Mission FMG/Memisa/Sa.M.O.A.
Rapport de mission 2 juillet 15 juillet 2023
Dimanche 2 juillet : Paris/Conakry
Lundi 3 juillet :
Première rencontre de cette mission : Dr Abdoulaye Sow, Dr Siaka Sangaré, Dr Danielle Kahi Kpazai, Dr Norohaingo Andrianaivo, Dr Mathilde Hamonet, Dr Michel Dewez. Etat des lieux et élaboration du programme de mission.
Rencontre du régisseur de la prison centrale de Conakry.
Mardi 4 juillet :
Rencontre des 9 membres potentiels de l’équipe de « référents » de FMG :
- Dr Abdoulaye Koulibaly (CSA Conakry)
- Dr Aïssatou Sokona Niakate (CSA Conakry)
- Mr Amadou Oury Sy (CSA Conakry)
- Dr Abraham Fofo Camara (CSA Labé)
- Mme Amatigui Diallo (CSA Conakry)
- Dr Bilguissou Bah (CSA Conakry)
- Dr Hamidou Diallo (CSA Moriady)
- Dr Mamadou Billo Bah (CSA Labé)
- Dr Siaka Sangaré (CSA Conakry)
Présentation du travail : Dr Abdoulaye Sow (Directeur de FMG), Dr Danielle Kahi Kpazai (Coordinatrice médicale Memisa), Dr Michel Dewez (Président de l’association Sa.M.O.A.)
Présentation de cas : Mme Aissatou B.
Rédaction de l’observation (trois groupes de trois). Présentation et discussion.
Rédaction du diagnostic argumenté (rédaction individuelle).
Présentation d’une observation clinique par Dr Mamadou Billo Bah. Discussion.
Mercredi 5 juillet
Présentation de cas :
- Mme dépressive sans enfants.
- Mr le président de la République, le frère de celui-ci, tous deux fils d’un imam de Coyah. – Mr le japonais précocement dément.
Discussions théorico-cliniques.
Jeudi 6 juillet :
Prison centrale avec
Dr Niakate
Dr Sy
Dr Sangare
Dr Koulibaly
Rencontre de 15 détenus.
Groupe 1 : Dr A. Niakate, Dr M. Dewez.
- Issaga B. : automatisme mental.
- Mamadou C. : délire paraphrénique.
- Thierno Mamadou D. : pas de pathologie mentale.
- Alhassan C. : débilité légère, dépression. – Sidiki F. : pas de pathologie mentale.
Vendredi 7 juillet
Présentation orale d’observations (Dr Niakate, Dr Billo, Dr Sangare)
Présentation de cas :
- Céphalée chez une jeune fille de 25 ans qui veut devenir psychologue.
- Epilepsie petit mal chez une jeune fille de 11 ans ; sa maman en demande d’écoute.
Lecture du Vade-mecum, en particulier au sujet de la distinction entre Signe (médical) et signifiant (psychiatrique) au départ de phénomènes de possession, de céphalée, de CNEP.
Samedi 8 juillet
Présentation orale d’observation clinique personnelle.
Présentation de cas.
Dimanche 9 juillet
Le Dossier médical.
Discussion préalable concernant la création d’un dispositif de coordination entre équipe européenne, équipe de référents guinéens, professionnels des 14 CSM impliqués.
Lundi 10 juillet
Avant-midi :
Evaluation individuelle écrite. Correction collective.
Après-midi : Prison centrale.
Dr Niakate
Dr Sangare
Dr Koulibaly
Dr M. Hamonet Dr M. Dewez
Rencontre de 10 détenus.
groupe 1 : Dr A. Niakate, Dr M. Dewez. – M.S. pas de pathologie psychiatrique – M.C. Pas de pathologie psychiatrique
- D. psychose chronique sans traitement (et sans jugement) depuis plus de 10 ans.
- A. troubles du comportement.
Mardi 11 juillet :
Restitution dans les locaux d’Enabel des résultats, conclusions et recommandations de la rechercheaction menée auprès des jeunes femmes du projet Integra qui font des crises non épileptiques psychogène (CNEP).
