance et doit s’inscrire dans un dispositif d’équipe qui ne laisse pas le travailleur seul avec le poids du malaise exprimé par la population.  Il doit donc prendre une forme qui garantisse son efficacité.

Définir cette forme, serait par exemple :

  • Désigner les personnes appelées à occuper un poste de travailleur social (2 personnes par centre par exemple pour commencer avec l’idée que tout le personnel
  • Le médecin dans le cadre de ses consultations, réorienterait auprès de ces personnes désignées les situations pour lequel le médical ne suffit pas à dépasser le malaise

Question à ce stade : Pour cibler ces envois, faut-il au préalable définir les situations qui posent le plus fréquemment problème au médical ?  Ce qui permet aussi d’offrir un cadre limité dans un premier temps pour les travailleurs sociaux débutants qui auront à développer des pratiques et des outils en regard de ces situations problématiques

  • Les travailleurs sociaux désignés, assurent le suivi de la demande, se réunissent entre eux, trouvent des pistes de réponses ensemble et construisent leur pratique pas à pas.
  • Ils font état de leur travail aux équipes médicales dans le cadre des réunions Samoa par exemple.
  • Pour que ce travail puisse se faire, il faut que le Travailleur social ait un temps de travail reconnu pour pouvoir faire ce travail et pour avoir l’occasion de se réunir avec les autres.
  • L’animateur communautaire peut être une ressource pour l’équipe des travailleurs sociaux et proposera une méthodologie de collectivisation des problématiques rencontrées.  Peut-être pourrait-il être aussi, le scribe de cette pratique nouvelle naissante.

Bien sûr tout ceci n’est que proposition de mise en place d’une pratique sociale élaborée à partir du témoignage du travail de Amatigui et Aïssatou.  Cette proposition de formalisation doit faire l’objet de vos réflexions et de vos commentaires pour pouvoir s’inscrire comme un outil supplémentaire dans votre pratique quotidienne psycho-médico-sociale.

En tous les cas, les demandes sont là, et les travailleurs sont près à devenir des travailleurs sociaux.

Alors ????

Marta et Marie-Anne

Amatigui, Aïssatou et Mohamed K.

Novembre 2001-11-12


[1]  Ce second entretien a suivi une première consultation tenue une semaine plus tôt, consultation au cours de laquelle toute la famille avait été très requise par la tentative qui consistait à retracer la genèse de la maladie.

Voici le rapport que rédigèrent les membres belges de cette équipe sociale au terme de leur mission :

RAPPORT DE MISSION SAMOA

du 30 octobre au 17 novembre 2001 

Marta Gonzalez, psychologue

Marie-Anne Kestens, assistante sociale psychiatrique,

Voilà, sûrement à votre regret car vous avez pu nous dire que vous n’aimiez pas les missions courtes, et aussi avec un peu du nôtre, parce que laisser (même si c’est pour un temps) des personnes si appréciables, nous partirons bel et bien ce vendredi 16 novembre pour rentrer chez nous.

Et vous savez, quoi, nous avons une confession à vous faire :

De repartir avec l’idée que pendant ces 17 jours nous ne vous avons pas apporté grand chose, mais par contre de pouvoir vous dire :  dans nos bagages, cette fois-ci, nous repartons avec tout ce qu’à votre contact, nous avons découvert et appris.

Rappelons-nous, le projet de cette mission ci : développer avec vous un espace communautaire de prise en charge psychosociale.

Nous vous avions soumis au préalable de notre arrivée, une proposition d’action que nous pensions réalisable à partir de ce que nous avions perçu à distance sur base des découvertes de mes précédentes missions, sur base des récits de Michel de rencontre de patients et puis aussi sur base du dernier rapport de mission d’Août 2001, qui nous engageait à le faire.

Vous avez pris le temps et la peine de nous restituer vos commentaires et impressions par courrier.  Un travail précis, méthodique, qui déjà nous faisait leçon sur une méthode dont nous aurons tôt fait de nous inspirer.

A notre arrivée, et selon votre souhait, nous avons joint nos idées et perspectives de travail aux découvertes et avancées de Anne Mathy, assistante sociale à Bruxelles dans une maison maternelle et qui elle, inspirée de son amour de la terre et de l’agriculture était venue évaluer la faisabilité d’une remise en activités des patients Samoa dans un cadre agraire.

De vous soumettre dans le cadre d’une réunion de travail du 1er novembre 2001, le fruit de notre réflexion, vous vous montrez prudents et réservés quant à la mise en place institutionnalisée d’un dispositif d’occupation des malades et surtout dans un lieu paysan à 20 km d’ici.  Votre réserve et prudence engage le projet de prise en charge communautaire à se redéfinir et à tenir compte aussi de ce qu’il se fait déjà à l’initiative des centres de santé, ainsi les ateliers graphiques pour les enfants de Carrière et l’idée d’un agencement du jardin de Dar Es Salam.  Ainsi le projet se recentre, à raison. 

Kobaya, ne reste pas un rêve mais bien une perspective de travail qui devra s’inscrire dans un processus à plus long terme.  Et dans cette orientation, le Dr Mohamed Keita, en sa qualité d’animateur communautaire, veillera à l’avancée progressive de l’exploitation de cet espace.

Il en ressort de cette réunion que le travail clinique Samoa doit permettre à présent de catégoriser les patients pour permettre d’évaluer les besoins sociaux de chacun d’eux afin de mettre sur pied des réponses collectives plus adéquates.

Le centre de Dar Es Salam n’attendra pas la réunion d’évaluation prochaine de ce développement et inspiré par le débat, instaure les lundis et jeudis, des repas collectifs patients-personnels à des fins d’évaluation des effets de la collectivisation.

A ce stade (2 semaines de pratique) cette initiative ne donne pas l’occasion d’en tirer des leçons mais l’idée est intéressante et réclame toute votre vigilance quant à ce quelle produit comme effet autant auprès des patients que de la collectivité. 

Elle nécessite aussi un suivi attentif de ce qu’elle induit en terme de moyens. 

Pendant ce temps là, les deux foutés de services, participent aux consultations médicales des trois centres et là de vous jurer que l’on en a appris.

  • Tout d’abord, de nous étonner et de nous ravir, combien le champ médical ouvrait la question du social qui était omniprésente et pas seulement auprès des patients Samoa mais aussi auprès de chaque personne ou famille venant consulter.  Ce constat fut l’objet de notre séminaire de ce mardi 13 novembre 2001. (cf. rapport de ce séminaire)  Un échange riche et prometteur d’avancées inattendues dans votre pratique de travail, nous laisse rêveuses et impatientes des poursuites de ce travail dans les mois à venir et ce même à partir de notre lieu de travail à Bruxelles « La Gerbe ».  Marta vous en dira quelques mots.
  • C’est aussi l’occasion de prendre conscience du poids de votre travail quotidien et de la question qui se pose alors de toujours venir vous en proposer davantage lors de notre passage furtif dans vos centres.  Ce constat n’a pas fait l’objet d’une séance de travail mais devra tôt ou tard, se poser et se repenser, entre vous.  N’oubliez pas que Samoa est un projet pilote qui met à votre disposition des moyens de réalisations et qu’au terme de ce projet de 4 ans, il faudra poursuivre les activités mises en place avec d’autres moyens qu’il nous restera à trouver ensemble.
  • Ce fut aussi l’occasion pour Anne Mathy, Marta et Moi d’une expérience « coup de cœur » auprès d’un enfant pour soutenir sa scolarité.  A ce jour cette modeste pensée fait l’objet d’un processus de réalisation que nous avons demandé à Docteur Sow, de bien vouloir coordonner et qui fera demain un projet de « parrainage » de scolarité d’enfants démunis.  Nous n’avons pas beaucoup de temps de développer cette question, qui s’inscrit or champ de la mission présente, mais Docteur Sow, ne manquera pas de vous la traduire.  Un document a été réalisé à cet effet.  (Voir document de projet)
  • C’est aussi un plaisir intense de partager des connaissances médicales, d’en apprendre, et je vous promets que maintenant nous pouvons diagnostiquer des palu, des IRA, des dysenteries.  Oui, mais seulement voilà, en Europe, nous n’aurons pas beaucoup l’occasion de restituer ce savoir
  • Après ce partage de savoir médico-social auprès des médecins des centres ce fut surtout aussi pour nous la rencontre avec ce que nous découvrions alors de véritables travailleurs sociaux en place dans les centres et principalement de l’exploitation des acquis de formation bruxelloise par Amatigui et Aïssatou.  Ce partage fut un véritable bonheur.

Tous ces partages nous font dire que quelque chose de nouveau vient de s’ouvrir dans les services de santé FMG.  Une véritable dimension psychosociale au bénéfice de toute la population se reconnaît, portée par de véritables agents sociaux.

Nous repartons alors avec le furieux désir de poursuivre ce partage de là où nous serons demain, à savoir le service de santé mentale « La Gerbe » et de contaminer nos collègues de ce partage.  Aussi loin que nous puissions être, nous serons près de vous pour vous soutenir et vous encourager dans cette pratique nouvelle.

Une dernière petite chose sur laquelle j’aimerais insister lourdement.  C’est le recueil de données et le maintien des outils.

Ce champ psychosocial que vous ouvrez aujourd’hui prendra toute sa valeur au fil du temps et s’annonce comme précurseur d’une formation nouvelle et de nouvelles professions dont vous êtes à ce jour les pionniers.  Il est indispensable alors de faire mémoire de tout ce que vous élaborez aujourd’hui.

Un outil particulièrement fiable car il est de votre composition est la fiche première demande qui doit permettre d’établir des statistiques.  Dois-je vous rappeler que cette fiche de demande psychosociale (proposée par Michel et moi en février 2000) est le fruit de la réflexion d’Amatigui avec nos collègues bruxellois (Joëlle Richir, Marjorie Peckel, Marie-Anne Kestens) alors qu’elle était en stage à Bruxelles.  La fiche est sans doute encore à ce jour imparfaite mais mérite que l’on s’y essaye un temps pour pouvoir correctement l’amender.

Le comité scientifique qui s’annonce pour février 2002 sera l’occasion pour nous tous de restituer le fruit de notre travail.  Cet outil statistique est donc indispensable.  Je vous le demande et insiste très fort : pensez à recenser toutes les personnes pour lesquelles une prise en charge psychosociale est assurée.  Nous sommes à votre disposition pour en assurer le comptage statistique.

Beaucoup de choses encore à relater de cette mission mais il est temps maintenant de passer la parole à ma partenaire de travail.

La première fois que j’ai entendu le Dr Sow s’étonner du peu de participation de l’équipe « Gerbe » au projet Sa.M.O.A., ce fut lors de son premier séjour à Bruxelles en décembre 2000.

Aujourd’hui Docteur Sow, vous nous demandez de dire quelque chose sur les effets que produit en chacun d’entre nous « l’expérience » Sa.M.O.A.

Permettez-moi d’en dire quelque chose.

Elle a eu des effets importants tant sur le plan personnel que professionnel.

Je ne vais pas vous en dresser le tableau complet, il serait trop long et n’aurait pas sa place ici mais juste ceci :

Cette expérience m’a rapproché de ma famille, de mes origines, de mes traditions « méditerranéennes »

Bref, elle a réveillé beaucoup de souvenirs, d’émotions en moi et le sentiment de m’être réveillée.

Oui, réveillée est le mot juste.  De m’être réveillée m’a permis de penser à chacun et chacune de mes collègues à Bruxelles et d’avoir des hypothèses de réponse par rapport à la question du Dr SOW énoncée à cette époque.  Je n’en retiendrais que deux.  Celles qui me semblent essentielles et les plus pertinentes par rapport au projet :

  1. C’est qu’il extrêmement difficile, voir impossible de se représenter tout ceci, c’est à dire le travail que vous réalisez ici dans le contexte social, économique, culturel, traditionnel guinéen.

Et bien que mes collègues, ceux qui ont partagé cette expérience ici en Guinée, ont à leur retour à Bruxelles, témoigné de cette expérience, de leur rencontre, de votre travail, de leur travail, bref, du désir qui les anime de collaborer à ce projet, nous là-bas, nous n’arrivions pas à nous amarrer à ce désir. Car nous ne pouvions avoir qu’une position d’écoute passive.

C’est ma première hypothèse et celle-ci m’amène à

  • la deuxième hypothèse qui est que cette position d’écoute PASSIVE est liée à ce qu’aucun DISPOSITIF FORMALISE, INSTITUTIONNALISE, n’a été mis en place à « La Gerbe » pour permettre à ces « écouteurs » PASSIFS de devenir ACTEURS à part entière dans ce travail de collaboration entre « La Gerbe » et FMG et ce indépendamment du fait que les travailleurs Gerbe, soient venus ou non fouler les sol guinéen.

Dès lors, mon souhait aujourd’hui, de partager ces constats avec mes collègues de « La Gerbe » pour qu’ENSEMBLE  nous puissions élaborer et mettre en place un dispositif Gerbe connecté au dispositif FMG pour donner tout son sens au projet Sa.M.O.A..

Cela pour que chaque expérience vécue sur le terrain ne reste pas uniquement une expérience individuelle et donc abstraite pour les autres, ceux qui n’ont pas encore eu le plaisir de venir ici.

Un dispositif qui nous permettrait non plus, de centraliser le travail chez l’une ou l’autre personne mais d’en faire un réel travail entre deux équipes : FMG et « La Gerbe ».

Merci à vous tous.

 Cette mission fut également l’occasion de rencontrer le Dr Philippe Bichon et son équipe au village de Trinlé-Diapleu.

Le Dr Philippe BICHON de la clinique de « La Borde » (France), à l’origine de la création d’une communauté thérapeutique en Côte d’Ivoire (région de Danané.)

