VADE – MECUM
Il est aujourd’hui convenu que la pratique de la psychiatrie en occident se distingue de cette même pratique en Afrique, et ce sur plus d’un point. Ces distinctions pourraient s’énoncer de la sorte[1] :
La psychiatrie en occident La psychiatrie en Afrique
. Les troubles sont distincts; . On considère des situations difficiles plutôt que
des troubles distincts ;
. Les symptômes sont des critères de ces troubles ;
. Le problème est chez le patient ; . Le problème réside dans la situation sociale
ou dans le contexte ;
. Les facteurs étiologiques ou de résilience sont . Les facteurs étiologiques ou de résilience se
le plus souvent internes à la personne ; situent dans la famille ou le système social ;
. Le traitement psychopharmacologique ou . Les interventions psychothérapeutiques sont
psychothérapeutique est le plus souvent volontiers systémiques, au niveau de la famille,
individuel ; de la communauté ou des réseaux sociaux ;
. L’objectif est la réduction des symptômes. . Le rétablissement est défini par des valeurs
personnelles et collectives.
Sans contredire ces oppositions que chacun nuancera au gré de sa pratique et de son expérience de clinicien, posons quant à nous dès le départ les éléments qui définissent l’approche que nous souhaitons soutenir au sein de l’association Sa.M.O.A. tels qu’ils se sont élaborés progressivement à l’occasion du travail en Guinée avec nos collègues africains et leurs patients et que nous développerons ultérieurement :
- Les « maladies mentales », contrairement aux maladies organiques, n’ont pas d’existence naturelle, universelle et indépendante des patients et des observateurs.
Elles sont des constructions intellectuelles historiquement et culturellement dépendante. Même s’il est provisoirement nécessaire de leur supposer une existence « réaliste » dans une démarche thérapeutique pour des raisons pragmatiques, elles sont et resteront des manifestations dynamiques susceptibles de changements profonds entre les temps de crises et le rétablissement selon un continuum qui va de la déstructuration de la pensée la plus invalidante à l’absence de symptôme « psychiatrique ».
- Les diagnostics psychiatriques ne sont donc pas exclusivement catégoriels (tels que proposés dans les classifications internationales DSM V ou CIM 11, ou développés dans la « nosographie psychiatrique élémentaire Sa.M.O.A. » p6) mais s’élaborent selon un processus diagnostic « multicouche » le long d’un continuum allant de la crise au rétablissement (tel que proposé par le Conseil Supérieur de la Santé de Belgique[2]).
- Leur approche n’est pas pluridisciplinaire mais multidimensionnelle afin de respecter ce que ces questions de santé mentale ont en propre : elles n’intéressent pas séparément et successivement le médecin (dans sa dimension bio), le psychologue (psycho) et l’assistante sociale ou l’agent communautaire (sociale) dans leurs compétences professionnelles respectives, mais elles n’existent que de la mise en tension de ces différentes dimensions dans leurs rapports réciproques au sein d’une structure qui les détermine.
- La démarche qui préside au diagnostic n’est pas celle de l’anamnèse médicale classique mais de l’entretien en quatre temps, qui voit se succéder quatre positions différentes des déterminants de la rencontre, considérés sur l’ensemble du parcours (voir le schéma de l’entretien dit 1234, p4, et son développement dans le temps suite à la répétition des entretiens p5).
Ainsi, cette démarche diagnostique respecte l’approche non pluridisciplinaire mais multidimensionnelle des questions de santé mentale. - Cette conception de la maladie mentale en tant qu’évènement historique (tant de l’histoire individuelle du patient que de l’histoire des idées qui président à sa définition), dynamique, multidimensionnelle, exclusivement humaine et structurelle dans son référent permet autant d’éviter la stigmatisation des patients en refusant de les fixer dans une « entité morbide » que d’éviter les méfaits individuels de l’identification du patient à sa « maladie » ;
D’autre part, cette conception complémentariste ne rend pas incompatibles les dernières données des neurosciences et de la génétique moléculaire avec, par exemple, les conceptions traditionnelles de la maladie mentale, religieuses ou laïques, ou les apports des sciences humaines.
- La nosographie utilisée (voir la « nosographie psychiatrique élémentaire ») distinguera nécessairement : maladies organiques (entités « naturelles ») et maladies mentales, dont les logiques sont radicalement différentes. Cette nosographie évitera donc les pseudo-équivalences entre problèmes de santé mentale, pathologies somatiques (dont les pathologies neurologiques) et abus de substances psychoactives.
- Les éventuels traitements médicamenteux ne sont pas envisagés comme le sont les traitements médicamenteux en médecine organique (idéalement étiologiques et tendant à la normalisation) mais comme des aides nécessaires au rétablissement de la relation du patient avec son entourage, qui constitue la dimension essentielle à privilégier.
- L’éthique qui soutient notre action n’est pas celle de la norme ou de l’adaptation, ni celle du bien-être ou du bonheur. Elle est une éthique de la liberté, comprise non comme un idéal mais comme une possibilité : de penser, de parler, d’être entendu, et donc de vivre, qui trouve, au niveau collectif, sa limite dans l’accomplissement de la liberté d’autrui, et au niveau individuel, son point d’orgue dans l’ « Amor fati » nietzschéen.