Mercredi 12 juillet
Conakry/Kindia
Consultations conjointes de six patients au centre de santé de Moriady (Dr Hamidou, Dr Billo, Dr Fofo, Dr M. Hamonet, Dr M. Dewez).
Jeudi 13 juillet :
Rencontre de Karamoko Yaya, guérisseur traditionnel.
Consultations conjointes (idem) :
- Confusion mentale chez un patient de 61 ans (démence présénile ?)
- schizophrénie chez une jeune fille de 14 ans
- Schizophrénie chez un voyageur de 30 ans – Schizophrénie chez un jeune de 21 ans
Kindia/Conakry
Vendredi 14 juillet :
Restitution avec les équipes de FMG/Memisa/Sa.M.O.A.
Retour CKY/Paris.
Samedi 15 juillet : arrivée à Paris.
Conclusions
- Un des objectifs de cette mission, préparée depuis plusieurs mois par écrit entre Bruxelles, Conakry, Paris et Paleyrac par les équipes concernées (FMG, Memisa, Sa.M.O.A.) était de répondre à la question suivante : en l’état actuel, quatorze lieux de soins sont concernés par la prise en charge des malades mentaux au sein de structures de soins de santé primaires :
- CSA Hafia minière
- CSA de Moriady
- CSA Tata 1
- CSP Thianguel Bori
- CSP de Korbè
- CSP de Timbo
- CMA de Timbi Madina,
- CSU de Pita
- CSU de Télimélé
- CS p de IIFS
- Csa de Tanènè
- Csa de Koumbia
- CSP de kolaboui
- CSP Tabossi
Ces prises en charges des malades mentaux se font de façon très inégale dans ces différents lieux de soins (certains professionnels de santé guinéens rencontrent des malades mentaux depuis plus de vingt ans : les premières consultations de malades mentaux dans le cadre du projet Sa.M.O.A. eurent lieu au CSA « Carrière » de FMG en février 2000 ; d’autres débutent à peine).
Comment articuler l’action entre ces lieux de soins, le ou les lieux de référence, les équipes de coordination, et l’équipe Sa.M.O.A. du Nord ?
L’association Sa.M.O.A. s’est engagée à mettre à niveau et à harmoniser les concepts et les outils (méthodologiques, thérapeutiques médicamenteux et non médicamenteux) et les connaissances en « santé mentale » des neufs membres de FMG ( cités plus haut), ainsi qu’à l’évaluation par oral et par écrit, en groupe et individuellement de leurs connaissances et de leur expérience, afin d’une part de les mettre à disposition comme « référents » pour les autres centres de santé, et d’autre part comme intermédiaires entre les soignants guinéens des quatorze centres de santé et les membres de l’équipe européenne de Sa.M.O.A.
Cette mise à niveau s’est faite au départ de consultations conjointes ; de présentations de cas par chaque membre du groupe d’une situation dont il était le soignant ; et de discussions théorico-cliniques. Le Vade-mecum de Sa.M.O.A. fut l’outil de référence.
A la fin de la mission, une évaluation écrite individuelle a été réalisée, à laquelle les neufs membres ont satisfait.
Les questions posées lors de cette évaluation individuelle par écrit furent
- De définitions (« délire » et « hallucination ») ;
- De diagnostics différentiels et de traitements (entre « deuil », « dépression » et « mélancolie ») ;
- De distinction conceptuelle et donc de procédures thérapeutiques entre « symptômesigne » et « symptôme-signifiant » (au départ de la plainte subjective « céphalée »).
Dans la même optique, un modèle de dossier « santé mentale » fut rédigé à destination des professionnels des quatorze centres de santé, fidèle au schéma de l’entretien et à sa temporalité et centré sur l’histoire du malade (et non sur l’histoire de la maladie comme l’était le précédent).