Voici le texte de présentation du centre de santé Victor Houali qu’il nous a adressé :

« LE CENTRE DE SANTÉ VICTOR HOUALI est situé à I’ ouest de la Cote d’Ivoire, dans la région de Man, en pays Yacouba. Inauguré en 1996, ce centre accueille des patients présentant des troubles psychiatriques, mais assure aussi quotidiennement des soins de santé primaire pour les habitants de Trinlé Diapleu et des villages avoisinants.

HISTOIRE DU CENTRE DE SANTÉ

Présenter   le   centre de santé   Victor Houali impose d’abord d’en raconter brièvement, et donc schématiquement, l’histoire : celle d’une rencontre et de cheminements personnels et surtout associatifs, des liens qui se sont tissés depuis plus de quinze ans, entre des soignants et des patients de la clinique de La Borde et les habitants du village de Trinlé Diapleu, situé en pays Yacouba a l’ouest de la Cote d’Ivoire.

Point de départ de cette  » aventure « , la clinique de La Borde. La psychothérapie institutionnelle est au centre des soins qui y sont dispensés. En 1984, un cuisinier de la clinique, Michel Blonde, décide de repartir en Cote d’lvoire, pour retourner dans la région de Man, qu’il a quittée à l’âge de dix ans. Trinlé Diapleu est le village de son père : un village Yacouba, situé en brousse le long d’une piste a 4 Km de la route, avec un millier d’habitants, majoritairement des planteurs de café et de cacao. Afin de maintenir les liens entre lui et tous ceux qu’il laisse à la clinique, afin de l’aider à soutenir son projet d’aide au développement de son village, Trinlé Diapleu, une association 1901 est créée : « La Borde Ivoire ». 

A l’occasion d’un premier séjour a Trinlé Diapleu en 1983, le docteur Philippe Bichon, très sensible aux traditions d’accueil qu’il y découvre, et qui évoquent de nombreuses similitudes avec les principes de la psychothérapie institutionnelle, conçoit l’idée d’organiser un séjour pour des patients hospitalises durablement a La Borde. C’est ainsi qu’un jumelage est instaure avec l’association ATDL (Amitié Trinlé Diapleu La Borde), qui regroupe les villageois intéressés par ce projet.

Une relation faite d’échanges culturels, d’investissements personnels, et de relations d’aide réciproques. Des soins médicaux sont dispenses aux villageois qui eux, accueillent et accompagnent les patients de la clinique.

Les aides matérielles apportées, modestes mais régulières, sont gérées collectivement par les villageois, par l’intermédiaire de l’ATDL.

Et les voyages s’organisent, dans les deux sens : chaque hiver depuis 1986, une délégation de La Borde composée de cinq patients, d’au moins un médecin et des soignants de la clinique passe trois semaines au village, tandis que chaque été, un et parfois deux villageois viennent en stage de trois mois a la clinique.

Après une période d’apprivoisement de 1983 a 1986, suit une période d’installation de 1986 a 1989, avec la construction progressive des cases du « quartier de La Borde  »  (ou habite la délégation et où s’organisent, pendant les séjours, les consultations médicales) et avec surtout la consolidation de l’ATDL, structure associative sans cesse en évolution, empruntant autant aux principes de l’autogestion et de la psychothérapie institutionnelle, qu’aux traditions Yacouba avec, en particulier, la place spécifique accordée aux Vieux Sages.

En 1989, pour la première fois, le village nous confie la prise en charge psychiatrique d’une jeune femme très délirante, Jeannette. La « réussite  » de cette prise en charge a certes reposé sur la prescription de neuroleptiques, mais aussi sur un travail de re-accueil auprès de la famille et du village, et sur le suivi de Jeannette par le groupe qui s’occupait des malades blancs. Et de fait, à notre retour, six mois plus tard, Jeannette va bien et d’autres malades se présentent pour des soins psychiatriques.

Cette période a été le début d’un travail qui se poursuit depuis et qui nous a conduit, a partir de 1992, à envisager concrètement et surtout collectivement la construction du centre de santé. Du fait de l’efficacité des prises en charge, la demande de soins psychiatriques à Trinlé Diapleu est devenue de plus en plus importante. C’est ce qui nous a conduits à élargir le projet de dispensaire médical d’origine, vers la structure de centre de santé actuelle.

En décembre 1993, les Vieux Sages de l’ATDL sont allés chercher une pierre dans l’ancien village, maintenant envahi par la forêt. Le rituel de la pose de cette première pierre a lance le chantier de construction. En mars 1996, les Vieux Sages y sont retournés chercher une branche d’un arbre très robuste, pour les funérailles de Victor Houali Ben Mussa.

Victor est mort à Trinlé Diapleu, brutalement, deux heures après notre arrivée au village.

C était son sixième voyage, en cette année 1996, celle de l’inauguration du centre de santé.

Une psychose gravement déstructurante n’avait pas réussi à écraser l’homme extraordinaire

d’intelligence, d’humour et surtout d’humanité qu’était Victor. Sa rencontre avec le village avait été pour lui déterminante, seul lien avec les autres, avec la vie, quand il sombrait dans des périodes de grave dissociation. C’est au village que nous avons tous ensemble et selon la tradition, accompagne Victor dans ce passage vers « le monde des ancêtres », avec son prénom africain, Houali, caché jusque-là dans son passeport et révélé, comme chez les Yacouba, au moment de sa mort. Une semaine plus tard, la cérémonie traditionnelle du « septième jour »

a coïncidé  avec l’inauguration officielle du centre de santé par les autorités ivoiriennes.

Les Vieux Sages, lors de leur discours, ont donné son nom au centre de santé.

En mars 1997, un rituel du souvenir s’est tenu autour de  » l’arbre à Victor « . Ce jour-là, le centre de santé était électrifié. Une semaine plus tard, il fonctionnera à temps plein, avec une capacité d’accueil de dix patients hospitalisés.

CONSTRUCTION DU CENTRE DE SANTÉ

La conception architecturale : les plans du centre de santé ont été pensés collectivement, au cours de réunions de l’ATDL. Nous avons surtout insisté sur la nécessité de respecter la structure traditionnelle de l’habitat Yacouba, avec des cases regroupées autour d’une cour et d’un apatam, avec des espaces privés et des espaces collectifs et ouverts.

Cette insistance venait de l’expérience de notre intégration progressive dans la communauté villageoise, et des effets (que nous avions repérés sur nos patients et sur les malades ivoiriens accueillis au début dans notre quartier) liés à l’agencement de cet espace : convivialité et partage de la vie quotidienne, et surtout liberté de circulation. En effet, dans un village Yacouba, il n’y a pas de clôtures, chacun peut aller et venir librement, traverser la cour des voisins : cela occasionne de nombreux échanges, des possibilités de rencontres qui permettent de tisser des liens avec des patients isolés et souvent rejetés du fait de leur étrangeté, de leur bizarrerie.

Le centre de santé est donc intégré dans la communauté villageoise comme tout autre quartier.

Il se divise en deux espaces contigus, auxquels s’ajoute le logement de l’infirmier :

– la partie accueil consultations est constituée d’une case de consultation psychiatrique, d’une case de consultation médicale, d’un apatam salle d’attente, d’une case pour les soins infirmiers et le laboratoire, et d’une case pharmacie.

– la partie hospitalisation est constituée de trois cases d’hospitalisation (pouvant chacune accueillir, dans deux chambres, trois patients et leurs familles), d’une case cuisine collective, et d’un apatam de repos, ainsi que des deux cases rondes de la maternité.

La construction du centre a été financée sur trois ans par La Borde Ivoire, et a été réalisée par l’ATDL qui a organisé des chantiers collectifs avec les villageois, et emploie certains d’entre eux. Une occasion pour compléter et diffuser des savoirs faire dans les métiers du bâtiment.

Cela s’inscrit dans le souci constant de La Borde Ivoire de favoriser des alternatives aux départs vers la ville. Le coût du chantier s’est élevé à 150 000 F, pour une surface totale habitable de 500 mètres carres, avec des couvertures en tuiles. Toutes les ressources de l’association La Borde Ivoire proviennent de dons des familles des patients et des amis de la clinique de La Borde, et surtout des bénéfices des ventes aux enchères de masques et statuettes achetés en Cote d’lvoire. En comparaison, le coût d’un dispensaire type construit en Cote d’lvoire, est de 120 000 F pour 200 mètres carres, avec couverture en tôle et espace referme sur lui-même. 

FONCTIONNEMENT DU CENTRE DE SANTÉ

L’équipe rassemble des jeunes du village, formés tout au long de ces années de jumelage. Leur fonction : dispenser des soins médicaux aux villageois des environs dans l’attente de l’affectation d’un infirmier d’État, assurer l’accueil des matrones dans les deux cases de la maternité, et organiser des soins psychiatriques pour les habitants de la région (hospitalisation et suivi au long cours) sachant que la seule structure médicale de soins psychiatriques est située à l’hôpital de Bingerville, près d’Abidjan, à plus de 600 Km de là. La structure associative qui gère le centre de santé est constituée d’un conseil d’administration, regroupant La Borde Ivoire, I’ATDL, le MUDEVTD (association des fils du village, qui travaillent à Man et à Abidjan) ainsi que les autorités sanitaires : le médecin chef du district de Man, pour la partie médicale et le médecin chef de l’hôpital psychiatrique de Bingerville. A ce propos, depuis 1992, un jumelage entre l’association culturelle de la clinique de La Borde et celle de Bingerville permet un travail en synergie autour des soins psychiatriques à Trinlé Diapleu.

Ce conseil d’administration est un équivalent, dans la structure traditionnelle, d’un Conseil des Sages. Il confie la gestion quotidienne du centre à trois instances : le comité de gestion, responsable de la dimension économique; le comité médical qui assure le suivi des patients; et le comité « emploi du temps» qui organise la présence des travailleurs afin d’assurer la continuité des soins, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.

Le personnel du centre de santé est constitué d’une équipe de quinze villageois, qui ont été formés depuis 1983 par des médecins de La Borde, au cours de leurs séjours à Trinlé Diapleu (un séjour de trois semaines par an jusqu’en 1989, et deux séjours par an depuis lors.)

Parmi eux, quatre ont participé activement aux soins et consultations médicales, bien avant la construction du centre, ce qui leur permettait d’assurer en notre absence des soins de santé primaire. Les autres ont assuré depuis 1985 l’accompagnement et la prise en charge des patients de La Borde lors de leurs séjours, et depuis 1989, celui des patients psychiatriques ivoiriens.

Leur fonction est celle « d’accompagnateurs « . Pour compléter leur formation, des groupes de travail sont organisés lors de chaque voyage, et des séjours de trois mois de stage à la clinique de La Borde ont été effectués par la majorité d’entre eux. Par ailleurs, depuis 1993, chaque stage a La Borde est précédé d’un stage d’un à deux mois à l’hôpital psychiatrique de Bingerville.

Le fonctionnement au quotidien du centre de santé est assuré par quatre personnes à temps plein qui s’occupent de la consultation médicale, de la consultation psychiatrique, des soins infirmiers et de la pharmacie. A ce groupe s’ajoutent deux personnes de l’équipe d’accompagnateurs qui travaillent par roulement pour assurer l’accueil des patients et de leur famille. De plus, un autre membre de l’équipe d’accompagnateurs assure l’animation de la partie hospitalisation. La mise en route du laboratoire impose aussi un poste à mi-temps. Au centre de santé, l’accueil est un principe de base : un patient qui arrive à la consultation doit être accueilli comme un « étranger » qui arrive en visite, c’est-à-dire qu’on lui apporte de l’eau à boire avant de lui demander les nouvelles.

Les consultations médicales, dans l’attente de la nomination d’un infirmier par le Ministère de la Santé, sont assurés par Joachim Dion, qui, depuis 1989, participe activement aux consultations médicales assurées deux fois par an pendant trois semaines par les médecins de La Borde Ivoire. Il travaille en relation étroite avec l’équipe du centre de santé urbain de Logouale, situe à

15 Km, et, depuis 1998, le docteur Acho vient chaque semaine assurer une consultation et poursuivre la formation.

Les malades peuvent acheter à la pharmacie du centre les médicaments, auprès de Julie Oulai, responsable de la pharmacie. C’est à chaque fois l’occasion de renouveler des conseils sur l’observance des traitements. Les médicaments proviennent en partie de dons laissés par

La Borde Ivoire, et du circuit d’approvisionnement en médicaments génériques du système de Santé ivoirien, qui sont, depuis les accords avec la CEE, en 1989, d’un prix accessible pour la majorité des villageois. Les dons permettent d’assurer un traitement gratuit aux personnes très démunies.

Les consultations psychiatriques sont assurées par César Troh Komi, Boniface Kabayou et Philippe Bleu. Dès 1989, ils ont assuré le suivi psychiatrique des premiers patients ivoiriens qui nous ont été confiés. A ce moment-là, il a été nécessaire d’organiser un deuxième séjour annuel, sans les patients de La Borde, afin de pouvoir superviser le suivi des malades psychiatriques conduits par cette équipe. La formation psychiatrique s’est faite de manière interactive avec eux qui, en tant qu’interprètes, nous ont initiés aux rituels et aux coutumes de la culture Yacouba et des populations environnantes. Ces échanges constituent un appui indispensable à la démarche diagnostique et au cheminement thérapeutique.

La majorité des patients reçus présente des troubles graves du comportement, en rapport avec des décompensations psychotiques pour lesquels les tradithérapies ont échoué. Parmi les guérisseurs traditionnels, très peu sont, dans la région, spécialisés dans les soins des troubles psychiques. Notons ici que les Yacouba sont en majorité animistes ; mais le centre reçoit des patients appartenant à d’autres ethnies, et dont les croyances religieuses sont différentes (musulmans et chrétiens). Les représentations culturelles des troubles mentaux sont explorées et prises en compte, mais varient selon les familles.