- En ce sens, la psychiatrie, loin d’être (exclusivement) une spécialité médicale, ou de se limiter à la disparition du « symptôme », est l’ensemble des procédures, des dispositifs et des moyens (institutionnels, professionnels, théoriques, humains, médicamenteux, etc) qui permettent la rencontre, le dialogue et l’écoute du patient dans sa particularité, afin que celui-ci retrouve, parmi les siens et au sein de sa culture, sa liberté de penser, de parler, d’être entendu et donc de vivre, dans le respect de tous.
Schéma de l’entretien
En 1, nous écoutons la famille du patient en sa présence.
Patient – famille – soignant.
La famille sort ensuite et nous restons avec le patient seul.
En 2, nous interrogeons et examinons le patient pour recueillir les renseignements nécessaires. Patient – soignant.
C’est l’étape du diagnostic neuropsychiatrique.
En 3, nous donnons la parole au patient afin qu’il nous explique ce qui lui arrive, qu’il nous parle de lui, de sa vie et de son expérience de la maladie selon son point de vue.
Patient – soignant.
En 4, nous demandons à la famille de nous rejoindre et, ensemble, nous tentons de dégager le sens des symptômes du patient tels que décrits en 1 (par la famille) et 2 (en interrogeant et en examinant le patient) en fonction de ce que le patient nous aura appris de lui, de son histoire, de son environnement familial, social et professionnel, et de ce qu’il vit (en 3).Patient – famille – soignant.
C’est l’étape psychopathologique. C’est sur cette base seulement que nous pourrons aider notre patient en proposant des réponses : parole, écoute et dialogue, médicaments, suivi, réhabilitation, etc.
Ce schéma prouve qu’en santé mentale, le patient est acteur de sa prise en charge. Même si la famille et le soignant doivent y contribuer, rien ne doit se passer à son insu.
La boucle de l’entretien 1234 est rétroactive (le point 4 revient sur les points 1 et 2 et, tel que représenté sur le schéma ci-dessous, les déplace vers la droite. Ces nouveaux points 1 et 2 seront alors les points de départ de l’entretien suivant).
En effet, les propos recueillis auprès du patient modifient – espérons-nous – ce que les membres de la famille pensaient et disaient de lui.
Quant’ au soignant, le témoignage du patient lui permet de ne pas se limiter à un diagnostic catégoriel (point 2) dont le patient serait simplement l’objet mais d’inscrire sa démarche thérapeutique dans un processus dynamique qui l’intègre. En prenant la parole en son nom (point 3), le patient devient l’acteur de sa propre guérison dont le point 4 est la mise en acte.
La répétition des entretiens ne sera donc pas uniquement un « suivi » de l’évolution de la maladie, centré sur la disparition des symptômes et le renouvellement éventuel du traitement, mais un processus actif pour tous (patient, parents, soignants) dans lequel pourra se dégager un axe nouveau au cœur de ce qui se répète au cours de ces entretiens (représenté dans le schéma ci-dessous par le trait gras horizontal) et aider le patient, sa famille et le soignant à répondre à la question du sens que prend pour chacun la maladie dans ses dimensions personnelle, familiale, sociale, religieuse et communautaire.
Nosographie psychiatrique élémentaire
- Souffrance psychosociale (code 1)
Deuil, séparation, échec, solitude, mésentente conjugale, conflits familiaux et professionnels ;
Souffrances liées à la migration, aux drames humanitaires (catastrophes, épidémies), aux violences faites au lien social (conflits armés, guerres), etc.
- Pathologie psychiatrique de l’adulte (code 2)
Psychose (code 2.1) :
Psychose aigue : Bouffée délirante aigue, psychose toxique (syndrome confusionnel à la suite de la prise de substances psychoactives), épisode maniaque isolé (code 2.1.1)
Psychose chronique (code 2.1.2) : Schizophrénie (code 2.1.2.1)
Délire chronique systématisé (code 2.1.2.2)
Mélancolie / Manie (code 2.1.2.3)
Névrose (code 2.2)
Crise émotionnelle ; trouble somatique fonctionnel ; idées obsédantes ; comportements compulsifs ; anxiété ; phobie ; syndrome de Stress Post Traumatique ; état de transe et de possession ; visions, etc.
Perversion (code 2.3)
Dépression (code 2.4)
Psychopathie (code 2.5)
Toxicomanie/alcoolisme (code 2.6) (à distinguer de la consommation de substances)
- Pathologie pédopsychiatrique (code 3)
Autisme (code 3.1)
Autres psychoses infantiles (code 3.2)
Autres pathologies pédopsychiatriques (code 3.3)
- Pathologie neurologique (code 4)
Epilepsies (code 4.1)
Retard de développement (code 4.2)
Démences (code 4.3)
Autre pathologie neurologique (code 4.4)
- Autres (code 5)
[1] Marc Antoine Crocq, Julien Daniel Guelfi Nosographie psychiatrique in Guelfi, Rouillon et Mallet Manuel de psychiatrie, 4° édition, Ed. Elsevier Masson, 2021, p35.
[2]Conseil Supérieur de la Santé. DSM(5) : Utilisation et statut du diagnostic et des classifications des problèmes de santé mentale . Bruxelles: CSS; 2019. Avis n°9360 https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/css_9360_dsm5.pdf