Il a été précisé que toutes les premières demandes en matière de santé mentale dans chacun des quatorze centres de santé seront dorénavant examinées et exposées par oral ou par écrit au sein de l’équipe locale lors de rencontres bimensuelle, équipe locale qui se rencontrera donc régulièrement (par exemple un vendredi sur deux après la prière), et ensuite au niveau de l’équipe de « référents » qui pourra interpeller l’équipe Sa.M.O.A. basée en Europe lors de réunions mensuelles.
Ce dispositif s’appliquera également pour les situations difficiles.
Ceci devrait répondre à l’isolement actuel de certains professionnels dans certains centres de santé dans lesquels deux ou trois professionnels ont leur consultation « personnelle » sans concertation entre eux.
Sur le plan institutionnel, la direction de FMG et la coordination Memisa en Guinée préciseront les rôles et fonctions de chacun des neufs membres au sein de son centre de santé et lors d’éventuelles missions dans d’autres centres de santé à l’occasion d’intervision et évaluation.
Après quelques mois, ce dispositif fera l’objet d’une évaluation (lors de la prochaine mission de Sa.M.O.A. en Guinée début 2024 ?)
- Rencontre et échanges avec Karamoko Yaya, guérisseur près de Kindia, qui réfère ses patients au CSA de Moriady.
L’intérêt est triple.
- Quasi tous les patients qui présentent un problème de santé mentale consultent un guérisseur en première intention. Ce n’est que lorsque la situation de s’améliore pas que les patients se retournent vers les soins de santé « occidentaux » (lekki porto = médicament des blancs) au sein d’un centre de santé.
Il faut donc considérer ces guérisseurs comme des partenaires à part entière, non sans efficacité d’ailleurs pour des questions de santé mentale qui ne nécessitent pas de traitement psychotrope. Les ignorer serait une erreur. Les rencontrer permet le dialogue, même si nos références épistémologiques restent étrangères les unes aux autres, position que tous reconnaissent et admettent.
- Les étiologies traditionnelles sont partagées par les patients, les guérisseurs et … les soignants guinéens dont la formation « scientifique » n’a pas effacé les références culturelles et religieuses dans lesquelles ils ont grandis. La question des « protections » (des soignants guinéens qui prennent en charge des malades mentaux) est loin d’être une anecdote quelque peu exotique. Ces questions ne doivent pas être évitées.
- Il a été demandé au Dr Hamidou de documenter en détail les situations cliniques qui participent d’une double prise en charge (de la part de Karamoko Yaya et de la sienne). Ces situations feront l’objet de toute notre attention, sur le plan technique mais aussi déontologique et éthique.
- Consultations à la prison centrale de Conakry.
35 prisonniers potentiellement susceptibles de présenter des problèmes de santé mentale avaient été identifiés par le personnel médical de la prison centrale de Conakry. L’actuel régisseur, médecin de formation, s’en était ému lors de sa récente prise de fonction et avait demandé au Dr Sow (FMG) que nous rencontrions ces détenus. Nous y avons consacré deux demi-journées, répartis en trois équipes de deux intervenants. Je garde en mémoire le souvenir de ces deux patients psychotiques, sans traitement (ni jugement), incarcérés depuis des années.
Voici ce que m’a inspiré le premier de ceux-ci :
« Prison de Conakry, ce six juillet avant-midi. Chaleur humide de ce début des pluies de moussons. Clim en panne, ventilateurs éteints pour ne pas en ajouter au bruit des travaux en cours. Un local encombré de papiers inutiles, nous y sommes quatre enfermés dans cette moiteur poisseuse : le docteur Aissatou Niakate qui me sert également de traductrice, deux soignants de la prison qui ont choisi qui nous rencontrerions et moi.