LES HOSPITALISATIONS PSYCHIATRIQUES

La mise en route des traitements psychiatriques nécessite en général une hospitalisation. Avant la création du centre, les malades et leur famille étaient accueillis au sein du village par des parents éloignés ou par les familles de certains accompagnateurs. Toute cette période a permis de travailler la tolérance et l’accueil du village dans son ensemble à l’égard des malades mentaux ivoiriens, dans la continuité de l’accueil réservé aux patients français.

L’organisation de la vie quotidienne doit tenir compte de l’accueil des patients et des membres de la famille qui obligatoirement les accompagnent.

L’ensemble des travailleurs du centre de santé, y compris l’équipe du jardin poulailler, est considéré comme ayant une fonction soignante. Ils se réunissent un soir par semaine pour travailler, avec le comité médical, sur des monographies et sur les ajustements des prises en charge en cours.

Une autre soirée est consacrée à la gestion collective du centre, dans sa dimension économique et dans le champ de l’ambiance, dont on connaît la place centrale dans le soin. Ces réunions, indispensables à la mise en place d’une autogestion et à la transparence des comptes, permettent d’assurer des « gardes fous  » vis a vis de la problématique des détournements et de la corruption.

En octobre 1997, au cours d’une réunion avec les patients psychiatriques hospitalisés, leurs familles, les accompagnateurs, et nous-mêmes, a émergé la nécessité de créer une structure de type club thérapeutique  » le Kolokota», qui signifie en Yacouba « main dans la main ».

Tous les matins, I’ensemble des  » habitants  » du quartier Victor Houali se rassemble pour se donner les nouvelles du jour, le  » kwamam» en Yacouba. C’est l’occasion d’organiser pour chacun le programme de la journée (préparation du repas, ménage et entretien du quartier, participation aux activités…)

La durée moyenne d’hospitalisation est d’un mois. Afin d’assurer un suivi au long cours des patients psychotiques, des consultations soins ont lieu au moins une fois par mois : ils sont reçus par un membre du comité médical en consultation, ils peuvent recevoir l’injection de leur neuroleptique retard, et être accueillis pour la journée ou pour quelques jours, par le Kolokota. Pour certains patients qui s’investissent beaucoup dans la vie du village, mais qui ne sont pas encore prêts à retourner chez eux, une hospitalisation de jour est possible.

Les patients et leurs familles peuvent alors résider chez des villageois ou dans le quartier La Borde que nous mettons à leur disposition. L’intégration des patients psychiatriques dans le village s’en trouve consolidée. Pour les patients qui viennent des villages de la région proche, des  » visites a domicile » sont organisées, afin d’assurer le suivi régulier du traitement et de travailler, avec le groupe familial élargi, la tolérance aux difficultés résiduelles des patients.

Cette expérience qui tente d’articuler les soins de santé mentale et les soins de santé primaire dans une structure villageoise, s’appuie sur une démarche de recherche action qui tente d’intégrer l’expérience de la psychothérapie institutionnelle, le bénéfice des chimiothérapies occidentales et le contexte socioculturel africain.

Nous avons à coeur qu’elle puisse se poursuivre, et nous envisageons donc de créer en France une  » association de soutien du centre de santé Victor Houali  » afin de récolter des fonds permettant d’assurer son budget de fonctionnement.

ÉTAT DES LIEUX DU CENTRE DE SANTÉ EN AVRIL 2000

La croissance progressive de la demande de soins psychiatriques se fait très nettement sentir d’une année sur l’autre. C’est ainsi que l’on est passé de 1996 à 2000 de 600 journées annuelle d’hospitalisation (1,8 patient /jour) à 1730 journées (5 patients/jour).

Cette croissance a nécessité l’augmentation du temps de présence des travailleurs qui sont passés de 5 équivalents temps plein à 9 ¼. Seul parmi ces 4 temps plein, a été affecté à la partie médicale ¾ temps laboratoire et ¼ temps pharmacie. La partie psychiatrique a nécessité trois temps-pleins de travail en plus.

Accélération de la formation psychiatrique avec mise en place de dossiers psychiatriques pour chaque patient hospitalisé ou suivi en ambulatoire. Pratique qui a commencé dés le début des soins psychiatriques en 89 mais qui s’est beaucoup affiné au cours des années. Au total plus de 450 patients sont passés au centre de santé depuis cette date. En 99 nous avons fait un travail de recueil de données  à partir d’un certain nombre de critères tels : l’âge, le sexe, l’origine, le domicile, la symptomatologie à l’entrée, l’hypothèse diagnostic, le traitement de sortie. Une synthèse de ce travail se trouve en annexe.

Agrandissement de la capacité d’accueil avec la construction de 4 chambres d’hospitalisation psy en plus des 6 autres. Parmi ces 6 premières chambres, 3 étaient à deux lits, ce qui représentait 9 chambres d’hospitalisations. Cependant le logement de l’infirmier servait, avant sa nomination, de chambres d’appoints, ce qui permettait de ne laisser qu’un patient avec sa famille dans les chambres à deux lits.

La capacité était donc de l’ordre de dix cases d’hospitalisation. La construction de ces quatre chambres permet juste de maintenir la capacité d’accueil, le logement de l’infirmier n’étant plus disponible. Il est prévu d’ajouter quatre nouvelles cases dans l’extension qui a débuté par quatre chambres. La capacité passant à 17 places et 14 cases d’hospitalisation psychiatrique. Un autre terrain dans l’enceinte du centre est prévu pour une autre extension de 8 à 11 cases

d’hospitalisation. La capacité pourrait ainsi passer à 25 cases d’hospitalisation d’ici quelques années.

Développement du quartier artisanal avec la mise en place :

– d’une tuilerie

– d’une menuiserie

– d’un atelier cuir

– d’un atelier couture

qui sont construits dans l’enceinte du centre de santé dans sa  partie artisanale, dont le but est à la fois le développement d’activités artisanales dans le village et aussi d’élargir les potentialités d’accueil et de soins des malades et de leur famille. Ainsi cinq villageois font partie de l’équipe du centre dans un statut de contractuels non rémunérés mais bénéficiant d’un outil de travail qui leur est mis à disposition en échange d’engagement dans l’équipe et donc dans l’accueil des malades. L’investissement immobilier et d’outillage est de l’ordre de cinq millions FCFA pour cette seule partie.

Projet de statut d’entreprise à caractère social a débuté avec la demande de reconnaissance de ce statut aux impôts. Ceci afin de développer le quartier artisanal dont les bénéfices seraient utilisés pour assurer une partie du fonctionnement du centre de santé. En effet une activité médicale ne peut pas être rentable. Il est donc important de mettre en place une possibilité d’autofinancement. Un magasin d’alimentation a donc été ouvert depuis le mois de novembre. Il a permis d’assurer un travail rémunéré à mi-temps, sur le salaire de base actuel de trente mille francs par mois, pour un villageois et de dégager un bénéfice de cinquante mille francs par mois. Ceci n’empêche pas de continuer de s’appuyer sur des subventions extérieures.

Projet de convention avec le ministère de la santé afin que la structure mise en place reste privée, associative à but non lucratif et que l’association Victor Houali garde la direction de cet établissement complexe qui essaie depuis bientôt vingt ans d’articuler le développement d’un village, les soins médicaux, les soins psychiatriques, les activités artisanales. Cette expérience très originale peut d’ailleurs servir de référence au développement du secteur psychiatrique rural et à la nécessaire décentralisation des soins psychiatriques en Cote d’Ivoire. »

Voici le rapport que rédigea le Dr Sow après notre visite :

Mission Samoa en Côte d’ivoire

Près de 2600 Km (aller-retour) ont été parcourus entre le siège du projet Samoa dans le quartier « Minière » (ville de Conakry) à 20m du littoral  ( océan atlantique) et le village de Trinlé –Diapleu dans la région de Man en côte d’ivoire.

Voyage très stressant pour les uns car c’est leur première fois de parcourir une telle distance par véhicule, voyage de souvenir pour certains qui revoient un paysage qu’ils avaient quitté depuis des années, voyage d’avenir pour d’autres qui espèrent tirer des enseignements promoteurs et voyage de découverte pour tous ceux qui n’avaient de l’ambition que d’échanger  leurs expériences avec des collègues jusque là connu qu’à travers l’avancée de l’informatique « le courrier électronique ».

De Conakry à Trinlé-Diapleu, nous avons rencontré à chaque 5-10 km des forces de sécurité qui du reste nous ont facilité le parcours en nous demandant par ci et par là des papiers du véhicule, nos pièces d’identité et les objectifs de notre « aventures ». Ces multitudes de points de contrôle nous ont rassurés de la volonté des responsables des deux pays d’assurer à leurs concitoyens une quiétude et la sécurité dans leur mouvement.

Durant le parcours qui à un moment donné est devenu très stressant à cause de « l’euphorie » du chauffeur qui n’avait le seul souci que d’arriver rapidement dans un lieu qu’il ne connaît même pas la distance. Nous avons vu un joli paysage, des villes calmes et parfois désertes de toute nourriture (la mission a coïncidé aux 4 premiers jours du mois de Ramadan), les villages et villes complètement détruites par la folie humaine (incursions des rebelles léonais et libériens), des hommes et femmes qui ont de l’espoir à l’avenir, des bonnes pistes qui déversaient de l’adrénaline dans les muscles de notre chauffeur mais aussi des mauvaises pistes qui alertaient les passagers.

Sur les 96 heures qu’a duré la mission, nous avons passé plus de la moitié dans le véhicule d’où l’importance que les acteurs du projet Samoa réservaient à cette mission.

De Conakry à Trinlé –Diapleu en passant par Kindia, Mamou, Faranah, Kissidougou, Gueckedou, Macenta, N’zérékoré, Lola (en Guinée ), Danané, Man ( en côte d’ivoire), l’équipe n’avait qu’un seul souci «ce que cette mission doit l’apporter ».

Le voyage n’a pas été inutile, loin s’en faut, les curiosités ont été satisfaites.

La mission nous a permis de voir une autre dimension de notre travail au quotidien, de nos ambitions, de nos espoirs ; elle nous a permis de trouver une source d’inspiration pour nos démarches futures et notre degré d’appréciation des faits.

A.    Objectif de la mission

A travers des messages mails, nous avons été motivés et animés de voir une initiative qui se déroulent tout près de nous et qui valorisent des hommes et femmes de toute une contrée « les patients et les auxiliaires de la santé ».

L’objectif de la mission s’inscrivait dans le cadre d’échange d’expériences entre le centre de santé Victor HOUALI de Trinlé- Diapleu en  côte d’ivoire et le projet Samoa en Guinée.

B.    Objectifs spécifiques

  • prendre connaissance d’autres initiatives communautaires en matière de prise en charge de la maladie mentale
  • identifier les domaines de collaboration avec des collègues ivoiriens
  • s’inspirer du modèle rural de prise en charge des malades mentaux pour une action similaire future

C.     Déroulement de la mission

Accueilli à Trinlé-Diapleu par les habitants du village ce dimanche 18 novembre 2001 à 15 heure heures locales, l’équipe belgo- guinéenne a été directement conduite sous l’apatam du docteur Bichon . Les salutations d’usage ont précédé la présentation des deux équipes.

L’équipe a été ensuite accompagnée au niveau du centre de santé avant d’être présentée à la communauté (patients- parents- travailleurs) du centre. Cette visite permettra aux étrangers de confronter leur lecture à la réalité du terrain qui sera renforcée le lendemain par sa participation aux différentes activités du centre.

Au retour sous l’apatam, les premières impressions et questions se sont échangées entre les deux équipes. C’était la rupture du jeun pour les guinéens et le souper pour le belge.

Ce repas en communauté, nous a rappelé nos habitudes dans nos villages respectifs ( dans une case, sous les arbres, dans la foret, au près des grottes…)

  • Dr koulibaly s’est rappelé de son village de «  Guilleré » Boké , une ville à 300 Km de Conakry
  • Dr Sow s’est rappelé de son village « mobile »  (Dr Sow est issu d’une famille nomade de bouvier), installé à 150 Km de Conakry
  • Mr Alhassane Bah s’est  quant’ à lui rappelé de son enfance dans un village de Pita à 400 Km de Conakry.
  • Dr Michel, de quoi s’est il rappelé précisément,boulevard, Rue, Avenue,…peut être village ou ville ?

Après ce repas, il  a été question de loger les hôtes. Comme dans certains villages en Guinée chacun est mis sous couvert d’un tuteur.  Nous nous retrouvons chez quatre tuteurs accueillants autant que les travailleurs du centre de santé Victor HOUALI. Les guinéens se sont vus dans leur village à la seule différence il y’avait là de l’électricité. Sommeil profond comme « la journée qui suit la première nuit de noce » nous disait un jour un vieux comédien.

Le matin, l’équipe se retrouve sous l’apatam du Docteur bichon et ses pensionnaires pour le petit déjeuner.

Apres quelques minutes d’échanges, le travail commence au centre de santé Victor Houali (visite des différents services et locaux du centre, participation aux réunions et activités quotidiennes du centre).

A 13 heures, c’est l’heure du déjeuner et du débriefing  suivi à 15heures du départ de l’équipe pour le retour à Conakry.

Parallèlement la mission vient de retrouver une petite communauté « guinéenne » dans le village bien familiarisée aux habitants du village à notre grande estime.

Compréhension du village, ses habitants, ses activités et ses acteurs :

Trinlé Diapleu est un village qui regroupe deux petits villages séparés par une route ( Trinlé d’un côté et Diapleu de l’autre). Une population de 1500 habitants environ en majorité de l’ethnie Yacouba.

Les activités sont principalement axées sur l’agriculture (cacao, café…) et à faible proportion le petit commerce.

Plusieurs activités sont développées au sein des organisations de la société civile (groupements de femmes, associations des jeunes, ONG locales…).