Il entre avec un sourire qui dévoile toutes ses dents, les yeux au ciel. A peine plus de vingt ans, maillot d’une équipe de basket américain, un short sorti tout droit de Miami-plage. Il s’appelle Mamadou, comme ici des milliers d’enfants. Un nom commun qui pourtant lui est propre. Et le voilà qui nous annonce qu’il est né dans un trou. Un trou dans lequel, nous dit-il, l’a jeté un malik, un diable aux cheveux blancs. « On ne pensait même pas que je pouvais vivre » précise-t-il. Vivre, et non survivre. Vivre, c’est-à-dire exister. Être de nulle part et être de personne, sinon de l’au-delà. Lorsqu’il sort du trou, il trouve, dit-il, tout construit, et est recueilli par dame Syra avec trois autres avec lesquels il sera vite en discordance, l’obligeant à poursuivre son chemin. Mort déjà dans plusieurs pays, il est décédé à nouveau le jour où il est entré « ici » tout en nous disant que cette mort l’a réveillé.
Lorsqu’étonné, nous lui demandons de préciser, il nous répond qu’il ne le peut : sa parole, précise-t-il est comme ce que nous entendons d’un poste de radio. Impossible de faire se répéter l’émission. Il est pure énonciation, sans possible énoncé. Sa parole est comme le vent qui n’est que ressenti et jamais ne fait trace. Un souffle. Un soupir de l’au-delà. J’ai hésité à lui demander de revenir vivre parmi nous. Je lui ai posé dans ces termes la question lorsqu’il nous a fallu décider de lui proposer un traitement. Il n’y a d’autre urgence que d’encore le rencontrer ».
Le second détenu, isolé dans une cellule individuelle pour sa dangerosité potentielle, est incarcéré depuis des années sans, semble-t-il, avoir encore été jugé. Les seuls propos recueillis révèlent sans aucune équivoque à qui voudrait l’entendre (mais encore le faut-il) un délire mégalomaniaque non sans propos inquiétants. Comment ce grand malade mental a-t-il traversé les ans, isolé dans sa cellule, sans que quiconque ne s’en inquiète jusqu’à l’arrivée de l’actuel régisseur me reste un mystère. Comment se fait-il que le personnel soignant soit resté étranger à cette situation particulièrement révélatrice ?
Une des particularités du contexte institutionnel guinéen est l’absence en Guinée de lieux mixtes : à la fois lieux de détention et lieu de soins psychiatriques, comme le sont en Belgique par exemple, les « Etablissements de défense sociale ».
En Belgique, la « défense sociale » représente un dispositif destiné aux auteurs de crimes ou délits considérés comme irresponsables de leurs actes en raison de leur état mental. Ce dispositif a pour double but de leur assurer des soins appropriés et de protéger la société. Par exemple, au sein de l’établissement de défense sociale de Paifve, le régime de vie se situe à mi-chemin entre un régime pénitentiaire typique et la vie dans un hôpital psychiatrique. Les internés qui y séjournent sont enfermés la nuit et pendant la pause de midi mais passent le reste de la journée ensemble. Le personnel de l’établissement n’est pas uniquement pénitentiaire : il y a également du personnel soignant spécialisé en psychiatrie.
En France, pour les personnes détenues atteintes de troubles mentaux, la règle consiste à organiser une hospitalisation complète au sein d’une Unité Hospitalière Spécialement
Aménagée (UHSA). Ces unités accueillent les détenus, avec ou sans leur consentement.
En Guinée, l’absence de service de psychiatrie « fermé » demanderait de traiter les malades mentaux au sein de la prison. Mais soigner un malade mental ne se résume pas à lui imposer la prise quotidienne de psychotrope pendant des mois ou des années. La maladie mentale est d’abord et avant tout une maladie de la relation. Relation à soi-même et aux autres. C’est bien sur ce principe élémentaire que se fondent toutes les initiatives thérapeutiques non médicamenteuses, de la psychanalyse à la psychothérapie institutionnelle en passant par toutes les initiatives de psychothérapies individuelles ou de groupe. Toutes passent par l’usage de la parole au sein d’une relation « soignante ». Sachons aussi que l’isolement d’un malade mental n’est pas pour améliorer son état, sans ignorer pour autant sa dangerosité éventuelle, vis-à-vis de lui-même autant que vis-à-vis des autres, détenus, soignants, gardiens, etc. Comment concilier tout cela ?
Il ne s’agit donc pas uniquement de répondre à l’actuelle situation en proposant au personnel soignant de la prison une réponse exclusivement « médicale » selon un modèle biomédical de la maladie mentale. Par exemple, en leur demandant d’être en contact direct avec les prisonniers ; de sensibiliser ce personnel aux questions de diagnostic, de traitement médicamenteux, de suivis… ; de mettre à leur disposition les médicaments psychotropes nécessaires ; de leur permettre d’interpeller des professionnels de la santé mentale en dehors de la prison pour intervision et conseils si besoin.
Il s’agit aussi (et surtout) de les ouvrir à ce qu’est une maladie mentale comme drame individuel et expérience de souffrance que le partage apaise, et ce dans ce cadre très particulier qui est celui de l’incarcération.
En cela, il faut considérer que la prison en tant qu’institution étatique doive avoir son propre dispositif de prise en charge de la santé mentale, FMG n’ayant pas à soutenir tout ce fardeau.
Nous (Sa.M.O.A.) ne pouvons que faire offre pour discuter de ces questions dans les mois qui viennent.
- Participation du Dr Mathilde Hamonet (association Sa.M.O.A.).
Le docteur Mathilde Hamonet, pédopsychiatre et secrétaire de l’association Sa.M.O.A. a participé aux différentes activités de cette mission. Sa présence lui permettra – entre autres et sans aucun doute – d’être porte-parole en connaissance de cause du travail de Sa.M.O.A. auprès de nos futurs interlocuteurs, en Europe comme en Guinée. Ci-dessous, son témoignage et ses réflexions :
- L’accueil en Guinée
La mission a été bien organisée en amont par FMG et Memisa, tout en respectant nos souhaits et idées. Nous avons été très bien accueillis une fois arrivés en Guinée, que ce soit à Conakry ou à Kindia. Tous les travailleurs de FMG et Memisa ont été attentifs à notre égard.
- Programme de la mission
Pour la mission, nous avons souhaité réunir un groupe de médecins de FMG que le Dr Michel Dewez avait déjà commencé à former à la psychiatrie. L’objectif était de poursuivre leur formation afin qu’ils deviennent eux-mêmes en capacité de former et d’accompagner les collègues des centres FMG qui proposent des consultations de santé mentale. Nous avons notamment axé cette mission sur l’importance de la psychothérapie. Pour cela nous avons sensibilisé nos collègues à l’écoute du discours du patient et pas seulement à la plainte sociale et comportementale de leur famille ni à la recherche simple d’un diagnostic médical ou de la prescription d’un traitement médicamenteux.
Chaque jour, nous avons rencontré plusieurs patients qui venaient consulter pour la première fois à FMG et nous les avons reçus en groupe afin de pouvoir discuter conjointement après l’entretien de nos hypothèses cliniques. Ces échanges ont donné lieu à des explications théoriques sur les situations rencontrées. Des soignants de Conakry nous ont également demandé de revoir certains de leurs patients pour lesquels ils étaient en difficultés dans le suivi. Nous avons demandé à tous les soignants guinéens participant à la mission de nous faire des présentations cliniques de leurs cas afin d’avoir d’autres situations sur lesquelles discuter.
Ces échanges, ou supervisions, ont permis aux soignants de mesurer l’importance de la communication entre soignant à propos d’une situation clinique afin d’élaborer à plusieurs les difficultés rencontrées par le patient. Ces présentations nous ont aussi permis d’évaluer la capacité des soignants à nous restituer une situation clinique sans que nous ayons rencontré la personne.
À la suite de cette formation, les soignants guinéens ont pour projet de poursuivre ces échanges lors de supervisions cliniques par lieux géographiques, une à deux fois par mois. Pour les situations les plus compliquées, nous poursuivrons également nos échanges entre soignants du nord et du sud de manière régulière par écrit et de manière mensuelle par téléconférence.
Enfin, ce travail nous a permis d’évaluer la capacité de ces soignants à devenir des formateurs/ambassadeurs de la santé mentale dans les différents centres FMG.