Le Centre de santé Victor Houali est l’une des fiertés du village. Il est l’œuvre d’une collaboration entre un hôpital psychiatrique français et le village de Trinlé-Diapleu. Il comprend une partie de médecine générale et une partie de psychiatrie. Le centre est soutenu par l’équipe du Dr Bichon depuis sa création. Il est géré par une équipe composée des habitants du village sous l’œil vigilant de Dr Bichon.

La particularité du centre est le profil de son personnel, les services offerts et le système de son fonctionnement.

Il est composé en totalité d’un personnel non diplômé (jeunes du village formés sur le tas) du coté psychiatrique et d’un infirmier diplômé qui n’a pris service que plusieurs années après la création du centre.

Les activités sont de plusieurs ordres :

  • soins aux malades psychiatriques (médicaments, hospitalisations, suivi ,écoutes, vie de famille…)
  • développement du village (présence d’une boutique, des ateliers d’apprentissage et d’offre de services)
  • soins à tout patient  (maladies courantes, accouchements…..)
  • emploi des jeunes du village

Parlant des activités au niveau du centre, la mission a participé à:

  1. la réunion du matin communément appelée   « KWAMAN » qui signifie dans le jargon de la contrée « les nouvelles ».

Cette réunion très impressionnante, regroupe les travailleurs du centre, les patients psy et leurs familles ainsi que les pensionnaires quand ils sont présents et pour la circonstance les étrangers que nous sommes).

La parole est donnée à chaque participants qui donne ses nouvelles de la nuit (comment tu as passé la nuit ?, qu’est ce qui s’est passé ? comment tu te sens aujourd’hui ?, qu’est que les soignants ont constatés ?, qu’est ce qui a changer depuis l’arrivée ?, qu’est ce qu’il faut faire ?, avez vous bien dormi ?…) sont parmi les plusieurs questions qui sont posées au cours du «  kwaman. ».

Il y’a d’autres espaces de rencontre dans le centre que nous n’avons pas eu la chance de participer à cause de la brièveté de notre séjour). Il s’agit de « KOLOKOTA » ou « mains dans les mains », de la réunion médicale et de la réunion de coordination.

  • la consultation des patients  (première demande et suivi) . Nous avons pu apprécier :
  • les efforts fournis par  l’équipe soignante pour que chaque patient ait un dossier individuel au niveau du centre.
  • la qualité des questions posées par l’équipe soignante et la justesse d’analyse des récits des patients
  • la qualité de l’organisation du travail au sein du centre
  • l’immersion de l’équipe française dans le débat « africain » où on parle des sorciers, des mauvais sorts, de jalousie, de cultes…
  • l’importance que l’équipe soignante accorde au suivi des patients et à leur réinsertion dans la société
  • le degré de valorisation que l’action apporte à l’équipe soignante

Ce qu’il faut retenir du centre Victor HOUALI, c’est sa propriété, la qualité de son architecture  qui s’adapte à l’infrastructure du village (les villageois ne se sentent pas dans un quartier luxueux européen implanté dans un bidonville, comme on le voit dans les grandes villes africaines), sa vie communautaire (caricature de la vie familiale dans un village) et la qualité de l’accueil des travailleurs  (image de l’épopée mandingue).

Impressions et leçons tirées

Mission très courte , elle nous a permis d’apprécier le travail initié depuis un vingtaine d’années ; un travail communautaire qui a connu plusieurs étapes d’évolution, un travail d’équipe au vrais sens du mot où la parole est donnée à chacun, où les idées de chacun sont prises en compte et bien exploitées, un travail innovant où « un diplômé devient collègue d’un diplômé », un travail valorisant où l’habitant d’un village voit son enfant rehaussé sans se rendre dans une grande ville, un travail difficile où le conflit de compétence bouscule parfois les initiatives, un travail  mobilisateur où les habitants de tout un village sont impliqués et participent activement  aux activités, un travail novateur où des professionnels viennent s’inspirer tel était notre cas, un travail de longue haleine où chaque jour il faut s’attendre à des surprises, un travail de recherche où chaque jour on est  en quête  des nouvelles approches, un travail de sagesse où il faut  en permanence manager les successibilités, un travail de diplomatie où ils faut conjuguer aux bons temps et aux meilleures personnes des notions culturelles, un travail contraignant où il faut renforcer la collaboration nord-sud mais aussi  et surtout un travail passionnant où il faut atteindre les objectifs.

D.    Recommandations

Loin de faire des recommandations issues d’une évaluation que nous n’avons pas prétendu faire, nous avons jugé nécessaire de faire ressortir certains aspects qui s’ils sont retravaillés pourront améliorer le résultat du centre.

  • Le centre pourrait trouver des approches de mobilisation de ressources qui lui permettra de recruter son propre personnel médical  diplômé pour éviter d’inhiber les initiatives qui ont prévalu à la création du centre.
  • De chercher un statut (auprès des autorités sanitaires du pays) de centre de santé associatif dont l’Etat n’intervient qu’à titre de superviseur pour améliorer la qualité des services et des soins offerts
  • D’identifier des stratégies d’implication de toute les couches de la population du village plus particulièrement la couche intellectuelle
  • De créer d’autres activités dans le village qui peuvent subventionner les actions sociales du centre
  • De formaliser un espace de dialogue entre tous les acteurs du centre de santé (travailleurs, sages, intellectuels, femmes, jeunes et autorités de la santé)
  • D’ouvrir un espace de formation en psychiatrie communautaire pour les étudiants et professionnels de la santé
  • D’impliquer l’Etat et les institutions d’aide par la subvention des activités qui ne gênèrent pas de revenus

E. Perspectives

Il s’agit des perspectives de la mission belgo -guinéenne.

Compte tenu de la pertinence de l’initiative à Victor Houali et de son impact  future  sur la stratégie dans le projet Samoa, nous espérons dans les mois avenirs que le centre de santé Victor Houali accueillera des professionnels de FMG pour un stage d’initiation à la psychiatrie institutionnelle telle que vécue à Trinlé – Diapleu. Dr Bichon est très favorable et il nous avait d’ailleurs réitéré sa disponibilité

Ce stage pourrait être renforcé par l’accueil d’un médecin guinéen à la clique la Borde en France. Cette perspective (souhait) qui nous tient à cœur reste à négocier .

Dans le partenariat, il sera important que l’échange soit dans les deux sens, FMG est prête à accueillir les soignants du centre Victor Houali au sein de ses centres de santé associatifs à Conakry.

FMG et toute l’équipe du Samoa souhaitent aussi la présence de Dr Bichon au mois de février au comité scientifique  du  projet qui aura lieu à Conakry du 10 au 17 février 2002.

Dr Sow Abdoulaye

Janvier 2002

Mission belge en Guinée :

Nous avons demandé à Madame Martine Goffin, psychologue « enfant » à « La Gerbe », de se rendre à Conakry pour poursuivre la formation du personnel de FMG en matière de rencontre avec les enfants malades mentaux, épileptiques et handicapés mentaux.

Avant son départ, nous lui avons précisé son travail de formatrice dans ces termes, lui demandant de les garder à l’esprit :

  1. Qu’est-ce que je sais ?
    1. Qu’est-ce que je découvre ?
    1. Qu’est-ce qui, de ce que je sais, peut être utile aux professionnels des centres de santé de FMG en matière de rencontre et de traitement des enfants malades mentaux, épileptiques et handicapés mentaux ?
    1. Comment le transmettre ?

Voici le texte préparatoire qu’elle nous a remis et que nous avons adressé à FMG :

Tout d’abord, je tiens à vous remercier vivement de me permettre de travailler avec vous au projet SA.M.O.A.  J’espère que mon projet et mes réflexions, développés avec mes collègues de la Gerbe, trouveront un écho parmi les travailleurs guinéens, et nous donneront l’occasion de faire un bout de chemin ensemble.

Je souhaite présenter mon parcours et quelques-uns uns de mes centres d’intérêt qui me paraissent rejoindre vos questions, et qui m’amènent aux réflexions que je vous soumets ici.

Je suis psychologue, et je travaille dans des services de Santé mentale en Belgique depuis 18 ans.  Actuellement, je rencontre essentiellement des enfants et des adolescents et leur famille, tout en gardant une pratique thérapeutique avec les adultes.

  1. J’ai été fort sensibilisée à la question du handicap chez les enfants, et à la manière dont ici, en Belgique on « solutionnait » la question.  J’ai participé à tout un travail théorique et pratique sur la notion d’intégration du handicap dans les écoles dites ordinaires, par opposition à l’enseignement spécialisé.
  2. Les précédentes missions (entre autres de Michel Dewez) m’ont fait prendre conscience de l’importance du problème de l’épilepsie en Guinée, tant au niveau statistique (7 x plus élevé qu’en Europe) que de ce qu’il en est de l’intégration sociale des jeunes épileptiques.  Notre rencontre récente avec la Ligue Belge contre l’Epilepsie (cf. le rapport de la réunion du 29/11/01 B. Goffart) a suscité toute une série de questions et des pistes à explorer avec vous que je développerai plus loin.
  3. Le travail quotidien à La Gerbe m’a amenée à être confrontée de près à différentes cultures (Arabes et Turcs musulmans, Congolais, Rwandais, Kosovars…).  La question est à chaque fois : comment entendre ces sujets dans leur histoire, leur culture, leurs souffrances, leurs croyances et leurs représentations, et tenter d’articuler leur parole, leurs symptômes, leur vérité, avec mes propres repères de Santé mentale sans y plaquer ce qui serait de l’ordre d’un savoir sur eux, mais sans eux.  Autrement dit, comment peut-on, malgré des repères différents, construire quelque chose ensemble.
  4. Dans le travail avec les adolescents, nous sommes très sollicités par un symptôme croissant, qui est l’anorexie mentale (quasi inexistante en Afrique d’après B. Brusset : « psychopathologie de l’anorexie mentale »).  Le grand désarroi des parents face à cette maladie nous a conduits à mettre sur pied un groupe de parents axé sur le partage de leur expérience et de leurs difficultés.  Ils peuvent ainsi sortir d’un certain isolement, entendre comment chacun se débrouille en tant que parent pour aider leur enfant, parler de ce que représente cette maladie pour eux, ce qu’elle vient bousculer au sein de la famille, se soutenir d’une autre manière que par la relation psychothérapeutique classique. 

Je co-anime ce groupe de parents avec une psychiatre depuis plus d’un an au Service de Santé mentale de l’Université Catholique de Louvain.

J’ai été très intéressée de lire le texte préparatoire de Marie-Anne Kestens et Marta Gonzalez du 7 octobre 2001, qui propose au point 2 « Destigmatiser la maladie auprès des familles et de l’environnement », un projet tout à fait comparable au niveau des parents de jeunes psychotiques.

Voici donc mes réflexions actuelles, qui, j’en suis consciente, ne sont que des ébauches, ainsi que des pistes et des propositions de travail.

  1. Concernant la question du handicap, la logique qui prévaut en Belgique depuis des années de créer des structures adaptées pour accueillir « traiter », soigner, enseigner, éduquer les enfants atteints d’un handicap me laissent toujours perplexe.  Cette logique repose à mon avis sur une idée d’exclusion de la différence, différence qui devrait être traitée en dehors des structures sociales habituelles.  La tendance actuelle vise alors à réfléchir comment intégrer (réintégrer ?) dans la société ceux qui en ont été au préalable exclus.

Ce double mouvement – exclusion/réintégration – qui s’applique d’ailleurs à tout le champ de la santé – me paraît intéressant à questionner et confronter avec vous.

Néanmoins, la question se pose d’offrir un accompagnement adapté à ces jeunes.

Que serait un accompagnement adapté dans une optique communautaire ?

Je serais intéressée à découvrir ce que vous avez pu mettre en place en Guinée, en imaginant bien qu’un travail autour des représentations pour chacun de ce qu’est le handicap, son origine (congénitale ? traumatisme ? faute d’un parent ? possession ? accident ?… sa place dans la famille et la société sera un préalable indispensable entre nous.

  • La rencontre avec la Ligue belge contre l’Epilepsie a posé d’emblée la question de la prévention et du traitement.  La Ligue a développé tout un matériel d’informations pour sensibiliser entre autres les intervenants sociaux et les écoles, via des brochures et une cassette vidéo.  Je me propose de vous soumettre tout ce matériel de prévention afin que nous puissions échanger nos réflexions.  Si l’on veut soigner l’épilepsie en Guinée, la question de la prévention se pose
    • dès lors, étant donné les croyances et le modèle conceptuel culturel (référence aux diables), est-ce que ce matériel disponible est utilisable et transportable en Guinée et comment ?
    • comment concilier une approche respectueuse des références culturelles avec une approche médicale ? Comment parler de l’épilepsie : est-ce une maladie, un symptôme, un signe ?

Le constat de Michel Dewez que les personnes ayant reçu un traitement contre l’épilepsie, où les crises avaient disparu, arrêtaient le traitement après 2 mois, m’amène à plusieurs questions :

  • quelle est la place et la fonction du médicament en référence au modèle culturel guinéen : est-ce un produit magique, dont l’effet devrait être radical et définitif ? remplacerait-il les pratiques traditionnelles de désenvoûtement ?  Serait-il celui qui lutte à l’intérieur du corps avec les forces extérieures    
    • Soigne-t-on la cause ou le symptôme ?
    • Si l’épilepsie est considérée comme une maladie, et que les personnes prennent un médicament qui fait disparaître les symptômes, comment peuvent-elles comprendre qu’elles seraient toujours malades et que la prise de médicament doit continuer.  Comment parler de l’utilité de prendre un médicament « à vie » ?  Que signifierait alors le concept de « guérison », de traitement.  Peut-on être à la fois « guéri » et médiqué à vie ?
    • Est-ce que la place d’un enfant « guéri » sera modifiée dans sa famille, dans la société ?  Pourra-t-il aller à l’école ?

Ces réflexions pourraient sans doute être étendues au traitement des psychotiques.