- Intérêt pour une interne de psychiatrie de participer à cette mission
En étant envoyée par Memisa auprès des soignants de FMG, j’ai été mise à une place de formatrice. Cela m’a permis de réfléchir à tout ce que j’avais appris au cours de les 5 années d’internat en psychiatrie. Cela m’a permis d’effectuer un travail de synthèse de mes connaissances. Cela m’a poussé à expliquer en quoi consiste le travail d’un psychiatre auprès des patients et en quoi il diffère de celui d’un médecin d’une autre spécialité. J’ai également questionné certains concepts de psychiatrie que l’on m’avait enseigné d’une certaine manière mais qu’aujourd’hui, après 5 ans d’internat et aussi grâce à cette mission, je peux remettre en question pour mieux me les approprier.
Je sors enrichie par tout ce que j’ai appris au niveau clinique et culturel que ce soit lors des consultations avec les patients et leurs familles mais aussi lors des discussions avec les soignants de FMG. Cette mission m’a permis d’apprivoiser la culture guinéenne ce qui permet ainsi de mieux comprendre la clinique des patients reçu en entretiens.
En tant que secrétaire de l’association SaMOA depuis 2019, cette mission m’a permis de rencontrer et de travailler avec les soignants de FMG qui s’investissent dans le projet SaMOA et d’être au plus près du travail de collaboration entre Memisa, FMG et SaMOA. J’ai participé pendant cette mission à la constitution d’un groupe de soignants/formateurs dont je ferai moi-même partie afin de poursuivre nos échanges cliniques nord-sud après cette première prise de contact. Enfin, cette mission va me permettre de communiquer sur ce projet auprès des soignants que je côtoie, notamment des jeunes psychiatres, et qui pourraient être intéressés de participer à un tel travail, et ainsi de les recruter.
- Impact de cette mission sur ma pratique en France
Je travaille actuellement en tant qu’interne dans service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil en France. Plus précisément, j’interviens dans l’unité de périnatalité, c’est-à-dire en tant que psychiatre de liaison à la maternité (Services de gynécologie, de grossesses pathologiques et suites de couches). Je travaille également dans une unité de périnatalité parents-enfants, qui est un lieu d’hospitalisation où nous effectuons avec une équipe pluridisciplinaire des accueils de jour, des médiations et des suivis en groupes ou de manières individuels ainsi que des consultations autour de la périnatalité.
La moitié de mes patientes sont des femmes issues de l’immigration. Une grande partie vient d’Afrique subsaharienne et notamment de Guinée Conakry. J’ai remarqué avant de partir, que le fait de parler de ma mission à ces femmes a permis de modifier la relation thérapeutique au profit d’une alliance. Je comprends cela comme si le fait que m’intéresser à leur culture, de leur dire que j’allais moi-même dans leur pays, m’a permis d’avoir plus accès à leur histoire et de permettre à ces femmes d’être plus en confiance, de s’apaiser. Comme si le fait de se sentir plus comprise leur permettait de moins souffrir.
Je vous donne un exemple clinique. Mme B. est une femme de 38 ans, arrivée en France il y a quelques années pour rejoindre son mari qui est réfugié politique. Mme a fait des études et a travaillé en Guinée en tant qu’ingénieure dans les mines de bauxite. Mme a 3 enfants et alors qu’elle était enceinte d’un 4e bébé, Mme a fait une fausse couche tardive.
C’est dans ce contexte que ma collègue psychologue a rencontré cette femme en service de gynécologie. Devant la détresse de cette femme suite à la perte de son enfant, elle lui a proposé un suivi psychologique. Après quelques entretiens, ma collègue, inquiète, me parle de cette patiente et me demande si je peux faire une consultation avec elles deux afin d’éventuellement prescrire un traitement médicamenteux à la patiente. Je rencontre Mme B. pour la première fois en mai 2023 avec ma collègue psychologue dans un bureau de la maternité. Or Mme a perdu son enfant il y a quelques semaines dans ce même bâtiment. La proximité avec ce service où elle a vécu ce malheur est lui est insupportable.