  • La question de comment construire ensemble un discours, entendre les personnes là ou elles en sont en intégrant les repères et les références de chacun, question qui traverse, je pense tout le projet Sa.M.O.A. m’interpelle tout particulièrement dans le travail avec les enfants.
    • Lorsqu’un enfant présente des symptômes qui amènent à consulter, comment cet enfant est-il parlé ?  Comme intervenant, comme soignant, à qui s’adresse-t-on pour parler de l’enfant ?  Je serais tout à fait intéressée et désireuse d’assister à vos entretiens avec les familles et de partager vos réflexions sur le travail avec des enfants.
  • Concernant la proposition de travail de groupe avec des parents dont les jeunes présentent des symptômes psychotiques, développée par Marie-Anne Kestens et Marta Gonzalez, je souhaiterais vous faire part de l’expérience récente menée à Bruxelles avec des parents d’anorexiques, et mettre à l’épreuve de vos questions et réflexions le projet que nous avons mis en place.

Voilà quelques-unes de mes réflexions et questions, là où elles en sont aujourd’hui, avec mon inexpérience du travail en Afrique, que j’ai hâte de découvrir. 

J’ai beaucoup apprécié le travail d’équipe que vous menez et tous vos commentaires à nos propositions.  J’attends vos réactions et recommandations par rapport à ces réflexions et projets.

Au plaisir de vous lire et de vous rencontrer

                                                                                               Martine Goffin.

Voici la réponse de FMG

Chère Martine Goffin,

C’est avec un grand intérêt que l’équipe de FMG a parcouru ton document de propositions de travail (mission de décembre 2000- janvier 2001)

Voici les réflexions, commentaires, propositions, réserves et attentes que les présents à la réunion d’équipe du 19/12/01 à Dar es Salam (quartier qui abrite l’un des nos trois centres) ont apporté.

Tout d’abord te remercier de la confiance que tu portes à notre équipe et te dire qu’à la suite de la lecture de ton document, un débat très constructif s’est dégagé.

J’essaye d’être fidèle au plus près (en répétant les phrases des intervenants) de ce qui s’est dégagé durant la réunion.

Nous avons procédé de la façon suivante : d’abord une lecture du document, puis un commentaire du contenu et en fin des propositions en fonction des attentes des uns et des autres.

Dr Diallo Aliou (centre de santé de Carrière) : Toutes les questions que Goffin posent ont des réponses avec nous surtout en ce qui concerne le comment concilier le traitement moderne au traitement traditionnel. Ce que moi je veux savoir ce qu’elle peut apporter réellement au travail que nous faisons actuellement. Je pense qu’elle a été mise au courant des avancés du projet et où nous en sommes actuellement. Son idée d’accompagner les épileptiques est bonne, mais nous le faisons déjà et elle sait probablement comment nous le faisons. Qu’est ce qu’elle propose ?

Tout de même, ce que nous faisons comme accompagnement, c’est expliquer aux parents c’est quoi l’épilepsie et comment il faut soutenir l’enfant dans la famille, dans la société.

Dr Koulibaly : Je pense qu’elle nous a présenté son profil et ses compétences. Moi je voudrais qu’on accentue le débat sur l’échange d’expériences avec son travail en Europe. Je voudrais savoir l’approche qu’elle utilise pour créer un contact avec les parents, avec l’école, les voisins. Elle a parlé des outils…, je veux bien voir ces outils et les expérimenter sur le terrain.

Elle doit tout de même être capable de nous expliquer ces outils et la perception des européens quant’ à leur utilité.

Dr Binta : En reprenant cette lecture (c’est elle qui lisait ), j’ai l’impression que cette dame a travaillé déjà avec Dr Bernadette Goffart.

Je retrouve le long de toute cette lecture des questions que nous avions discuté avec Goffart et Keita. Je ne comprends pas pourquoi elle se pose certaines questions qui avaient déjà trouvé des réponses avec Goffart. Elle doit demander à Goffart de quoi nous avions parlé et le niveau de nos réflexions sur cette recherche action.

Concernant le contenu du document, je pense que nos approches sont les mêmes sur la façon de travailler avec les parents. C’est déjà une bonne chose. Donc quand elle vient, son travail doit être au niveau de tous les centres, pas seulement à Carrière comme l’annonce de son arrivée m’en avait donné l’impression.

Dr Keita Mohamed : Je partage l’avis de Dr Binta sur la nécessité d’éviter des répétitions. Nous avons travaillé avec Goffart pendant des heures, nous avons réfléchi ensemble à travers certaines de nos actions antérieures comme la lutte contre l’excision à travers le théâtre forum. Je pense que nous avions bien avancé avec Goffart qui avait fait des très bonnes propositions avec nous. Je pense que Dr Koulibaly, a beaucoup apprécié l’approche de Goffart et c’est ce qui lui a encouragé de continuer cet atelier d’expression graphique.

Je pense qu’on peut approfondir lors cette mission certains aspects : connaître l’enfant, dans son état, dans sa famille, l’histoire de la maladie (perception des parents, réponse au traitement antérieur), devenir des enfants. L’écoute doit être notre arme. C’est avec cette démarche de recherche que nous trouverons des actions à entreprendre. Je voudrais tout de même lui poser cette question peut-être bête » est ce qu’un enfant épileptique européen est égal à un enfant épileptique guinéen ? »

Dr Sow : est ce qu’il ne faut pas attendre la fin de sa mission pour lui poser cette question ?

Au point de vu clinique, je pense que les symptômes d’un psychotique européen ne sont pas différents de ceux des africains, cela pourrait s’appliquer aux épileptiques aussi. Sachez seulement que la culture, le milieu et l’interprétation des phénomènes peuvent avoir une influence considérable sur l’évolution d’une maladie d’où l’importance de l’échange que nous faisons. Les belges ne viennent pas seulement nous apprendre, ils viennent apprendre aussi.

Dr Ambroise : Je peux vous aider, parmi les 20 patients épileptiques que je suis à Dar es Salam, les parents de plus de dix ne rapportent pas l’épilepsie aux diables et ils comprennent parfaitement que les médicaments modernes ne traitent pas le diable. Donc ils comprennent que l’épilepsie n’est pas synonyme de diables sinon les multiples traitements qu’ils ont essayés, devraient traiter leur enfant.

Dr Keita : Merci, laissez-moi continuer. Elle a parlé de l’animation de groupe des parents. C’est une bonne chose. Je veux savoir :

– les parents sont ils regroupés en un endroit ?

– c’est au cours des visites domiciliaires que le regroupement se fait ?

– existent-ils des structures d’accueil de ces parents ?

Je reviens sur mon constat : la répétition des objectifs dans les missions doit être évitée. Goffin n’a qu’à se mettre en contact avec Goffart pour certaines questions. Elle est mieux placée.

La mission actuelle doit avoir d’autres objectifs, c’est pourquoi, moi, j’ai des attentes :

– Accompagnement adapté, nous devons le vérifier et le concrétiser avec elle

– l’écoute, nous devons poursuivre ce travail

-la sensibilisation des parents, nous devons trouver des approches nouvelles

– la réinsertion des enfants, nous devons innover avec elle.

Il faut vraiment réfléchir par rapport à la réinsertion des patients : scolarité ? réinsertion sociale ? réinsertion professionnelle ?

Dr Ambroise : l’intégration des enfants scolarisés est effective chez moi, elle ne pose pas de problèmes. Moi, le problème se situe au niveau des enfants qui ont un déficit physique et un quotient intellectuel bas. Qu’est-ce qu’il faut faire ?

Dr Koulibaly : Cela aussi dépend du besoin de l’enfant, j’ai un exemple à Carrière à propos d’une fille que j’avais vu avec Bernadette, Dr Michel la connaît aussi très bien. Aujourd’hui, cette fille a pu avoir une table à Kenien – Marché (quartier de Conakry). Elle revend des condiments et grâce à ses recettes, elle paye la Carbamazépine (Tégrétol). Mon problème pour elle aujourd’hui n’est pas la réinsertion, mais la rupture de carbamazépine dans nos centres.

Dr Oumou : Le contexte culturel que Goffin cite (les rabs) est le même que le contexte guinéen, car ils sont tous des musulmans. Les arabes aussi utilisent les talismans.

La réinsertion est une question que nous devons éclaircir.

Comment Goffin a pu démystifier ces maladies (épilepsie, psychose) auprès des parents ?

Avec les intellectuels, nous avons peu de problèmes, les analphabètes sont difficiles à accéder.

La réinsertion est pour moi un cercle vicieux : quand l’enfant est malade, il est rejeté, s’il reçoit un traitement et qu’il s’améliore, on essaye de le réinsérer parfois avec réussite, s’il y’a rechute, l’enfant est de nouveau rejeté, après la réinsertion devient plus difficile.

Qu’est ce que nous nous appelons alors ici réinsertion ? Qu’est ce qu’on appelle à BXL réinsertion ?

Amatigui : A BXL, je n’ai pas eu la chance de travailler avec Goffin dans ce domaine, mais elle fait un superbe travail que j’aimerai découvrir ici. Je souhaite à ce qu’elle nous montre sa démarche.

Avec son document, j’ai une question sur l’anorexie mentale ?

Dr Koulibaly : qu’est ce que tu veux savoir, la définition ou la prise en charge ?

Amatigui : les deux

Aissatou : j’aimerai avoir des jours d’échanges avec elle pour tirer quelques choses et l’expérimenter sur mes patients ici. Elle doit avoir des choses à nous présenter pour nos patients. Je suis disposée à faire des visites domiciliaires avec elle.

Dr Ambroise : La déviation d’objectif doit être évitée cette fois ci. Il faudrait qu’à la fin de la mission que toutes nos attentes soient comblées ou du moins prises en compte. Actuellement, à Dar es Salam le regroupement des patients est devenu une réalité malgré les difficultés de départ.

Dr Binta : Je recommande à ce qu’elle consulte Goffart et qu’elle accentue sa mission sur la recherche pour avoir un maximum d’informations en vu de mettre en place des actions concrètes.

Dr Oumou : Vous parlez tantôt de regrouper les patients, mais à la recherche de quoi ? Il faut que cela soit précis, c’est pourquoi, je voulais avoir les premières données que Ambroise a eu avec son équipe de dar es Salam sur le repas collectif.

Dr Diallo Mouctar : Je pense que toutes les missions apportent quelques choses. Les résultats des missions dépendent de l’encadrement. 

Dr Sow : est-ce qu’on peut passer aux recommandations par rapport à tous ces commentaires. Je suis d’accord que toutes les missions nous apporte quelques choses mais, je suis vraiment désolé qu’il n’existe aucun suivi des résultats de ce que les missions suscitent. Tout de même je le dirais dans mes recommandations.

Un exemple palpable, depuis que Anne Mathy a quitté, même pour nous demander comment son idée et notre projet pilote de communauté thérapeutique agricole avancent, son rapport de mission où est il ? Pourtant, elle a fait le plus long séjour ici et a été la mieux encadrée sur le terrain. Je suis vraiment désolé.

Maintenant pour les recommandations.

Dr Diallo Mouctar : Concernant les outils dont elle parle (mis à disposition par la ligue belge de l’épilepsie), elle doit venir avec pour que nous puissions l’expérimenter.

On peut aussi faire des émissions radio télévisées pour sensibiliser les parents

Il faut aussi approcher les autres acteurs. Donc envisager une réunion avec BIVEP qui a plus de patients épileptiques que nous.

Dr Ambroise : je propose

– à ce qu’elle travaille au moins une fois par semaine dans les centres de santé avec l’animateur communautaire et les deux assistantes (Amatigui et Aissatou )

– de rencontrer BIVEP et le service de neurologie

– de se référer à Michel si elle veut avoir les informations sur les tradipraticiens. Ce dernier en sait quelques choses

– d’assister les enfants à domicile pour leur intégration au sein des familles

Dr Aliou : Je propose à ce qu’elle nous envoie une cassette vidéo d’un enfant épileptique avec un déficit mental.

Amatigui et Aissatou souhaitent de travailler avec elle pour des visites domiciliaires.

Dr koulibaly:

– Participer à l’atelier d’expression graphique à carrière

– Apporter son expérience sur le comment aborder les enfants épileptiques

– Comment faire les entretiens de groupe (enfants malades et parents)

Dr Keita : j’ai déjà fait mes propositions, mais il faut qu’elle travaille avec les trois médecins au niveau des centres. Cela pour qu’au terme de sa mission qu’une fiche ou un guide soit élaboré an faveur des parents, voisins, enfants malades, enseignants. Cette fiche doit expliquer l’épilepsie à travers des messages digestes et facile à comprendre car l’enfant peut tomber en dehors d’une personne qui le connaît.

Mr Diallo de Hamdallaye : Je recommande un travail d’équipe.

Dr Binta :

– Elle n’a qu’à consulter les missions antérieures,

– venir avec les outils pour les visualiser,

– travailler avec les parents des malades (rencontre de groupe) pour identifier des actions concrètes.

L’accompagnement communautaire est à voir…Pour moi la priorité est la recherche puis l’action.

Dr Sow : Merci à tout le monde, je pense qu’on avance bien et que chacun a pu donner ses impressions et ses attentes.

De mon coté, j’ajoute seulement que désormais, il ne suffit plus d’envoyer une proposition de travail. Chaque proposition doit être accompagnée d’une démarche pour le suivi. Si cette démarche n’est pas proposée il ne sert à rien de « se jeter dans l’eau « comme le disait toute suite Ambroise.

Si Anne Mathy ne s’intéresse plus à ce qu’elle a initié, c’est parce qu’on n’avait rien dit sur comment le suivi allait être fait malgré que nos dernières recommandations allaient dans ce sens.

Goffin doit nous dire donc comment elle compte garder le contact après sa mission et par quelle voie.

Chère Goffin, ce sont là les premiers commentaires de l’équipe guinéenne.

La réponse à certaines de nos préoccupations nous aiderait à mieux préparer ton séjour. Le 30 décembre c’est dans moins de 10 jours.