Mme est tendue pendant l’entretien et s’agite lorsque nous essayons de parler avec elle. Elle se lève et à plusieurs reprises cogne de son poing le mur et la porte. Elle veut quitter le bureau de consultation. Elle nous montre de tout son corps sa souffrance. Elle a des rictus anxieux, son visage se déforme. Nous restons muettes devant ce spectacle. Son agitation nous inquiète. Je n’imagine pas la renvoyer chez elle dans cet état. Je pense aux urgences psychiatriques. Lorsqu’elle se rassoit, Mme peut nous dit qu’elle n’est pas toujours dans cet état, qu’avec son mari elle peut être plus calme. Mais nous sommes en difficulté pour imaginer qu’elle puisse se calmer seule. Nous lui proposons de poursuivre l’entretien à l’extérieur du bâtiment, dans le jardin de l’hôpital. Lorsque nous sortons du bâtiment, je crains qu’elle ne s’enfuie.
Nous marchons à ses côtés, Mme reste tendue. Je sens qu’elle nous en veut de la mettre dans cet état, de vouloir parler de ce qui la fait tant souffrir et qu’elle souhaiterait oublier. Nous nous installons sur une table de piquenique. Nous essayons de parler d’autres choses. Ma collègue qui la connait mieux, lui parle de ses enfants. Elle nous dit qu’elle a effectué des démarches pour que ses enfants obtiennent leurs passeports afin de les emmener en Guinée Conakry cet été. Mais elle craint de ne pas recevoir les passeports à temps pour les vacances d’été. Je lui parle alors de mon projet de mission en Guinée. Elle lève la tête et me regarde d’un air dur. Elle me pose quelques questions puis rit de manière cynique. Elle qui a tant de mal à faire venir ses enfants au pays, comment se fait-il que moi, jeune blanche, j’arrive à y aller si facilement ? J’essaye de mettre des mots là-dessus, sur la violence qu’elle peut ressentir en apprenant cela, sur cette injustice. Elle baisse de nouveau la tête. Elle est plus calme depuis que nous parlons de son pays, mais on la sent encore tendue. Je lui propose de prendre des médicaments pour l’aider à calmer ses souffrances, en plus d’entretiens réguliers. Elle est méfiante et m’explique qu’elle pense que si je lui prescris des médicaments, c’est parce que je la considère comme folle. Je la rassure. Je lui explique qu’en Europe, les psychiatres prescrivent des médicaments et s’entretiennent avec des personnes qui traversent des moments difficiles mais ce n’est pas pour autant que nous les appelons « fous ». Elle accepte que je retourne dans mon bureau pour lui prescrire un médicament. Je la laisse discuter avec ma collègue psychologue pendant ce temps. Nous nous donnons rendez-vous toutes les trois sur la même table de piquenique la semaine suivante.
Lorsque nous nous séparons d’elle, ma collègue et moi poussons un soupir de soulagement. Nous avons toutes les deux été suffisamment inquiètes par la présentation initiale de Mme pour imaginer devoir l’envoyer aux urgences psychiatriques afin de la faire hospitaliser pour son état d’agitation.
La semaine suivante, nous retrouvons Mme près de notre fameuse table de piquenique. Mme nous annonce qu’elle a acheté les traitements que je lui ai prescris mais qu’elle ne les a pas encore pris. Il lui faut du temps. La distance spatiale avec la maternité l’agite moins. Ma collègue essaye de lui poser des questions sur son état psychique, sur sa tristesse. Les larmes viennent aux yeux de Mme B., elle ne souhaite pas en parler, ni même y penser. Sa souffrance, elle veut la garder pour elle et se battre en silence. Je dramatise en m’appuyant sur le fait que nous sommes deux soignantes.
Je gronde gentiment ma collègue en disant qu’elle pose toujours les questions qui fâchent. Nous sourions toutes les trois. Je m’appuie sur le fait qu’en étant deux consultantes, nous pouvons jouer à prendre des positionnements adverses pour permettre aux patients de nous investir de manières différentes et faire émerger des conflits intérieurs. Cet investissement pouvant évoluer dans un sens comme dans l’autre, le tout est de garder un lien.
Mme me pose des questions sur ma mission dans son pays natal. Elle sort un papier et un stylo et note les références de l’ONG Guinéenne FMG avec qui je vais collaborer. Elle me parle de son frère schizophrène qui vit au pays et pour qui elle cherche depuis plusieurs années des soins adaptés. Je vois une lueur d’espoir dans son visage, il pourrait bénéficier des soins de FMG. Elle me pose des questions sur les villes où se trouvent les centres FMG. Je me rends compte que je ne connais pas encore bien la géographie de la Guinée, ni exactement où je vais me rendre. Je ressors mon ordre de mission que nous regardons ensemble. Ces centres se trouvent dans des villes trop éloignées de là où vit son frère. Elle est déçue, son visage se ferme de nouveau. Je lui demande de me parler de son pays et des villes en question.
Lors de notre troisième entretien, toujours sur notre table de piquenique, Mme B. nous annonce d’emblée qu’elle a commencé le traitement depuis une semaine. Cela lui a permis de dormir. Elle me questionne de nouveau sur ma mission en Guinée. Elle a oublié le nom de l’ONG avec laquelle je travaille sur place. Elle nous apprend alors que son père était médecin militaire et qu’étant enfant elle a sillonnée le pays avec sa famille en le suivant au gré de ses mutations. Elle nous raconte des souvenirs avec ses amis. Nous regardons ensemble des photos de certains lieux touristiques guinéens. J’entre dans son paysage affectif. Elle me donne également quelques conseils pour que mon séjour se passe au mieux. Nous nous donnons rendez-vous après ma mission pour que je lui raconte mon voyage.
Ici il est question d’une femme guinéenne qui a pu mettre en récit son histoire et s’apaiser devant mon intérêt pour son pays, pour son histoire. Mais j’ai également observé des effets de ce projet de mission sur l’alliance avec d’autres femmes venant d’Afrique subsaharienne. J’imagine qu’à mon retour, les effets décrits se poursuivront avec d’autres patients. Mais aussi que le fait d’avoir été moi-même (trans)formée par cette mission, me permettra d’aborder la clinique autrement ce qui bénéficiera à mes futurs patients.
Mathilde Hamonet
Juillet 2023
- Perspectives :
- Evaluer le dispositif mis en place durant cette mission (réunions d’équipe, références entre les différents niveaux, etc) et approfondir les questions qui se seront posées d’ici là. Ce pourrait faire l’objet non exclusif de la prochaine mission FMG/Memisa/Sa.M.O.A.
- Constituer (sélection et formation) un pool de référents d’agents de santé communautaire et créer un pont entre pool soignants (personnel de santé) et agents de santé communautaire.
Une grande partie de ce chantier pourrait débuter rapidement. Un tel pool aurait pour mission de faire lien entre patient, famille, communauté, centre de soins. Mais aussi d’être porteur des initiatives thérapeutiques individuelles et collectives non médicamenteuses. Le danger est que le personnel soignant se dégage de ces aspects en le déléguant aux membres de ce pool, d’où l’importance dudit pont (qui devra devenir rapidement un vrai nœud routier à circulation multiple quoique balisé) entre personnel « médical » et agents communautaires.
- Poursuivre la documentation du dispositif de soin afin de pouvoir le partager avec les autres pays de concentration de Memisa (Mauritanie, Benin et RDC) qui souhaitent ou développent l’offre de soins de santé mentale.
En l’état actuel, de nombreux documents sont disponibles, comme ceux qui ont été mis à disposition de groupe de « référents » au début de cette mission (Vade-mecum Sa.M.O.A., lettres trimestrielles et rapport de mission de nov/déc. 2022).
Paleyrac, le 18 juillet 2023 Dr Michel DEWEZ