Nous attendons

L’équipe FMG 

Madame Goffin ne nous a pas fait part de sa réponse avant son départ, mais nous a remis dès son retour son rapport de mission ainsi qu’une observation clinique du plus haut intérêt. Il s’agit d’une problématique que nous qualifierions en Europe d’hystérique chez une jeune fille de 13 ans. L’intérêt de cette expérience est multiple. En effet, outre l’efficacité de la réponse que Madame Goffin a pu donner sur le terrain, justifiant la présence d’une « psychologue » en Guinée (c’est-à-dire d’une professionnelle de la santé mentale qui opère sans médicaments), son travail a ouvert les médecins guinéens à un nouveau champ. Après le médical (en août 2001), le social (en novembre 2001), c’est le champ psychothérapeutique que le hasard de la clinique permettait d’ouvrir, par la grande porte de la clinique de l’hystérie. Avant les rapports de Madame Goffin, voici les commentaires que je reçus à son retour du Dr Koulibali :

Quelques remarques et réflexions sur les cas Mariama DIALLO, la petite hystérique de 13 ans dont Mme Goffin a entièrement les données. Mais il faut reconnaître que ce cas nous a beaucoup édifié et impressionné. Pourquoi ?

En connaissant la force des considérations religieuses, culturelles, mystiques sur ces pathologies, nous avons réussi à pénétrer dans ce système et préparer la patiente, les parents, les encadreurs de cette école, la prise en charge des cas d’hystérie dans la famille, dans la collectivité. C’est pourquoi en rapport avec le CS en tenant compte du calendrier d’activités, une des conférences pourrait être axée sur cette question des crises d’hystérie dans les établissements scolaires qui sont victimes parfois même des périodes d’interruption de cours voire fermeture des écoles durant des jours, sans compter les interprétations, la stigmatisation de la maladie sur ces jeunes filles qui abandonnent l’école à cause de la honte.

Quel est votre avis ?

Voici, avant le récit de la maladie de cette jeune fille, le rapport de mission de Mme Goffin :

 

 

 

 

BILAN DE MISSION de MARTINE GOFFIN (31-12-2001 au 19-01-2002)

Je tiens tout d’abord à remercier toutes les personnes de l’équipe de FMG pour l’accueil chaleureux qui m’a été réservé. J’ai énormément apprécié de pouvoir travailler avec vous tous. Votre disponibilité à mon égard m’a beaucoup touchée.

J’ai été impressionnée par votre dynamisme, la somme de travail que chacun assume, la grande disponibilité de tout le personnel autour du projet SAMOA.

J’ai également beaucoup appris à votre contact, au niveau des réalités sur le terrain. Les commentaires de chacun m’ont été très précieux. 

Compte-rendu de mon travail

Dans un premier temps, je me suis imprégnée du travail effectue dans les Centres, toutes consultations confondues. Devant l’affluence des demandes, j’ai pu concentrer mon travail sur les consultations de santé mentale.

J’ai participé à 15 nouvelles consultations avec des suivis de ces patients, ainsi qu’à quelques suivis de patients déjà pris en charge dans les Centres.

J’ai fait 9 visites à domicile, soit avec le médecin, soit avec l’accueillante.

Ces visites concernaient :         – des patients traités dont on était sans nouvelles

– des patients identifiés par les relais communautaires

– des patients suivis pour lesquels un travail avec la famille s’avérait nécessaire

– un patient s’est manifesté spontanément, sans l’accord de son père

Participation à une intervention dans une école.

Participation aux 3 micro-projets.

CHU de Ignace Deen ; 2 matinées de travail avec le Dr Sélé

Participation aux différentes réunions : d’équipe SaMOA

                                                               FMG

                                                               BIVEP

                                                               Rencontre avec des partenaires potentiels

                                                              Travail de formalisation.

 

Constats :

  1. Il est difficile de créer une dynamique au niveau des projets en 3 semaines. Par exemple, le groupe de parents a été lance le samedi 12 janvier, je ne pourrai que transmettre par écrit quelques éléments pour assurer la continuation d’un tel groupe
  •  Il y a une inflation de malades dans les Centres

          – ce qui est le signe d’une réussite.

         –  il y a risque de débordement pour le personnel.

         –  il y a risque d’insatisfaction au niveau des patients.

        –  il y a risque de perdre des patients.

3.   Les demandes adressées aux Centres couvrent des domaines de plus en plus vastes :

Maladie mentale, épilepsie, handicap, problèmes sociaux.

  • Ces 2 derniers points m’amenant à la réflexion suivante. Comment maintenir un équilibre entre le fait de susciter les demandes de consultation dans les Centres, et le risque de ne plus pouvoir y répondre. Néanmoins, c’est la logique de tout projet d’être par moment à la limite de la saturation pour justifier la recherche de nouveaux moyens.

Les pathologies que j’ai rencontrées ici sont très riches d’enseignement. Elles sont à la fois les mêmes qu’en Europe, ce sont les contenus des interprétations et des délires qui sont différents, en fonction de la culture et de la manière de réagir différente de l’entourage. Par exemple, les crises d’hystérie telles qu’elles se présentent souvent dans les écoles, ont pratiquement disparu chez nous. Si les thèmes des délires et des hallucinations tournent souvent autour du diable en Guinée, en Belgique on se prend davantage pour Dieu. Les symptômes évoluent en fonction du contexte, d’un discours et d’une connaissance  psychologique. On dira facilement de quelqu’un : « tu es hystérique », il est d’usage courant de ramener des plaintes somatiques à des problèmes psychologiques, ces manifestations somatiques évoluent alors vers autre chose.

  • Il existe un problème bien réel, qui lui, compromet l’avancement et la réussite du projet : c’est la rupture de stock des anti-épileptiques, ainsi que leur coût élevé.
  • Le CHU de Ignace Deen ne se sent pas mieux équipe pour faire face au travail avec les épileptiques, la prise en charge au niveau du secteur public n’est pas plus facile. Il n’existe qu’un seul électroencéphalogramme, qui produit des artefacts, et il y a nettement moins de disponibilités pour le suivi des patients.
  •  Vous avez des atouts indéniables
  • les relais communautaires.
  • une adhésion très forte des patients et des familles lorsqu’on prend le temps de les rencontrer en consultation ou à domicile. La parole du médecin pèse de tout son poids
  • une très grande disponibilité des soignants, mais qui a ses limites.
  • une grande souplesse de travail ; consultations sans rendez-vous, déplacement des médecins a domicile, dans les écoles, sur les lieux de travail des patients, etc. Si ce travail revient incontestablement au médecin dans un premier temps, il paraît difficilement concevable, devant l’ampleur du travail, que le médecin seul puisse continuer à assurer l’entièreté de ce travail. Quelle peut-être la place et la fonction de l’accueillante [assistante sociale] dans ce travail, ce qui rappelle la discussion lors de la vision de la cassette sur l’épilepsie.
  • même si la prise en charge des patients dans leur famille pose de grandes difficultés, ils continuent néanmoins a pouvoir vivre dans leur milieu d’origine. La Belgique a créé toute une série de structures pour répondre aux besoins des patients, qui finissent par l’isoler complètement de son environnement social et familial d’origine, ce qui entraîne de lourdes conséquences psychologiques.
  • Je voulais vous faire part de mon étonnement par rapport a la parole des patients et de leur famille, issu sans doute d’une idée préconçue ; ils parlent facilement de leur histoire de leurs difficultés, de la folie, ils éprouvent du plaisir a parler pour peu que l’on s’intéresse à eux.
  1. Dans chaque micro-projet, la parole commence à circuler :

                                                 –    Hamdallaye : groupe de patients axe sur la parole.

  • Dar Es Salam : groupe de paroles institue dans le temps de la     communauté thérapeutique agricole.
  • Carrière : groupe de parents en parallèle avec l’Atelier d’Expression Graphique.

Quelques réflexions :

Pourquoi donner une telle importance à la parole ?

Tous les patients que j’ai rencontrés sont désireux de témoigner, de partager quelque chose de leur histoire, leurs souffrances, leurs problèmes. Ils sont à la recherche d’explications, de solutions. Dans un premier temps, cela passe forcement par la parole.

D’autre part, la parole humanise les relations, redonne aux patients un statut d’être humain à part entière, non pas seulement de fou ou de fou guéri, mais quelqu’un qui a son mot à dire sur lui, sur sa maladie, sur le monde, sur ses attentes, et qui sera écouté. Que leur parole nous intéresse aura comme conséquence pour eux et pour l’entourage que ce n’est peut-être pas intense, ce qu’ils disent.

Si l’on veut changer le regard porté sur la folie, la parole a autant de place que le travail concret qui se fait à l’Atelier d’Expression Graphique et à la Communauté Thérapeutique Agricole.

De ces échanges de paroles émergent une ouverture d’esprit et une modification de leur perception de la maladie, et donc de leurs capacités, ainsi que des idées et des solutions nouvelles.

Au-delà des conséquences bénéfiques du fait de parler, la parole a en elle-même un effet thérapeutique.

Quelques objectifs :

– Recherche de partenaires concernant le problème des médicaments, tant en Belgique qu’en Guinée.

– Réflexion au niveau de « La Gerbe » sur le suivi des projets menés : comment assurer une cohérence au travers des missions successives, comment faire relais d’équipe à équipe.

– Poursuite d’une collaboration avec la Ligue Belge contre l’Epilepsie.

– Développer les moyens de faire passer les messages : les groupes de paroles sont un atout. Dans ces groupes de parole, ils parlent de la maladie, confrontent leurs interprétations, demandent des explications. Il me paraît important de développer un temps de parole plus systématisé au sein des patients de l’Atelier d’Expression Graphique. Projet de conférence à partir de cas d’hystérie dans les écoles.

– Développer les visites a domicile, en mobilisant d’autres ressources que les médecins.

– Développer des stratégies de réinsertion : si la prise en charge des patients constitue une première phase dans le travail, il est important de développer des stratégies pour les réinsérer au mieux dans leur milieu socioprofessionnel. Il faut sensibiliser les familles, l’entourage, les éventuels employeurs, sur la conception du « fou guéri », leur redonner confiance dans le patient, lui permettre d’être actif chez lui, responsabilise, plus autonome. On le considère trop souvent comme un malade, qui ne doit donc rien faire. Or la manière dont on le considère, son intégration et sa participation à la vie et aux taches familiales contribuent également à sa guérison

– Elaborer davantage ce qui justifierait l’arrêt de leur participation dans les micro-projets : est-ce le temps prévu à l’avance par le médecin, qu’est-ce qu’être suffisamment amélioré, guéri, comment évalue-t-on leur guérison, sur quels critères… Ceci afin d’éviter qu’ils ne s’installent dans des solutions thérapeutiques à trop long terme et ne deviennent des « assistés permanents ».

Et voici le récit de son travail avec Mariama Diallo :

Cas de Mariama DIALLO (13  ans)

Nièce de Mme BAH (Terre Des Hommes) qui a été élevée par elle (tante paternelle) depuis l’âge de 3 ans, lorsque son père est décédé, laissant sa mère enceinte de 3 mois. Cette jeune fille étudie au Lycée Protestant Emmaüs à petit Simbaya, elle a toujours été 1ère de classe.

Sa tante l’a emmenée au Centre de Carrière voir le Dr KOULIBALY, suite à des « crises » qui ont commencé en novembre 2001, à l’école et à la maison. Le Dr KOULIBALY l’a rencontrée une première fois avec sa mère (tante), une deuxième fois seule et une troisième fois avec son frère.

Mariama se plaint de maux de tête, après lesquelles elle se sent un peu frustrée et nerveuse. Une semaine avant que les crises ne commencent, elle a vu l’image d’une personne passer devant la fenêtre. Etait-ce son grand frère ? Elle est allée vérifier, n’a vu personne, et a pris peur.

Le jour de la 1ère crise, elle a vu par la fenêtre la tête d’un homme coupée sur le petit vélo d’un frère. Elle a appelé sa mère pour lui montrer. La mère : « où se trouve la tête ? Viens, on va voir ». Elles sont sorties, et Mariama n’a plus rien vu.

Ce que les autres disent de ses crises :

  1. Son comportement : elle tombe, elle reste sur place, se contracte et reste quand on la maintient.
  2. Les crises peuvent se déclencher par la fuite, notamment par une fenêtre. Personne ne sait où elle veut aller, ni jusqu’à quand la fuite peut durer, parce qu’on l’a toujours rattrapée
  3. Parfois elle se contracte, se tait, part doucement mais lorsqu’elle est rattrapée, la crise se déclenche et elle veut se relever.

Elle a eu plus de 10 crises avant la 1ère rencontre du centre, les 3 premières à l’école. Depuis sa prise en charge, elle a eu 2 crises à l’école, 2 crises à la maison.

Nous sommes également informés que dans cette école, 4 autres cas de jeunes filles présentent des crises similaires. 

Ce que dit Mariama de ses crises : sa tête lui fait mal, elle se sent triste, puis on dit qu’elle a fait une crise, elle ne sait pas. Elle se relève et veut dormir, mais pourquoi dormir puisqu’elle jouait. Elle se retrouve parfois mouillée ou salie, et égratignée.

Ce n’est que quelques temps après la crise qu’elle peut se souvenir du début de la journée, avant les crises. L’après crise représente pour elle le début de la journée. Quand on lui parle de ses crises, si la personne est plus âgée, elle écoute, s’ils sont de son âge ou plus jeunes, ça l’énerve et ça crée des disputes.

Mariama dit encore qu’il se passe quelque chose maintenant dans son corps, lorsqu’elle est couchée sur son lit, le lit tremble, la terre tremble. Elle entend parfois le son du tamtam sans voir de cérémonie.    

J’ai rencontré cette jeune fille pour la 1ère fois dans l’Atelier d’Expression Graphique du samedi matin le 05 janvier 2002.

Elle était souriante, détendue, appliquée, réalisant de très beaux dessins. Elle m’a parlé quelques minutes de ses crises ; elle était contente de retourner à l’école le lundi après le congé. Elle proposait également d’amener des modèles, des croquis, pour l’Atelier du samedi.

Le lundi 07 janvier 2002, le Dr KOULIBALY a reçu un coup de téléphone du Directeur de son école, disant que les crises avaient recommencé, ce qui inquiétait et perturbait grandement l’école. Dr KOULIBALY a proposé de se rendre directement à l’école avec le Dr AMBROISE et moi-même, pour rencontrer Mariama ainsi que le Directeur.

Un entretien a débuté dans le bureau du Directeur, en présence de Mariama. Ce dernier nous a relaté la manière dont les crises survenaient, ainsi que le contexte dans lequel elles étaient apparues au niveau de l’école.

Précédemment, 4 autres jeunes filles avaient présenté des crises similaires ; l’une d’elles parlait d’une bague confiée par une personne (invisible), qu’elle portait toujours au doigt. Comme cet homme la menaçait maintenant de récupérer la bague, elle venait la remettre au Directeur de l’école.

Elle a montré sa main baguée au Directeur, qui n’a rien vu, ainsi que son adjoint. Elle a fait le geste exact d’ôter cette bague pour la mettre dans la main du Directeur : toujours rien pour eux. Le Directeur : « où est cette bague maintenant ? » « Elle est dans votre main ». Le Directeur a alors fait le geste de la lancer au loin.

Mariama elle, est venue remettre un petit sachet dans lequel devait se trouver des boucles d’oreilles également remises par un homme ; cet homme lui avait parlé de l’emmener aux Etats Unis. Le sachet était vide.

Une de ses boucles avait été perdue. Mariama a dit à son entourage que cet homme venait lui réclamer la boucle perdue.

Le Directeur : « nous sommes très croyants, alors nous prions beaucoup pour ces jeunes filles ».

A peu près à ce moment de l’entretien, Mariama s’est levée sans un mot et a quitté le bureau. Immédiatement, le Directeur l’a suivie, nous appelant peu après : Mariama était en train de faire une crise. Nous l’avons vue au sol, agitée de mouvements saccadés, tentant de se débattre lorsqu’on voulait l’immobiliser.

Elle a été ramenée dans le bureau, toujours à terre et ceinturée par le Directeur. Nous avons tenté de l’appeler par son prénom, aucune réaction, elle gardait les yeux fermés.

Le Directeur la maintenait fermement sur le sol, bras croisés, Mariama tentait par moment de se redresser, de s’arc-bouter, jetait des coups de pieds. Le Directeur est allé chercher une gousse d’ail, l’a pelée, a tenté à différente reprises de l’introduire dans la bouche de Mariama, qui se débattait (l’ail, chez les chrétiens, aurait le pouvoir d’éloigner le diable).

La crise a durée environ ¼ d’heure, puis Mariama s’est relevée et s’est assise sur une chaise en se prenant la tête dans les mains.

Le Directeur nous a dit qu’il pensait au diable, ce pourquoi ils priaient beaucoup pour elle, bien que ce qui l’étonnait, c’est que les crises étaient toujours annoncées 1h avant par des maux de tête. Il faut savoir qu’en Guinée, l’interprétation du diable est presque toujours liée au fait que la personne aurait pris quelque chose qui ne lui appartient pas : de l’or, une bague, un bracelet … Toutes les histoires de ces jeunes filles tournent autour de ce thème.

Mariama a tenté de quitter le bureau, le Directeur l’a à nouveau maintenue, elle s’est débattu « comme un beau diable » et a recommencé sa crise. Même scénario : ceinturée, l’ail … jusqu’à ce qu’elle s’apaise et se rasseye. Le Directeur s’est assuré qu’elle reconnaissait les personnes autour d’elle. Tout en attroupement assistait à la scène, la porte étant ouverte. L’école était finie, Mariama voulait rentrer chez elle (à 100 m).

Aucun adulte n’étant présent à cette heure, son frère a proposé qu’on la ramène chez sa mère d’origine. Mariama a pris son cartable, a sorti ostensiblement et énergiquement ses cahiers un à un et les a déposés sur le bureau du Directeur sans un mot. Elle a entièrement vidé son cartable, pour en extraire un petit sachet plastic vide qu’elle a jeté violemment par la fenêtre (voir sachet des boucles d’oreilles !). Elle a alors repris ses affaires et est sortie du bureau sans un mot, malgré des tentatives de lui parler.

Elle est sortie de l’école, le Directeur et toute une cohorte à ses trousses, et s’est rendue directement chez elle.

Dans ce contexte, nous avons jugé utile de postposer tout avis après discussion entre nous. Nous avons proposé de revenir le lendemain rencontrer Mariama et le Directeur. Le Dr KOULIBALY a tenté en vain d’appeler sa mère.

Diagnostic, propositions : nous avons assisté à une crise d’hystérie telle qu’on n’en rencontre plus beaucoup en Europe.

Il s’agit de cas d’hystéries collectives par identification, manifestement augmentée par la réaction du Directeur : interprétation satanique, tout le monde prie. Le Directeur s’occupe beaucoup de ces jeunes filles, les fait venir dans son bureau pour qu’elles se confient. Toute l’école est en émoi à chaque crise.

Le corps à corps entre Mariama et le Directeur quasiment couché sur elle, se relevant en sueur, évoquait et renforçait la connotation sexuelle présente dans les crises d’hystérie.

2ème rencontre avec Mariama (Dr KOULIBALY et Martine GOFFIN)

Elle ne se rappelle rien de ce qui s’est passé autour des crises. Elle justifie seulement son retour à la maison, elle n’avait aucune raison d’aller ailleurs.

Elle parle de ses cauchemars : « je me vois dans une rivière, je me noie ; ou dans une voiture et ça explose, ou des animaux veulent me manger ; ou des morts vivants me disent de venir avec eux ».

Au delà des cauchemars, elle a des visions : elle voit devant elle une personne en blanc (comme l’homme dont elle a parlé précédemment). Elle n’a pas de petit copain, mais sa meilleure amie en a un. Elle s’est énormément investie dans le sport cette année, et a été sélectionnée en volley. Elle a l’ambition d’arriver à un haut niveau, et souhaite devenir médecin.

Sa mère se présente spontanément à l’école, nous la rencontrons. Elle se dit très proche de Mariama, avec qui  elle dort. Mariama lui confie tout, sa propre fille de 22 ans en est jalouse.

A la maison aussi, lorsqu’elle a des crises, elle est maintenue physiquement ou rattrapée de peur qu’elle ne se blesse.

Nous informons alors la maman de notre diagnostic, qui ne l’étonne pas. Elle y avait pensé au départ (elle est formée en santé mentale), mais avait changé d’idée. Je montre les représentations d’une crise d’hystérie extraites du livre de Catherine CLEMENT « les révolutions de l’inconscient » (voir annexe).

Nous proposons qu’en cas de crise, on ne tente surtout pas de la contraindre physiquement, ni de l’empêcher de partir, qu’on n’accorde pas d’importance à la crise elle-même, mais à tout ce que Mariama pourrait en dire, qu’on évite les attroupements autour de sa crise, ainsi que tout rappel incessant de ce qui s’est passé.

Nous intégrons ensuite le Directeur dans l’entretien pour lui faire passer le même message. Nous obtenons leur adhésion, on suggère au Directeur de faire passer ce message au niveau de l’école.

3ème rencontre avec Mariama

Elle portera davantage sur son histoire, le décès de son père qu’elle n’a jamais connu et dont elle ignore la cause. « Je me demande s’il est au paradis, s’il a été quelqu’un de bon ». Son interprétation première sur ce « cadeau » (les boucles d’oreilles visibles seulement par elle) concerne d’ailleurs ce père (à qui elle devrait rendre quelque chose qui ne lui appartient pas ?).

Le Directeur a réuni tous les élèves moins les 4 filles qui ont des crises. Personne n’a voulu lui parler du contenu. Les crises ont cessé depuis une semaine.

Une rencontre fortuite avec la mère de Mariama m’apprend qu’elle a fait une petite crise à la maison en voyant son frère couché par terre. Elle s’est couchée près de lui, et s’est mise à le frapper. Devant l’absence de réaction de l’entourage, elle s’est relevée après 5 minutes et s’est allongée sur son lit. Le même scénario s’est produit pour une autre jeune fille à l’école.           

Plusieurs axes de travail se sont dégagés, qui vont de l’individuel au collectif, ce qui a amené à penser à la prévention.

  • Travail avec Mariama au centre : maintenir sa participation à l’Atelier ainsi que des rencontres pour parler de l’évolution, de ce qui l’inquiète, cauchemars, visions, ses relations, le sport …
  • Intérêt d’intégrer un talisman traditionnel avec une thérapie par la parole  
  • Recentrer ce travail sur le médecin qui a d’ailleurs laissé son numéro de téléphone en cas de problème, (mais attention au transfert amoureux)
  • Explication du diagnostic à la mère et au Directeur qui a permis un consensus sur le comportement à tenir en cas de crise
  • Proposition de rencontre des 4 autres jeunes en vue de particulariser chaque histoire et décollectiviser le symptôme
  • Proposition d’organiser une conférence qui regrouperait les enseignants, directions et parents des écoles où l’on a signalé des cas similaires qui envahissent et perturbent le fonctionnement de l’école entraînant même certains jours de fermeture.
  • Au niveau de cette conférence, quel message faire passer ?

Quelques éléments d’un message à transmettre

  • L’hystérie est bien connue depuis des siècles, dans le monde entier, et n’est pas liée à Satan (photocopies du livre à l’appui ?)

– Ce n’est pas une maladie, mais des manifestations liées à la puberté : elles expriment au travers de leur corps ce qu’elles n’arrivent pas encore à exprimer avec des mots. Des questions travaillent l’esprit (entre autres la sexualité), mais ne trouvent pas encore de réponse.

– Différencier la crise d’hystérie de la crise d’épilepsie

– Il n’y a pas une réelle conscience pendant la crise, mais ce n’est pas de la folie.

– Les jeunes filles de cet âge sont très influençables, elles reprennent pour elles l’histoire d’une autre.

Comment réagir :

– L’importance donnée à la crise augmente celle-ci.

– Ne pas intervenir physiquement

– Ne pas créer d’attroupement

– Les laisser revenir à elles d’elles-mêmes

– Si les crises persistent néanmoins, consulter un des médecins du centre.

Poursuite des intervisions par email :

Dernier message reçu le 15 décembre 2001 :

Ci dessous un message d’Ambroise

—————————————

Il s’agit d’un jeune âgé de 26 ans, élève en décrochage scolaire il y a 2 ans, domicilié à Madina, admis un centre de Santé de Dar es Salam 2 sous la demande de ses parents pour délire, plaintes somatiques, monologue, bredouille et trouble de comportements type asocial- évoluant depuis 2 ans.

Mohamed Lamine Camara, occupe le 9è rang dans une fratrie de 9 enfants. De l’enfance jusqu’à ce qu’il a eu son baccalauréat première partie (session 1998-1999), les parents n’attestent la moindre panique chez lui. Enfant très courageux, peu intelligent, calme, souvent en compagnie de ses amis d’école pour des séances de révisions.

En 1999, Mohamed Lamine fréquente le lycée de Kipé niveau Terminal (baccalauréat 2è partie) année à laquelle, il expliquait à ses parents d’avoir vu les diables à l’école et qu’il n’était pas le seul, qu’il y’avait des gens de son école qui tombaient à terre- les jours qui ont suivi cette vision pénible de diables, a marqué le début des plaintes somatiques de Mohamed Lamine (maux de tête, douleur abdominale et la fatigue). Ses plaintes ont conduit la famille à l’adoption d’un traitement traditionnel (feuille plus racine) sans aucune efficacité.

Avec l’évolution, Mohamed Lamine monologuait, bredouillait, souvent à terre, il s’agenouillait devant les personnes pour les saluer avec un langage incompréhensible.

Vu son état, les parents proposèrent une consultation au service de Psychiatrie de Donka. Le médecin consultant a proposé son Hospitalisation dans une chambre libre, chose que le patient n’a pas supporté pour des raisons qu’il devenait de plus un plus agité et par la suite il s’enfuyait et on le ramenait à l’Hôpital.

Après une semaine d’Hospitalisation difficile pour le patient il a fini par s’en aller chez sa tante à Madina c’est là qu’il vit jusqu’à l’heure où nous sommes et son état clinique est resté le même sans agitation, ni agressivité.

Entretien avec Mohamed lamine.

Bonjour Mohamed Lamine ? , Bonjour

Qu’est ce qui ne va pas ? 

<< J’ai mal à la tête et des fois j’ai des vertiges, ceci a commencé le mercredi>>

Comment tu vois le monde ?

<<Le Monde marche très bien>>

Mohamed Lamine tu es élève ?

<<j’ai n’ai pas fait l’école, mais je vois les élèves, les élèves chaque fois ils vont en uniforme, ils vont là-bas, ils se portent très bien s’ils ont leurs sacs >>

Qu’est ce que font les élèves ?

<<lorsque les élèves vont à l’école, ils se présentent à leur établissement.>>

Mohamed lamine où tu loges ?

Présentement, je suis à Madina chez la petite sœur de ma mère ; ma mère est décédée>>

Qu’est ce que tu fais à Madina ?

<<Nous vendons les pièces nouvelles à l’aide d’une machine>>

Mohamed Lamine, les gens partent de toi à Madina ?

« Je suis nouveau là-bas, personne ne me connaît là-bas pour le moment ; le matin je vais au travail puis je reviens à la maison, je me couche, le matin je vais au travail puis je reviens à la maison, je me couche, je dors>>

Mohamed comment va le Monde à Madina

<<ma femme va accoucher, que je sois malinké, la vie est éternelle, le monde ne finira pas, c’est à dire chaque fois l’homme se reproduit, cela ne fini pas, cela me fait plaisir lorsque je fais l’amour et que ma femme arrive à accoucher, nous appelons cela les dons et moi et ma parole sans ça je n’aime pas parler beaucoup. >>

Mohamed quel est le nom de l’enfant que ta femme a mis au Monde ?

<<l’enfant ? Soit je l’appelle Binta, soit Rabi, soit Camara. Les gens m’ont appelé l’amour c’est à dire que moi j’aime faire quelque chose de X. Encore tout mon travail c’est l’amour. Quand j’étais bébé, j’étais l’amour ; c’est le père et la mère qui doivent penser à l’enfant pour le nom de l’amour>>

Comment tu as vécu l’amour depuis ton enfance ?

<<moi, je suis l’amour, j’ai mon enfant maintenant>>

<<je connais la vie, mais, je ne vois pas le Monde, autrement la vie à partir de l’amour,La démocratie présidentielle c’est ça l’amour peut être>>

Entretien avec le frère de Mohamed Lamine

Mohamed Lamine est devenu fou, au début nous avons pensé qu’il était possédé par un diable, mais avec le temps ses amis nous ont expliqué qu’il consommait le nèrès (datura) associé à l’arachide. Il n’était pas le seul. Ils étaient au nombre de trois qui sont tous devenus fous aujourd’hui et abandonnés à la maison. Mohamed Lamine monologue, naïf, nonchalant tout le temps couché.

A l’examen clinique, le patient présente un état clinique peu satisfaisant, un vestimentaire triplé non confortable, très souriant, monologuant, bredouillant, un délire structuré et systématisé.

Au total : Psychose Chronique. Une Notion de toxicomanie.

Voir les autres patients à domicile ou au Centre de Dar es Salam à condition que les parents sollicitent notre concours.

Traitement en cours : Haldol 5mg 1 Cp/j

Question :

Un patient qui monologue et qui bredouille est-il caractéristique à la Psychose?

Salut et bon W.E.

Ambroise

Voici la réponse que nous lui avons adressée :

Réponse à Ambroise concernant Mohamed Lamine :

D’accord pour le diagnostic de psychose et pour le traitement. Par contre, quant’ au type de psychose, là, je ferais quelques remarques :

Patient délirant, assurément :

« La vie est éternelle, le monde ne finira pas, c’est-à-dire chaque fois l’homme se reproduit, cela ne finit pas, cela me fait plaisir lorsque je fais l’amour et que ma femme arrive à accoucher, nous appelons cela les dons et moi et ma parole.

Les gens m’ont appelé l’amour c’est-à-dire que moi j’aime faire quelque chose de X. Encore tout mon travail, c’est l’amour. Quand j’étais bébé, j’étais l’amour ; c’est le père et la mère qui doivent penser à l’enfant pour le nom de l’amour.

Je connais la vie, mais, je ne vois pas le Monde, autrement la vie à partir de l’amour, La démocratie présidentielle c’est ça l’amour peut être ».

Délire bien pacifique, pas très élaboré, dont les thèmes ne peuvent pas ne pas évoquer d’ailleurs ceux de la religion catholique (l’amour, la vie éternelle…)

Délire qui semble être le dernier mode de rapport que le patient entretient avec le monde (« sans ça je n’aime pas parler beaucoup »)

Par contre, il ne faut pas négliger ces éléments : 

« Mohamed Lamine monologuait, bredouillait, souvent à terre, il s’agenouillait devant les personnes pour les saluer avec un langage incompréhensible.

Mohamed Lamine monologue, naïf, nonchalant, tout le temps couché.

A l’examen clinique le patient présente un état clinique peu satisfaisant, un vestimentaire triplé non confortable, monologuant, bredouillant ».

Ces éléments évoquent, dans les critères diagnostics de la schizophrénie, ce qui est repris dans les « Symptômes caractéristiques » sous les termes :

3. Discours désorganisé (incohérence)

4. Comportement désorganisé

5. Symptômes négatifs (alogie, perte de volonté)

Le dysfonctionnement social/des activités est également manifeste (travail, relations interpersonnelles, les soins personnels)

Le trouble dure depuis plus de six mois.

Le diagnostic serait donc celui de schizophrénie.

La présence d’un délire (pas très organisé, faut-il le remarquer) ferait classer ce type de patient dans la sous-catégorie des schizophrénies paranoïdes. Paranoïde, dans cette acception, ne signifie pas autre chose que « délirant ».

Une psychose délirante chronique présente un tableau fort différent. L’exemple type à Dar Es Salam serait Monsieur Tadé (tiens, comment va t’il, celui-là ?)

Alors, le monologue et la bredouille (mais ce terme devrait être précisé) évoquent plutôt les troubles du langage de la schizophrénie. Essaye donc de les repérer à travers ce que te dit ce patient (c’est une question que j’ai posée aux collègues de la seconde équipe lors de leur séjour à Bruxelles.) Repérer ces troubles du langage et les spécifier est important, parce qu’ils sont caractéristiques de la schizophrénie et permettent de la distinguer des troubles du langage (et donc de la pensée) rencontrés au cours de tableaux confusionnels (démentiels ou toxiques par exemple.)

Bon travail et à bientôt,

Dr Michel

Contact avec l’association « la Borde-Ivoire » :

Une rencontre a eu lieu à la Borde les 18 et 19 janvier 2002 entre le Dr Oury, le Dr Bichon et l’équipe « Laborde Ivoire », Madame Kestens (coordinatrice de « La Gerbe ») et moi-même pour susciter une collaboration Nord-Nord et préparer le stage en mai prochain de deux des trois collègues guinéens de l’équipe de FMG qui seront en stage en Europe en avril, mai, juin de cette année.

Préparation du Comité Scientifique :

Voici le texte rédigé par le Dr Sow en janvier 2002 présentant le programme des activités organisées à l’occasion de la seconde réunion du Comité Scientifique.

PROGRAMME DE LA SEMAINE SCIENTIFIQUE DU PROJET SAMOA

               J1 :  Le 11 février 20012: Dans les CSA  de FMG

  • Réunion des responsables et invités (présentation et adaptation du programme de la semaine) : 8h30 –9h30
  • Participation au dialogue de groupe à Hamdallaye (10 h- 12 h)
  • Participation aux activités de la communauté thérapeutique de Dar es Salam (12 h-13h)
  • Participation à l’atelier d’expression graphique de Carrière (de 16-17h30)
  • Dé briefing (18h – 18h30 )

J2 :  Le 12 février 2002 : Séminaire au CHU de DONKA

  • 9h- 9h30 : Accueil et installation des participants
  • 9h-9h 15 : Présentation du programme de la journée
  • 9h 15- 9 h 30 : Présentation de l’organisation du système de santé mentale en Guinée (Dr Mariama Barry)
  • 9h- 9 h 45 : Présentation de l’organisation du système de santé mentale en Belgique (Dr Stillemans)
  • 9h-45 10h 30 : Débat
  • 10h 30-10h 45mn : Présentation du projet SaMOA comme Expérience innovante en matière de politique de santé mentale en Guinée (Dr Michel Dewez)
  • 10h-45-11h : Intégration de la santé mentale dans les soins de santé primaire : Dispositif mis en place dans les centres de santé associatifs de FMG (Dr Sow)
  • 11h- 12h : Débat
  • 12 h- 12h 45 : pause déjeuner
    1. 12h45-12h 55: Communauté thérapeutique agricole (Dr Ambroise )
    2. 13h- 13h 10 : Atelier d’expression graphique (Dr Koulibaly)
    3. 13h 10- 13 20 : Dialogue de groupe (Dr Oumou)
  •  13 h 20- 14h : Débat
  • 14h -14h10 : Prise en charge psychosociale des problèmes de santé mentale (Mme Marie Anne Kestens)
    1. 14h10-14h20 : Réinsertion socioprofessionnelle des malades guéris et/ou améliorés (Mme Amatigui)
    2. 14h20-14h30 : Impact de Visite domiciliaire (Mme Aïssatou et Dr Keita)
  • 14h30-15h : Débat
  • 15 heure-15h 45 : Recommandations
  • 15h45 –16h : Clôture

J3 : Le 13 février 2002 : Conférences et visites :

 

Matinée : Ignace Deenn (conférences)

  • 10h-12h : Les principaux médicaments psychotropes (indications, effets secondaires et interactions médicamenteuses) : Expériences des psychiatres belges (Dr Michel Dewez, Dr Stillemans, Dr Feys)
  • 12h30-13h : Visite de courtoisie à M. le Consul de Belgique

            Après midi :  Université de Conakry (conférences)

  • 15h-17h : La psychose et ses différentes formes (Dr Stillemans, Dr Dewez, Dr Feys)
  • 17h 30-18h 30: de briefing

J4: Le 14 février 2002 : Hôtel Camayenne ( Réunion du comité scientifique )

  • 8h –9h30 : Accueil et installation des invités et participants
  • 9h 30-10h10 : Ouverture officielle
    • Discours de bien venu de FMG (8mn) : Dr Sow
    •  Présentation du projet SaMOA : Dr Dewez (15mn)
    • Présentation des résolutions (commentaires) du premier comité scientifique tenu à Bruxelles à l’an 2000 : PR Cissé (15mn)
  • 10h10-10h45 : Petit déjeuner et visite des stands
  • 10h45-11h 50 : Présentation des résultats du projet
  • Dispositif de travail : Dr Sow (10mn)
  • Résultats cliniques (Dr Ambroise ou Dr Oumou et Dr Dewez) en 20mn
  •  Travail psychosocial (Marie Anne et Amatigui) en 15mn
  • Témoignages de deux patients suivis dans les CSA de FMG (20mn)
  • 11h50- 13h : Débat
  • 13h-14h : Pause déjeuner
  • 14h-16h : Résolutions et recommandations du comité scientifique
  •  16h-17h : Clôture officielle
  • 17h- 19h : Pause
  • 19h-22h : Spectacles (dîner- représentation théâtrale)

J5 : Le 15 février 2002 : Visite de courtoisie et excursion touristique

  • 9h-12h : Visite de courtoisie
    • au ministère de la santé
    • à la délégation de l’union européenne
    • à la représentante de l’OMS
    • au représentant de l’UNICEF
    • au chef de mission de MSF/Belgique
    • à la directrice de la santé de la ville de Conakry
  • 12 h : excursion au voile de la marié (Kindia)

J6 : Le 16 février 2002 : Pause

J7 : Le 17 février 2002 : Fin de la semaine

Voici, reçue en janvier 2002, la rédaction des recommandations du Professeur Cissé suite au premier CS, en préparation de la seconde réunion de celui-ci :

Recommandations de la première réunion du Comité Scientifique

Le 21 novembre 2000 s’est tenue à Bruxelles la première réunion du comité scientifique du projet SaMOA (Santé Mentale en milieu Ouvert Africain.)

Etaient présents

Partie Guinéenne :

  1. Pr Amara Cissé, Université de Conakry
  2. Dr Tata Gakou, représentant Dr Namory Keita

Partie Européenne :

  1. Professeur Norman Sartorius
  2. Professeur Bart Criel
  3. Monsieur René Collignon
  4. Docteur Abdoulaye Fofana représentant Dr Emile Jeannée

La réunion s’est déroulée dans un climat de détente permettant à chaque participant de faire des commentaires, des propositions et des recommandations suite à la présentation du projet par l’équipe.

Il faut reconnaître que si la réunion avait évoqué plusieurs axes de travail, le débat n’avait pas permis d’avoir un consensus sur les recommandations eu égard au caractère « pilote » du projet.

Toute fois, des recommandations individuelles des membres du comité scientifique et d’autres invités avaient pu être dégagées.

Il s’agit entre autres de :

  1. Mettre en avant du projet, une dimension stratégique en ciblant une maladie avec comme possibilité d’avoir un résultat rapide. Exemple : l’épilepsie ou la psychose.

Concernant l’épilepsie, l’intervenant s’est basé sur la fréquence de cette pathologie en Afrique (7-8 plus fréquente qu’en Europe.) Cette prise en compte sera utile d’autant plus qu’il existe une ligue internationale de l’épilepsie. La prise en charge inspirera la confiance et la crédibilité et permettra de se faire connaître dans les services de santé.

  1.  Créer des groupes d’entraide autour des enfants handicapés. Donc pour chaque maladie, un groupe d’entraide en associant les médias pour la reconnaissance
  2. Concernant la collaboration médecin tradipraticien, privilégier la possibilité de coordination fonctionnelle et des possibles références d’un modèle à l’autre entre les psychiatres et les tradipraticiens en matière de maladie mentale.
  3. L’instauration d’une fiche de première demande en intégrant l’itinéraire thérapeutique du malade en terme rétrospectif.
  4. Envisager une étude de la perception des agents de santé sur la maladie mentale.
  5. Etudier la nécessité de créer des structures pour les malades mentaux et les services de santé mentale.
  6. Elaboration d’un guide de diagnostic de maladie mentale.
  7. Recherche d’autres structures de financement pour étendre le projet.
  8. Limiter le projet à une zone géographique bien distincte au lieu de se limiter à une maladie.
  9. Elaborer des outils de travail.
  10. Assurer un travail d’équipe.
  11. Renforcer les visites domiciliaires.

Ce sont là les principaux éléments qui avaient été proposés lors de la réunion.

Comme vous l’avez constaté, il y avait des divergences d’approches et même d’opinion par endroit. C’est ce qui fait la richesse d’un comité scientifique multidisciplinaire.

Nous verrons au cours de la présentation de l’équipe du projet les éléments qui ont été pris en compte et comment ils se sont engagés à les appliquer.

Je vous remercie pour votre attention

Le Comité scientifique.

 Voilà où nous en sommes au seuil de la seconde réunion du Comité Scientifique.

Dr Michel DEWEZ                                                    Bruxelles, le 1 février 2002

Michel Dewez

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